S’approprier la cour d’école : un pas vers la guérison collective
Une nouvelle année pandémique débutait en septembre 2020 et l’urgence ressentie par les élèves du secondaire de se rapprocher les uns des autres et d’avoir un impact sur leur environnement immédiat était grande. Janvier 2021. Les adolescents du Québec ne pouvaient plus se côtoyer normalement entre les murs de leur école. Ils se retrouvaient pris dans un mouvement de vacillement constant entre la proximité inconfortable d’une classe pandémique et la solitude des cours à distance.
Contraints de demeurer dans leur bulle de deux mètres, ils se voyaient réprimandés à la moindre accolade, geste si essentiel à l’adolescence. À la maison, comme aspirés par le « trou lumineux » de l’écran allumé en permanence, ils saluent à peine leur enseignante dont le rôle, transformé en clown, se voit réduit à une tentative désespérée de réanimer leur visage triste et fatigué.
En tant qu’enseignante en arts visuels et multimédia au Collège Sainte-Anne à Lachine, j’ai ressenti le besoin de contrer cette situation en organisant, en collaboration avec mes élèves de quatrième secondaire, un projet d’art interactif proposant une expérience collective. J’ai invité le studio montréalais Daily tous les jours à accompagner un groupe d’élèves dans l’élaboration et la conception d’une œuvre d’art technologique originale et en lien avec le milieu scolaire1. Pour déclencher une démarche de réflexion à propos de l’instabilité, de la perte de repères et autres enjeux liés à la pandémie que subissaient plusieurs de mes élèves, nous leur avons demandé : quand tout cela sera fini, vous ferez quoi ? « Voyager, voir mes amis, faire des sleepover, vivre ma vie d’ado… » ont répondu certains de ces jeunes de seize ans. Et de quoi avez-vous besoin en ce moment pour vous aider à passer au travers de cette pandémie ? « De la joie, de la douceur » fut alors leur réponse. Dans cet élan réflexif, l’espace public autour de l’école est nommé : il pourrait être repensé et servir le besoin de rencontre, qu’ont les élèves, dans un lieu sécuritaire autant physiquement que socialement. L’idée a été lancée de créer une installation ludique, interactive, voire musicale, qui inviterait la communauté à s’immerger dans un univers doux et bienveillant, connecté avec les individus ainsi qu’avec les éléments de la nature présents sur le site. L’intention était avant toute chose d’ouvrir une brèche, l’espace d’un moment, dans le quotidien des participants, d’influencer leur état d’esprit et, possiblement, de susciter en eux un sentiment de bien-être2.
En tant qu’enseignante en arts visuels et multimédia au Collège Sainte-Anne à Lachine, j’ai ressenti le besoin de contrer cette situation en organisant, en collaboration avec mes élèves de quatrième secondaire, un projet d’art interactif proposant une expérience collective.
Le défi était de taille puisqu’il fallait amener une vingtaine d’élèves à travailler ensemble et à embrasser un objectif commun. Malgré les cours à distance et la motivation générale envers l’école qui s’étiolait, les élèves ont accepté de prendre des risques en s’appropriant des langages qu’ils connaissaient peu : la programmation, l’utilisation de senseurs, la découpe au laser, le dessin vectoriel, les logiciels de création sonore, etc. Ils ont su puiser et tirer profit des compétences de leurs pairs lorsqu’un défi complexe nécessitait une alliance. Bien plus que des savoir-faire liés aux arts technologiques, les élèves ont surtout développé leurs capacités à s’ouvrir à leurs pairs et à leurs enseignants, à rendre compte de leurs traumatismes3 personnels liés à la pandémie, à chercher une façon créative et positive de panser leurs blessures et de se reconstruire individuellement et collectivement.
Les élèves ont intitulé cette œuvre collective Le sentier réfléchissant. En s’approchant de son portail, le spectateur est alors accueilli par une trame sonore, subtile et harmonieuse ; invité à arpenter un sentier coloré et abstrait évoquant la saison estivale et la nature, rappel des escapades dans les parcs urbains pris d’assaut au printemps par les citoyens en quête d’espace. À la hauteur des yeux sont juchées des formes abstraites réfléchissant l’image du spectateur et celle de l’environnement qui l’entoure : il n’est pas seul. Tout en cheminant dans l’espace, chacun de ses pas déclenche des sons, parfois instrumentaux, vocaux ou provenant de la nature, sons qui s’arriment parfaitement les uns aux autres. Le spectateur devient partie intégrante de l’œuvre : elle lui donne un sens par sa présence. Seul ou accompagné, il expérimente ce parcours interactif à son propre rythme, dansant parfois, ou récidivant en opérant un demi-tour lui permettant de revivre un son ou une image. La création collective a été inaugurée le 2 juin 2021 en présence de Pierre Thirion, de Daily tous les jours, réalisateur interactif qui a chapeauté l’entièreté des étapes, ainsi que des enseignants, intervenants, parents et amis des élèves. L’œuvre a été installée dans la cour d’école et est disponible à tous les élèves du collège depuis la rentrée en septembre 2021.
1 Selon les artistes, « […] les expériences collectives peuvent transformer notre façon d’interagir avec nos voisins et notre environnement. Elles sont fondamentales pour créer des liens entre les gens et changer la société ». Daily tous les jours, Mission, s.d., https://www.dailytouslesjours.com/fr/mission.
2 Cette initiative a été nourrie par un rapport du studio montréalais d’art et de design qui développe des pistes sur l’utilisation de l’espace urbain et des expériences collectives : Mieux ensemble : Réflexions en temps de pandémie (mai 2020, version 1.2).
3 Vu le degré de détresse psychologique et l’intensité émotionnelle pouvant découler de la pandémie – être isolé, confiné, avoir constamment peur, devoir composer avec l’inconnu, l’incontrôlable… –le terme traumatisme est malheureusement ici approprié, d’autant que les adolescents et jeunes adultes sont ceux dont la santé mentale s’est le plus détériorée depuis le début de la crise pandémique. Voir à ce sujet Brigitte Marcoux, « Trois fois plus d’élèves avec des symptômes d’anxiété ou de dépression qu’en 2020 », ICI Radio Canada nouvelles, 28 janvier 2021, https://ici.radio canada.ca/nouvelle/1766629/sante-mentale-jeunes-secondaire-universite-coronavirus-sherbrooke.
La mission de l’Association québécoise des enseignantes et enseignants spécialisés en arts plastiques est de promouvoir et de défendre la qualité de l’enseignement des arts, de stimuler la recherche et de favoriser le partage d’expériences pédagogiques.