Rencontre des Nordicités
Un modèle de dialogue interculturel par les arts
L’école doit être un lieu de développement, de découvertes de soi et de l’autre où l’enfant peut développer l’estime de soi. Nous avons l’intime conviction que l’art et l’éducation peuvent jouer un rôle significatif dans la transformation de la société pour passer d’une communauté multiculturelle à une communauté interculturelle. Ainsi, 114 élèves du 3e cycle du primaire de l’école St-Jean-Baptiste de Val-David, Laurentides, et 20 élèves de l’école Isummasaqvik de Quaqtaq, au Nunavik, ont participé au projet « Rencontre des Nordicités ». Durant plusieurs semaines, j’ai déployé des stratégies pédagogiques pour engager les élèves dans l’élaboration d’un travail artistique significatif dans lequel ils avaient l’occasion de se questionner, d’enrichir et d’affirmer leur identité culturelle, pour ensuite, s’ouvrir à l’autre.
Je suis arrivée au Nunavik en août 2013 ; j’étais alors la migrante qui devait tenir compte des particularités de son milieu d’accueil. Les Inuits sont très sensibles à l’idée qu’une des premières conséquences de notre enseignement est de les éloigner de leur culture. Mon objectif est alors devenu de faire vivre de belles aventures aux enfants dans le but de les amener à exprimer leur culture. Comment perçoivent-ils leur univers ? Que voudraient-ils donner à voir aux gens du « Sud » ?
À mon retour dans les Laurentides, à l’automne 2014, j’ai questionné mes nouveaux élèves de Val-David sur la connaissance qu’ils ont du territoire qu’ils habitent et des cultures qui le peuplent. J’ai tôt fait de constater qu’ils avaient une méconnaissance du Nunavik et du peuple inuit. Mes élèves au Sud ont appris qu’il y avait plus qu’un Nord et que notre nord n’est pas le nord des Inuits. À partir de ce moment s’est amorcé le dialogue interculturel. L’objectif principal était de proposer une approche pédagogique favorisant l’affirmation de soi (identité) par la pratique des arts plastiques afin d’amener l’élève à adopter un processus d’appropriation de ce qu’il est et de ce que l’Autre est. « Ma culture me sert de tremplin pour aller vers les autres, et la découverte et l’acceptation de l’autre ont pour conditions la découverte et l’acceptation de moi-même. » (Hannoun, 1987, p.103)
Le processus s’est amorcé par un échange d’art postal, puis par un échange de murales, pour qu’à terme les élèves proposent le thème de la légende. C’était parfait ! Les légendes ne nous renseignent-elles pas sur les traditions des différents peuples et sur leur façon de vivre1 ?
En avril 2017, la rencontre a enfin eu lieu ! Des élèves des Laurentides se sont rendus à Quaqtaq pour vivre une expérience unique : découverte du territoire, cours d’inuktitut et de culture2, atelier avec un sculpteur inuit et expédition en motoneige. Dans un second temps, des élèves de Quaqtaq ont découvert la vie qu’offrent les Laurentides. Ils y ont rencontré des artistes locaux et ont été initiés à la gravure (sérigraphie) sous la supervision d’artistes de l’Atelier de l’Île. De part et d’autre, ils ont participé au montage de l’exposition de leurs travaux. Les jeunes nunavimmiuts ont aussi visité l’Institut culturel Avataq3 à Montréal et ils ont pu discuter avec Elisapie Isaac, chanteuse inuite.
Au fil du temps, les élèves ont fait preuve d’une étonnante persévérance. Ils ont développé une meilleure connaissance de soi et de leur potentiel. Ils se sont entraidés, tous unis dans l’effort et égaux dans la nouveauté. Le dialogue interculturel est l’occasion d’introduire l’Autre et plus exactement le rapport à l’Autre, dans l’apprentissage. En l’occurrence, l’interface ici, c’est l’art. Nous ne sommes donc pas dans le jugement personnel mais devant des œuvres qui « parlent » de la personne. Les arts amènent une acceptation de la différence et de la diversité.
Les êtres fiers de leur identité culturelle se sentent valorisés et sont capables de prendre des initiatives leur permettant de participer plus tard aux enjeux de la collectivité. Pour que la prochaine génération soit capable d’affronter l’avenir avec entrain et confiance, il serait souhaitable d’établir de tels dialogues où les cultures se rencontrent et collaborent au lieu de cœxister.
(1) La légende la Chasse-galerie d’Honoré Beaugrand pour les élèves des Laurentides et celle d’Atungak pour ceux du Nunavik_ http://www.musees.qc.ca/bundles/professionnel/guidesel/doccoll/fr/ethno-art-techno/DAV.2003.1.1-6.html
(2) Bien qu’au Nunavik les arts plastiques soient prévus au curriculum de l’élève, les enseignants (non-spécialistes) n’ont pas à suivre le programme de formation de l’école québécoise. Cependant les élèves ont accès aux cours de culture pour garçons et filles dispensés par des enseignants inuits.
(3) http://www.avataq.qc.ca
RÉFÉRENCES :
HANNOUM, Hubert. (1987). Les ghettos de l’école : pour une éducation interculturelle, Paris : ESF.
Organisation d’un échange culturel entre des élèves de l’école St-Jean-Baptiste de Val-David et des élèves de l’école Isummasaqvik de Quaqtaq au Nunavik — avril 2017. voir _ émission à COGECO TV : https://www.youtube.com/ watch?v=1lyoSDSUMFc
ICI Radio-Canada / Espace autochtone- 10 mai 2017 http://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/place-publique/ document/nouvelles/article/1032794/une-prof-qui-construit-des-ponts-entre-le-sud-et-le-nord