Depuis plus d’une dizaine d’années déjà, le mouvement des laboratoires d’innovation s’est fait connaître du grand public et a entraîné l’émergence d’une multitude d’initiatives s’y rattachant dans divers domaines, comme en éducation et en culture. L’historique, les valeurs et les objectifs de ce type d’espace contribuent souvent à provoquer, au sein des différents milieux qui les abordent, une réflexion sur les manières d’acquérir et d’utiliser de nouvelles connaissances théoriques et appliquées. C’est le cas dans le système d’éducation québécois, où l’on observe de plus en plus d’écoles et de centres d’enseignement qui se dotent des dispositifs technologiques associés aux laboratoires de fabrication numérique. La même situation existe dans les organismes culturels dans lesquels les laboratoires sont bien implantés1. Au-delà du débat à savoir si ces initiatives respectent ou non les principes ou les chartes de ces différents mouvements (fablab, médialab et autres), les questions sur les transformations que ces derniers provoquent dans l’éducation artistique sont d’une grande pertinence. Réfléchir à ces enjeux pourrait apporter des pistes de solution aux défis auxquels le domaine fait présentement face. L’absence des disciplines artistiques de la liste gouvernementale des apprentissages prioritaires en éducation en contexte pandémique2 et le nouveau référentiel de la compétence numérique3, qui évacue presque complètement le concept de créativité et élude celui du langage visuel, démontrent comment nous devons défendre une fois de plus la pertinence de notre champ.

LA COMPÉTENCE TECHNOLOGIQUE

La question de l’utilisation des technologies numériques par le corps enseignant représente encore aujourd’hui un défi important. La recherche démontre que si une majorité d’enseignants jugent maîtriser la composante critique de la compétence professionnelle en lien avec les technologies, plusieurs d’entre eux estiment ne pas maîtriser la compétence qui demande de faire usage d’une variété d’outils technologiques4. Ces données expliquent peut-être la retenue d’une partie du corps professoral à investir de tels espaces. En abordant la question sous l’angle de la compétence technologique seulement, on tombe dans le piège d’une vision technophile du mouvement. Les laboratoires d’innovations numériques ont à leur origine une volonté de démocratisation des savoirs liés à l’utilisation des nouvelles technologies. Ce sont avant tout des tiers-lieux citoyens5 qui visent à réfléchir au potentiel des transformations sociales amenées par l’utilisation créative des divers dispositifs technologiques6. Comme dans la compétence professionnelle en lien avec les technologies, on ne cherche pas ici à former des techniciens dans une technologie particulière, on cherche surtout à développer un sens critique sur le potentiel de ces outils. Aborder ces espaces uniquement du point de vue technique justifierait la critique de l’instrumentalisation des valeurs à l’origine des laboratoires7 et cadrerait avec la vision utilitariste de l’enseignement, qui semble malheureusement prévaloir aujourd’hui par endroits dans le système éducatif.

LE MANDAT SOCIAL DE LA DISCIPLINE

La complémentarité entre l’éducation des arts visuels et médiatiques et le mouvement des laboratoires d’innovation est évidente. N’est-ce pas en effet le propre de l’éducation des arts que de participer à l’émancipation citoyenne et individuelle par le biais de la création, dans le faire et dans la pensée ? N’est-ce pas l’objectif de l’enseignant d’art et de l’artiste que de déconstruire les codes et les modalités d’une technologie pour en exposer le fonctionnement et pour en détourner les usages ?

L’aspect le plus prometteur du croisement de l’éducation artistique et du mouvement des laboratoires d’innovation est l’émergence de tiers-lieux au sein des écoles. Ces lieux contribuent à ouvrir l’établissement d’enseignement sur les espaces publics et citoyens de son milieu. L’acte de création sort de son confinement matériel et disciplinaire pour concrètement toucher et réunir les acteurs d’une communauté. Dans un tel contexte, l’enseignant ou l’intervenant n’a pas à maîtriser totalement l’utilisation d’un dispositif avant de l’aborder dans ses activités, car il explore une technologie et développe ses connaissances de concert avec ses élèves dans le cadre d’un projet collectif de partage des savoirs et de transformation sociale. Ce postulat démontre en fait que l’environnement dans lequel l’éducation artistique se déploie change rapidement et que les spécialistes doivent être en mesure de proposer une vision actuelle et pertinente de leur discipline. D’autres champs disciplinaires comme ceux des sciences et des technologies n’hésitent pas à prendre les devants de ce côté8 en renouvelant leur approche à la lumière de ces nouvelles circonstances.

PERSPECTIVES DE PERFECTIONNEMENT

Nous abordons ces questions aux programmes de maîtrise et de baccalauréat en éducation artistique à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM. En collaborant avec des acteurs du milieu culturel comme Le Square de la BANQ, nous codéveloppons une offre de formation où les candidats apprennent à concevoir et à réaliser des projets de création artistique et d’intervention pédagogique destinés à être déployés dans le contexte spécifique des laboratoires d’innovation. Les expériences réalisées jusqu’ici sont fort prometteuses et démontrent comment ce sont, en fait, les enjeux de la créativité, du faire, de la collaboration et de la médiation des connaissances qui constituent tout le potentiel de ce type d’environnement d’apprentissage. Les acteurs des laboratoires, de l’enseignement et de l’art ont tout à gagner à s’intéresser aux transformations générées dans leur domaine et leur pratique par les croisements qui s’opèrent dans ces nouveaux espaces.

(1) Parent, M.-H. (2019). Bibliothèques publiques et animation en fab labs et médialabs. Documentation et bibliothèques, 64(2), 5 13.https://doi.org/10.7202/1059156ar  

(2) Ministère de l’Éducation (2021). Apprentissages à
prioriser à l’enseignement secondaire pour l’année scolaire 2020-2021 en contexte pandémique, Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/enseignants/apprentissages-a-prioriser/

(3) Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (2019). Cadre de référence de la compétence numérique, Gouvernement du Québec. http://www.education.gouv.qc.ca/dossiers-thematiques/plan-daction- numerique/cadre-de-reference/

(4) Fiévez, A. (2017). L’intégration des TIC en contexte éducatif : Modèles, réalités et enjeux, Presses de l’Université du Québec.

(5) Oldenburg, R. (1999). The great good place: Cafés, coffee shops, bookstores, bars, hair salons, and other hangouts at the heart of a community, Marlowe, Distributed by Publishers Group West.

(6) Bosqué, C. (2015). « Des FabLabs dans les marges : Détournements et appropriations », Journal des anthropologues, Association française des anthropologues, 142-143, 49-76.

(7) Bogers, L. et Chiappini, L. (2019). The Critical Makers Reader: (Un)learning Technology, Institute of Network Cultures.

(8) Gagnier, S. (2019). « Aménager sa classe en laboratoire créatif à peu de frais en adoptant les pratiques de la culture « maker » et en misant sur des défis technocréatifs pour innover », Spectre, 49(1), 28-31.