Entre 1920 et 1933, Montréal n’a rien eu à envier à la fébrilité culturelle qui a gagné la plupart des métropoles occidentales. Sa bourgeoisie aisée a emboité le pas aux modes que reprennent les artistes pour afficher une modernité qui éclate comme un air de trompette.

Ah ! Qu’elles sont belles les femmes peintes par les artistes membres du Groupe de Beaver Hall ! Comme elles sont élégantes dans leur robe droite au décolleté carré ou bateau cintrée un peu au-dessous de la taille à la mode des années du Charleston ! Comme elles sont aguichantes avec leur corps resplendissant de santé, un brin sportif, un rien désinvolte ! Comme elles invitent à engager une conversation, ces femmes aux cheveux courts, le regard assuré, le visage discrètement maquillé pour rehausser leur teint parfois un peu halé et leurs lèvres si bien dessinées ! Elles ne craignent pas non plus d’exposer les formes si bien charpentées, si galbées, si musclées, si harmonieuses de leur corps : en somme, elles n’ont nulle honte à s’exhiber nues. Il y a du punch dans leur affirmation à être elles-mêmes. Pas d’uppercut – quand bien même il ne serait que chromatique – comme se risque à le promettre Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal (croyez-moi, je m’y connais un peu en matière de boxe). En revanche, je n’ai nulle réticence à croire que la beauté a été le principal critère de sélection des œuvres de l’exposition Une modernité des années 1920. Montréal, le Groupe de Beaver Hall, comme l’affirment à l’unisson Jacques Des Rochers et Brian Foss, ses deux commissaires.

Être de leur temps

Dans le titre de cette exposition brille en premier le mot modernité. Les commissaires ont raison de définir de manière restrictive la nature de la période qu’ils éclairent comme celle d’une modernité (une parmi les nombreuses autres qui ont émaillé l’histoire de l’art à la fin du XIXe siècle et tout au long du XXe siècle). La modernité dont ils traitent est celle qui coïncide avec la courte existence du Groupe de Beaver Hall, soit de 1920 à 1923, et qu’ils prolongent jusqu’en 1933, année de la constitution du Groupe des peintres canadiens où se retrouveront des artistes du Groupe des Sept (Toronto), du Groupe de Beaver Hall (Montréal) et auxquels s’ajouteront des nouvelles figures canadiennes.

Cette modernité comporte, bien sûr, ses caractéristiques, mais surtout, pour celles et ceux qui s’en réclament, elle consiste à être de leur temps au point d’incarner cette époque connue comme celle des années folles avec ses clubs de jazz et son environnement art déco. Ce n’est donc pas par hasard qu’abondent les portraits et les autoportraits. Certains parmi les plus remarquables sont signés par des femmes : Prudence Heward, Lilias Torrance Newton, Emily Coonan, Regina Seiden, Mabel May. Les commissaires se plaisent à souligner la quasi-parité des femmes et des hommes au sein du Groupe de Beaver Hall y percevant une ouverture d’esprit exceptionnelle. Ils n’ont pas tort. Cependant, ils omettent de mentionner que l’on dénombrait des artistes parmi les soldats tués entre 1914 et 1918. Parmi les membres du Groupe de Beaver Hall enrôlés dans l’armée et qui ont survécu au premier conflit mondial figurent Topham, Scott, Pilot, Jackson, Holgate, Hewton, Crockart, Biéler.

La modernité dont il est question, c’est d’abord la collectivité bourgeoise anglophone de Montréal qui en profite le plus. D’ailleurs, sur la trentaine de membres que Jacques Des Rochers et Brian Foss ont considéré comme faisant peu ou prou partie du Groupe de Beaver Hall, on ne recense guère que quatre francophones : Jeanne de Crèvecœur, André Biéler et les frères Henri et Adrien Hébert.

Réhabilitation historique

Comparés à leurs prédécesseurs restés fidèles aux conventions académiques, ce qui distingue les artistes qui ont pris l’habitude de se réunir et d’exposer leurs peintures au 305 de la Côte du Beaver Hall, tient non seulement aux sujets et aux compositions de leurs tableaux (essentiellement des portraits et des paysages urbains qu’animent des passants sveltes et bien habillés) mais à l’expressivité des personnages rendue par l’éclat des coloris qui les mettent en valeur.

Ce n’est pas le moindre mérite de la directrice et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal que d’avoir lancé un considérable travail de réhabilitation d’un mouvement esthétique dont les principales faiblesses auront été sa durée éphémère et l’absence d’un manifeste dont les signataires auraient été opprimés au point de gagner la gloire des martyrs.

Il faut admettre aussi que le caractère mondain de la plupart des tableaux ne marque pas une rupture radicale, et par là, suffisamment controversée avec l’ordre qu’ils viennent bousculer. De plus, un simple coup d’œil permet de déceler assez facilement des emprunts fréquents à des écoles stylistiques marquantes : les fauves, les nabis, les impressionnistes, les préraphaélites, les tendances associées à la géométrisation des formes et des figures. Enfin, à considérer les fonds unis, légèrement chamarrés ou bien paysagers sur lesquels se détachent les portraits exécutés par Lilias Torrance Newton, Prudence Heward, Edwin Holgate, Randolph S. Hewton, artistes dont les œuvres dominent l’exposition du Groupe de Beaver Hall, il ne serait peut-être pas si hérétique de percevoir que leur modernité tient paradoxalement, à un classicisme inspiré de la Renaissance italienne. Rien de tel pour donner vie et mettre en relief et rendre touchants le caractère et la grâce d’un visage ou d’une posture.

Alors, belles les Montréalaises des années 1920 ? Belles, oui. Et émouvantes.

Catalogue

Sous la direction de Jacques Des Rochers et Brian Foss. Auteurs : Nathalie Bondil, Jacques Des Rochers, Brian Foss, Kristina Huneault, Justine Lebeau, Hélène Sicotte, Esther Trépanier.

Couverture rigide : 30 x 25 cm. 352 pages. 350 illustrations. Éditions française et anglaise distinctes. Prix : 65 $. Éditions MBAM et Black Dog

Un superbe catalogue accompagne l’exposition Une modernité des années 1920 à Montréal. Le Groupe du Beaver Hall. Il comprend deux textes de Jacques des Rochers qui établissent le contexte de la formation du Groupe de Beaver Hall et les réactions que ses expositions suscitent. Brian Foss reconstitue l’atmosphère culturelle du Montréal des années folles. Hélène Sicotte examine les liens qui unissent les artistes. Esther Trépanier analyse les thèmes et surtout la composition des œuvres justifiant leur modernité. Enfin, Kristina Huneault propose une lecture historiographique du Groupe. Justine Lebeau a rédigé des notes biographiques des artistes qui permettent de suivre leur carrière au-delà de la période considérée par l’exposition du MBAM.

UNE MODERNITÉ DES ANNÉES 1920 MONTRÉAL, LE GROUPE DE BEAVER HALL. Musée des beaux-arts de Montréal. Du 24 octobre 2015 au 31 janvier 2016.

Commissaires : Jacques Des Rochers, conservateur de l’art québécois et canadien (avant 1945) au MBAM et Brian Foss, directeur, School for Studies in Art and Culture, Carleton University, Ottawa.

Tournée: Art Gallery of Hamilton, du 20 février au 8 mai 2016. Art Gallery of Windsor, du 24 juin au 2 octobre 2016. Glenbow Museum de Calgary, du 22 octobre 2016 au 29 janvier 2017.

Artistes : André Biéler, Nora Collyer, Emily Coonan, Jeanne de Crèvecœur, James Crockart, Elsie Deane, Adrien Hébert, Henri Hébert, Prudence Heward, Randolph S. Hewton, Edwin Holgate, Alexander Y. Jackson, John Y. Johnstone, Mabel Lockerby, Mabel May, Kathleen Morris, Darrel Morrisey, Lilias Torrance Newton, Hal Ross Perrigard, Robert W. Pilot, Sarah Robertson, Sybil Robertson, Albert H. Robinson, Anne Savage, Adam Sherriff Scott, Ethel Seath, Regina Seiden, William Thurstan Topham et Stewart Torrance.