SAAL. Une brève expérience d’urbanisme social au Portugal
Né de la révolution portugaise du 25 avril 1974, le SAAL (Servicio Ambulatorio de Apoio Local ou Service ambulant de soutien local) est un processus architectural qui a permis de mettre en place des équipes techniques (appelées « brigades ») au sein desquelles des résidents constitués en associations s’allient la collaboration d’un architecte pour concevoir leurs logements. Telle est l’expérience sociale et urbanistique qu’illustre l’exposition du CCA Le processus du SAAL : le logement au Portugal de 1974 à 1976 initialement montée au Musée d’art contemporain de Serralves (avec lequel le CCA a collaboré).
Comme le montre la succession de dix projets résidentiels commentés et détaillés à l’aide de maquettes et de plans, les réalisations du SAAL sont très différentes d’un endroit à l’autre. L’exposition établit comment chaque projet prenait forme de façon empirique et organique au fil de nombreuses réunions où chacun des résidents pouvait donner son avis et exprimer ses besoins. On chercherait en vain un style SAAL homogène. À Porto, dans le quartier de Sao Victor, par exemple, le projet s’est développé en gardant la configuration urbaine des « ilhas » (bidonvilles) greffés sur le centre historique. Considéré comme un modèle d’intégration de la participation populaire, son développement mènera l’architecte Alvaro Siza Vieira à concevoir des projets similaires pour Berlin et La Haye. À Setúbal, où il s’agissait de réaménager le quartier Casal Das Figueiras pour des pêcheurs, l’architecte Gonçalo Byrne a réussi à contourner la difficulté du dénivelé (pente de 36 % !) en concevant deux typologies de résidences. Les magnifiques photos actuelles attestent la résilience du projet. En Algarve, l’accueil enthousiaste réservé au SAAL s’est concrétisé en plusieurs endroits par la participation directe des résidents à la construction des logements. Ce principe de l’autoconstruction a cependant fait l’objet de critiques, à cause du surcroît de travail qu’il occasionnait aux résidents en plus de leur travail habituel. Certains protagonistes du SAAL le contestaient même totalement1.
Le principe était simple : pour qu’un projet soit intégré au processus du SAAL, il fallait que l’opération (construction de nouveaux logements) soit réclamée par les résidents eux-mêmes, qui devaient se constituer en association dotée de statuts ratifiés par un notaire. C’était la seule manière de donner une base solide au procédé d’appropriation collective des logements.
Une fois le quartier ciblé et le groupe de résidents formé en coopérative, une « brigade de construction » était constituée, et l’administration centrale du SAAL proposait un architecte. Le gouvernement fournissait le financement de base des opérations, les municipalités accordaient officiellement le terrain (par voie d’expropriation parfois).
Au CCA, des bannières où s’étalent des slogans dans l’esprit du droit au logement, des affiches, des articles de journaux, des films donnent une idée de l’effervescence de cette période. Dans ces documents, comme le souligne Delfim Sardo, le commissaire de l’exposition, on perçoit que les femmes, pour ce qui touche le logement, ont joué un rôle important.
En 26 mois d’existence, le processus du SAAL va être à l’origine, dans tout le pays, de 170 projets destinés à 40 000 familles. Tous n’ont pas abouti, mais l’expérience a marqué de façon durable la pratique de l’architecture au Portugal et reste un modèle pour la réflexion sur l’aménagement urbain à l’échelle du quartier, en dialogue avec les habitants. S’y s’ajoutent des perspectives complètement transformées du rôle social et politique de l’architecte.
La crise du logement était telle que la mise en place du SAAL a été rapide. Il faut noter d’ailleurs qu’une des motivations de la population résidait précisément dans la difficulté à avoir accès à la propriété foncière. Lorsque la révolution a débuté, le premier réflexe de nombreux habitants a été d’occuper, en signe de protestation, les centaines de logements laissés vides par leurs propriétaires.
Tout au long de la visite, des vidéos rendent compte des enjeux actuels du SAAL à travers une série de passionnantes « discussions ambulatoires » organisées tout récemment, où des acteurs du SAAL se sont réunis quarante ans plus tard pour parler de leur expérience et discuter du sort des constructions, car certaines d’entre elles exigent des travaux de préservation.
Le processus du SAAL a brutalement été interrompu à peine deux ans après sa fondation. Pourquoi avoir arrêté si tôt un processus efficace qui tenait ses promesses ? Si le premier objectif du gouvernement provisoire qui l’a mis en place était surtout social – il fallait d’urgence fournir des logements à une population sur le point d’exploser –, l’évolution et le succès du SAAL ont conféré au processus un caractère politique qui pouvait sembler menaçant : fondé sur la volonté populaire et la participation, le modèle proposé par le SAAL s’opposait au modèle plus formel du logement modeste générique imposé par les autorités. De plus, comme le souligne justement José Antonio Bandeirinha dans le catalogue de l’exposition, au rythme de la progression des projets, il devenait évident que le principe du partage des terrains remettait de plus en plus en question la propriété foncière. Lorsque le gouvernement met fin au programme, la déception des brigades est immense dans tout le pays et s’exprimera longtemps : la dernière salle de l’exposition montre des œuvres et des documents où s’exprime le deuil du processus, avec notamment de touchants photomontages réalisés par l’architecte et artiste Artur Rosa qui mêlent des photographies d’enfants à d’anciens plans enroulés, masquant en partie leurs têtes, une façon de s’interroger sur le sort incertain des générations futures après cette abdication officielle.
(1) Au sujet de la pertinence de l’autoconstruction dans le cas du SAAL, voir l’article détaillé de Nelson Mota, « SAAL, Sweat and Tears », in Volume #43, mai 2015, En ligne.
LE PROCESSUS DU SAAL : LE LOGEMENT AU PORTUGAL DE 1974 À 1976
Commissaire : Delfim Sardo
Centre Canadien d’Architecture, Montréal
Du 12 mai au 4 octobre 2015