À partir de ses œuvres bidimensionnelles et tridimensionnelles exécutées entre 2015 et 2017, à la suite d’une résidence à Xiamen (Chine), Françoise Issaly a réalisé différentes compositions fondées sur une grammaire formelle abstraite où la relation à la sémiologie du langage visuel constitue une assise de premier plan.

Dans la série d’œuvres intitulées Manifold, terme anglais qui signifie collecteur ou multiple, Françoise Issaly superpose sur des couches de papiers transparents plusieurs figures produisant une variété d’espaces topologiques. Ce type d’espace se caractérise par une recherche d’effets de distances et de profondeurs résultant de l’application de différentes variables visuelles, principalement la couleur, la tonalité, la texture, de même que la dimension, l’orientation et l’implantation des formes sur une surface plane. La combinaison de ces éléments donne naissance à une géométrie particulière et intuitive permettant de comprendre des structures complexes dont les propriétés topologiques locales sont remarquables. Ces structures agissent entre elles dans des rapports de proximité où les tons colorés, par exemple, se déploient selon des nuances ou des ruptures successives. Dans son essai Sémiologie du langage visuel, Fernande Saint-Martin explique très bien le phénomène. Elle précise que l’œil, après avoir regardé pendant un certain temps une ou plusieurs régions colorées, engendre de nombreux contrastes simultanés et accentue son attention sur une autre région du champ spatial. L’organe visuel projettera sur cette nouvelle zone une configuration qui englobe le pourtour de la première région1. En topologie, on appelle ce phénomène un homéomorphisme ; il se produit quand un espace topologique se lie à un autre. Dès qu’une variable visuelle est modifiée, la région tout entière est transformée, offrant ainsi de nouvelles dynamiques perceptuelles.

Cette exploration, l’artiste la transpose en vidéographie. Elle procède au transfert sur une interface en mouvement de trois prises de vue photographiques de l’ombre d’un objet. Cette ombre a été photographiée à partir d’un plan identique, mais avec des ouvertures optiques différentes ; l’une dite normale, l’autre surexposée et la dernière sous-exposée. Ces trois captations montées en continu sur un fond musical offrent un rapport de voisinage contigu au même titre que les œuvres bidimensionnelles. Dans la série Manifold, l’artiste utilise du papier à calligraphie qu’elle enduit de médium acrylique le rendant translucide. Le motif initial s’estompe peu à peu à mesure que les couches superposées révèlent de nouvelles propriétés plastiques. Avec l’œuvre vidéographique, l’interface n’est plus la feuille de papier, mais un écran qui diffuse, grâce à la lumière, l’incidence de l’ombre d’un objet sur un mur. Qu’elle soit composée manuellement sur une surface matérielle ou à partir d’outils mécaniques et technologiques, la démarche en jeu dans le processus de création procède d’une même intention artistique.

Objet et installation

Fernande Saint-Martin signale également dans son ouvrage que les mécanismes premiers de la perception demeurent semblables, qu’il s’agisse du pictural ou du sculptural. Dans son installation Remplir le vide, Françoise Issaly fait alterner dans l’espace une centaine de strates verticales de papier calligraphique ajourées par des motifs rappelant la structure de la cellule vivante ou celle de l’atome. Les formes organiques découpées dans la matière sont érigées à différentes hauteurs et remplissent près de la moitié de la salle d’exposition. Tout comme dans le cas de ses œuvres bidimensionnelles, la perception oculaire ne peut s’effectuer qu’à partir d’une centration du regard dans le champ visuel. Le spectateur déambule dans l’espace et ne peut appréhender l’installation qu’à partir de sections précises même si elles semblent homogènes. Ainsi, chaque fois que le percepteur modifie l’angle ou la direction de sa visée ou qu’il se positionne différemment devant et autour de l’œuvre, il doit faire face à une disposition toujours changeante des stimuli dans leur forme et leur densité. Dans son installation, l’artiste confronte le spectateur à une infrastructure, à une construction qui révèle le dynamisme de l’objet tridimensionnel dans différentes suites. Il en est de même dans son livre intitulé Ma vie est une abstraction, où la combinaison des figures en rhizome se matérialise par le vide créé par le ciselage de certaines parties du document.

Toutes les œuvres de Françoise Issaly présentées ainsi reposent sur des lois d’organisation spécifiques qui proviennent d’une grammaire du langage visuel en perpétuelle interrelation, peu importe le médium utilisé. Ces aspects définissent l’originalité et l’intérêt de sa récente production.

(1) Fernande Saint-Martin, Sémiologie du langage visuel, Presses de l’Université du Québec, Québec, 1987, 307 pages.

Françoise Issaly Remplir le vide
Maison de la culture Marie-Uguay, Montréal
Du 7 septembre au 29 octobre 2017