La parenté entre texte et image remonte aux origines mêmes de l’invention de l’écriture : celle-ci n’est-elle pas née de systèmes pictogrammatiques ? Pourtant l’art pictural, même s’il a souvent eu recours au texte à titre de commentaire, ne l’incorporera comme élément de langage plastique qu’à l’époque moderne. Cette fusion du champ pictural et du champ textuel suscite de nombreuses interrogations sur la nouvelle place du texte dans l’œuvre, auxquelles nous tenterons d’apporter quelques éléments de réponse.

Lorsque Picasso et Braque créent en 1912 la technique du papier-collé, le texte fait corps commun avec d’autres éléments plastiques, il se fond dans la composition, mais avec l’œuvre provocatrice de René Magritte La trahison des images (1929), sa fonction change. L’inscription introduite dans la toile (qui représente une pipe) affirmant « Ceci n’est pas une pipe » laisse perplexe. Cette collision surréaliste entre ce qu’on lit et ce qu’on voit, ce rapport conflictuel entre le message écrit et la représentation visuelle, marque une nouvelle orientation de la relation texte/image : auparavant « honnête », allant dans le sens de l’image, le texte devient porteur de significations codées dont le décryptage exige un investissement à la fois sensoriel et intellectuel. Une nouvelle voie s’ouvre dans les possibles influences entre les deux langages.

Nous avons choisi comme exemple de cette nouvelle approche deux œuvres canadiennes métissant expressions textuelle et visuelle.

La première est la Trans Am de l’Apocalypse n° 2 de John Scott (Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa). Il s’agit d’une Pontiac noire – voiture puissante par excellence – sur la carrosserie de laquelle l’auteur a gravé le texte de l’Apocalypse de Saint Jean. Dans ce travail, il a recours à l’imagerie et au langage des rues – vision inquiétante et fascinante à la fois – tout en nous présentant l’utilisation de l’automobile comme un pas vers l’apocalypse. De cette interaction entre le visuel et le textuel ressort l’engagement écologique de l’œuvre, qui prend parti socialement.

Le deuxième exemple est l’œuvre urbaine intitulée Atopie (de Alain-Martin Richard et Martin Mainguy) qui se trouve sur la Place de l’Université à Québec. Le travail artistique se déroule simultanément sur Terre et sur le Web. La sculpture métallique contient un texte gravé perforé de 476 formes rondes ; les « palets » issus de la perforation, tous porteurs d’un fragment du texte, ont été distribués aux participants lors de l’inauguration et circulent aujourd’hui autour de la Terre. Un site virtuel devrait accueillir des contributions des possesseurs de palets et établir le trajet de chacun de ces objets transmis de main en main, dans un mouvement continu. Il se crée ainsi un lien invisible entre des personnes connues et des inconnus qui représente l’esprit d’appartenance à une communauté réunie par l’œuvre. L’art est mis au profit d’une idée unificatrice, qui « exclut l’exclusion », et rassemble tous les intervenants dans une complicité mutuelle.

On voit donc comment le texte, transgressant les frontières conventionnelles entre visuel et écrit, transite vers l’espace plastique en le fertilisant et en lui apportant de nouvelles significations. Dès lors, il n’est plus un « accessoire » de l’image et revendique sa place en tant que moyen plastique d’expression. Les deux langages cohabitent dans l’œuvre d’art et forment un tout dans lequel la contribution effective de l’écrit à la construction du message amplifie l’effet produit par l’artiste.