Quand l’art s’engage pour l’éducation : réflexions à partir du colloque ACFAS 2019
Sorti des musées et de ses lieux d’exposition traditionnels, l’art est devenu aujourd’hui un moyen de connaissance et d’action1.
En effet, l’artiste met désormais en avant nombre de valeurs communes, dans l’espoir de bâtir un monde plus juste. Pas de combat qu’il ne mène, pas de lutte où il n’est présent : conflits, grèves, équité, écologie, diversité, pluralisme, inclusion, antiracisme, droits des minorités… Cet engagement social de l’art, avec tout son potentiel réflexif sur des questions socialement vives, est-il bien mis à profit dans l’éducation ? Où en sommes-nous à cet égard dans la recherche contemporaine et dans la pratique enseignante ? Quelles sont les voies empruntées, quelles sont les approches explorées, et dans quels contextes ? C’est à ces questions qu’ont cherché à répondre les participants au colloque « Éduquer par l’art2 » en lien avec les enjeux sociétaux : réflexions théoriques, expériences et perspectives, à l’école et au-delà3, organisé dans le cadre du congrès ACFAS 2019 qui s’est déroulé les 28 et 29 mai à l’Université du Québec en Outaouais, à Gatineau. Se situant au point de rencontre de trois champs de réflexion et d’action – les arts, les enjeux sociétaux et le monde de l’éducation –, l’événement a rassemblé plusieurs chercheurs et acteurs de terrain du Québec, mais aussi de l’Ontario, du Manitoba et de la Suisse.
La réflexion centrale proposée était celle de l’art comme vecteur et / ou porteur d’un questionnement sociétal et de ses croisements avec les pratiques de formation et d’éducation. Après une tentative de redéfinition de la fonction politique, sociale et civilisationnelle de l’art engagé, plusieurs formes possibles « d’éducation par l’art » ont été discutées, à partir d’expériences diverses.
Un des axes principaux a ainsi abordé l’art comme terrain de l’inclusion sociale, qu’il s’agisse d’individus vivant un traumatisme (par exemple, après l’attentat au Centre culturel islamique de Québec) ou de jeunes engagés dans une campagne contre les préjugés sociaux (comme la pauvreté), ou encore de la question de la formation enseignante à la diversité (sociale, culturelle, religieuse) par le biais de l’art.
De la même manière, les participants ont soulevé la question de la « sécurité culturelle », qui s’est fait une place dans les travaux du colloque à travers des récits issus de projets de médiation artistique en milieu autochtone, ainsi que par l’évocation d’activités réalisées avec des immigrés, thème pertinemment complété par des recherches touchant des problématiques identitaires de groupes minoritaires franco-canadiens (du Manitoba et de l’Ontario).
Et la culture des jeunes ? Comment arrimer les enseignements contemporains en art aux intérêts de cette génération, pour qui le virtuel est natif, et aux défis de son époque ? Plusieurs chercheurs ont abordé les pratiques multimodales des jeunes et leurs exploits dans les nouveaux médias, interventions qui ont amené la question de l’avenir de la culture classique à l’heure de l’invasion massive du numérique.
Enfin, le sujet de l’art et de l’éducation relative à l’environnement est apparu comme central : les conférenciers ont plaidé pour le « savoir-conjuguer » art et sensibilisation à l’écologie, de la maternelle à l’université, qui s’avère un chantier urgent et permanent.
En conclusion, ce que l’on doit retenir, c’est que ce colloque, qui s’est donné comme but de créer un espace d’échange autour d’axes précis de recherche concernant le maillage de l’art, de l’éducation et des enjeux sociétaux, adopte aujourd’hui un thème spécifique dans la recherche francophone, thème qui serait à explorer sous toutes ses facettes afin d’en venir à formuler des propositions concernant le développement et la mise à jour du curriculum disciplinaire, à tous les niveaux. Aujourd’hui, en effet, l’art « dans son action profonde, traumatise la société et la défie, en l’obligeant à se remettre en question, à se situer en relation avec de nouvelles valeurs » (Rioux 1969, V1, §101). C’est en ce sens que le monde de l’éducation peut s’appuyer sur « l’éducation par l’art » pour prôner et mieux affirmer l’humanisme et les valeurs de la démocratie. Mais cela ne peut se faire sans une prise de conscience du potentiel éducatif de l’art ni sans un cadre officialisé qui permette aux acteurs de l’éducation d’élaborer des approches adaptées, et qui soient construites dans l’esprit de l’art.
(1) J’invite le lecteur désireux d’en apprendre davantage à lire Art, le présent : La création plasticienne au tournant du XXIe siècle (Paul Ardenne, Éditions du Regard, 2009), Le vivre-ensemble à l’épreuve des pratiques culturelles et artistiques contemporaines (Ève Lamoureux et Magali Uhl, PUL, 2018) et Art et démocratie : Peuples de l’art (Joëlle Zask, PUF, 2014).
(2) Le colloque a reçu l’appui financier du Gouvernement du Québec, Secrétariat aux relations canadiennes, Programme d’appui à la francophonie canadienne – PAFC.
(3) Voir le programme du colloque avec les résumés des présentations à l’adresse https://www.acfas.ca/evenements/congres/programme/87/500/542/c
(4) Marcel Rioux (1969), Rapport de la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts au Québec, Québec : Éditeur officiel du Québec, V1, §101.