Chère communauté de Vie des arts, 

Il est temps pour moi de passer le flambeau de la Direction éditoriale de la revue, après cinq ans en poste à développer les contenus de cette critique d’art en constante évolution, mission à laquelle se dédie Vie des arts depuis 1956. 

Mener une revue d’art est un chemin résolument collectif : c’est un élément que j’ai souvent mis de l’avant pendant mon mandat. D’abord parce que la tribune que nous constituons en tant que média spécialisé fait office de sceau de légitimation pour tout un réseau face à son public. Comme une salle d’exposition nous fait rencontrer les œuvres, une revue nous expose au savoir interdisciplinaire (pour ne pas dire indiscipliné) qui est créé par l’art. L’éventail des écritures s’inscrivant dans un programme éditorial doit ainsi faire œuvre collective : l’ensemble des éléments doit tendre vers un décloisonnement de nos visions sur le monde, doit porter des voix le plus équitablement possible, et doit pouvoir aussi être libre de sa propre créativité. Manier un programme éditorial, c’est comme tenir entre ses mains un mégaphone et porter la voix des autres. Si le dispositif d’une revue, à la base, cherche à rendre visibles les œuvres des artistes, je dirais aussi qu’il sert à amplifier l’impact qu’un·e auteur·e peut avoir dans l’espace public par les sujets qu’elle ou il aborde. La revue, comme un canal d’écoute et de diffusion, agit parmi d’autres canaux pour que s’exprime la pensée sur l’art. Elle est donc loin d’agir en silo, même si nous avons le sentiment persistant de ne pas avoir, dans les plus grands médias, la chambre d’écho que nous espérerions pour faire comprendre l’art actuel. Il nous faut donc demeurer solidaires de ces structures qui protègent l’énonciation de nos cultures et leur constante actualisation, et surtout, demeurer critiques des conditions précaires dans lesquelles elles opèrent. 

Quelques mots sur l’écriture. Au Québec et au Canada, peu d’auteur·e·s bénéficient d’un réel soutien pour exercer ce « métier » de la critique d’art. La très grande majorité des écrivain·e·s que j’ai eu le plaisir de publier portent de multiples chapeaux : elles et ils sont tantôt commissaires, font du travail culturel au sein de nos organismes, font de la recherche – de manière autonome ou dans les universités –, sont muséologues, artistes, ont un statut de salarié·e dans d’autres instances, ou encore font du travail autonome en rédaction, révision, traduction, consultation, etc., pour ne donner qu’une vue d’ensemble. On occupe tous·tes tellement d’autres métiers avant, pendant et après l’exercice de l’écriture ! Cette seule condition matérielle et économique rend impossible la création d’une critique d’art hors de tout contexte. La critique est donc résolument vivante et incarnée, elle jaillit du bas, de très très près du terrain de l’art. S’il est vrai que dans certains contextes la critique d’art peut participer à consolider les fondements de certaines classes (esthétiques, hermétiques, politiques), voire à agir comme gate keeper, en aucun cas elle ne devrait être érigée en vérité ou en autorité. Dans le cadre de mon mandat, j’ai pu observer différents héritages de l’écriture sur l’art, à Vie des arts comme dans d’autres sphères, et j’ai cherché explicitement à accueillir au sein de la revue des styles variés et à porter des voix reflétant tantôt la recherche, tantôt l’énonciation plus subjective. Si cette dernière pouvait se faire un peu plus frileuse, un peu plus timide, selon les générations d’attaches et les parcours théoriques, elle peut à mon sens jouer un rôle important dans les premiers élans de décloisonnement de la pensée. Il faut ainsi célébrer la subjectivité inhérente à son exercice et honorer la responsabilité qui vient avec son énonciation dans un canal officiel. La « critique d’art » ne peut pas être le fruit d’une recherche purement objective et empirique ni être le fruit du désir individuel, tout comme la posture d’autorité qu’elle présuppose ne devrait pas être utilisée pour légitimer l’opinion d’un·e auteur·e unique ; elle doit plutôt s’énoncer dans des formes multiples et collaboratives, et prendre le pouls des conditions mêmes qui nous permettent de jouir de cette expression publique.  

Rendre les processus éditoriaux plus collaboratifs, cela a été l’orientation de toutes mes actions à titre de rédactrice en chef, puis de directrice éditoriale : je crois fondamentalement que c’est en créant des canaux de partage des connaissances que l’on peut soutenir de véritables actions critiques, celles-ci au fondement de l’art. Dans la refonte globale des contenus de la revue et de son identité graphique que j’ai eu la chance de mener pendant les cinq dernières années, je me suis attardée à célébrer la relation existant entre éditrice et auteur·e·s comme matrice de partage, à faire de la revue une porte d’entrée pour des plumes variées, à rendre les décisions éditoriales plus collectives, à faire des ponts entre différents partenaires pour dupliquer la portée de nos sujets, tout en faisant de la place à des articles traitant d’enjeux structurels touchant le milieu de l’art. Prendre ces avenues a été possible parce qu’elles répondaient à de réels besoins de la communauté artistique, c’est-à-dire avoir une tribune à l’écoute de l’expertise résidant dans l’art et dans la recherche-création, pour la faire valoir devant un public plus large, que l’on sous-estime parfois dans l’étendue des plus grands médias, mais qui pourtant, demeure curieux et ouvert à toute la pluralité de la création contemporaine.  

Je termine ici en nous souhaitant la souplesse et l’ouverture nécessaires à la prise de risque, et ce, malgré les conditions précaires du travail culturel. C’était un immense honneur de pouvoir porter cette vision éditoriale, d’avoir pu la transformer, et d’avoir contribué directement à faire fleurir en son sein ce réseau professionnel de l’art, dont les membres pourront maintenant trouver en Vie des arts un véhicule d’expression, et surtout, un espace de collaboration. Au plaisir de maintenant devenir, à mon tour, lectrice de cette plus ancienne revue d’art francophone au Canada. 

À bientôt ! 

Jade Boivin