La genèse de Polygone

Ce projet de nouveau prix dans le milieu artistique a été longuement mijoté. En se liant, Vie des arts et le Conseil des arts de Montréal souhaitaient réunir les ingrédients nécessaires pour trouver une nouvelle manière de célébrer ce qui glisse, ce qui se retrouve en marge et est parfois invisibilisé dans les critères d’autres prix qui visent, généralement, à reconnaître des pratiques d’artistes dont le parcours est déjà en partie tracé. L’image du polygone, arrivée tout bonnement, a permis de situer une recherche commune : celle permettant d’embrasser et de porter un nouveau regard sur les démarches actuelles. Par leurs multiples facettes, ces dernières éclairent autrement le monde et permettent de dire autre chose sur lui. Il faut le saluer.

Des finalistes de grande qualité

Les trois finalistes de cette première édition du prix s’inscrivent très bien dans cette mouvance : ils et elles ont des pratiques singulières qui favorisent la production d’une pluralité de connaissances sur soi et nos environnements, en lesquelles nous croyions et que nous souhaitions valoriser. 

D’abord, à la croisée des arts et des sciences, Tina Lam façonne une relation processuelle avec le territoire. Ses récentes œuvres sculpturales et performatives se caractérisent par l’hybridation du matériel, de l’haptique et du mystique. Elle fait ainsi naître des formes abstraites qui racontent autrement nos liens avec les forces naturelles qui nous entourent. Sa candidature et son travail se sont illustrés auprès de notre jury, réuni à l’occasion d’une délibération qui s’est tenue à l’été 2024. La pratique de Lam a interpellé les membres de cette discussion en raison de l’acuité du regard qu’elle porte sur la relation qu’entretient l’humain·e avec la nature qui l’environne. Lam semble développer une réflexion qui se raffine avec le temps, tangible à travers ses explorations qui suivent une courbe évolutive.

© Elisa Desoer / Conseil des arts de Montréal.
Photos: 1. Tina Lam; 2. Julianne Sato-Parker; 3. Tina Lam.

De son côté, Jean-Pierre Mot emploie plusieurs stratégies pour produire ses mises en scène esthétiques aux propos culturels forts. L’humour fait notamment partie de son travail, et lui permet d’aborder de front des sujets sensibles comme les tensions de pouvoir et celles identitaires qui naissent dans des contextes transitoires ou diasporiques relatifs au phénomène migratoire humain. Sa candidature et son travail se sont illustrés auprès de notre jury, visiblement interpellé par le caractère nomadique de la pratique de Mot, qui a retenu de sa candidature la force d’une proposition dont les contextes de diffusion, du fait de son aspect in-situ, sont pluriels et variés, et constamment redéfinis. Ses réflexions toujours pertinents et très justes ont séduit le groupe, en plus de la touche humoristique, présente dans plusieurs de ses corpus, qui participe à leur accessibilité.

© Elisa Desoer / Conseil des arts de Montréal.
Photos: 1. Jean-Pierre Mot; 2. Est-Nord-Est; 3. Jean-Pierre Mot.

Enfin, Pascale Tétrault infiltre le milieu artistique à partir de plusieurs postures, comme entre-autres celles d’artiste et de technologue, pour sonder des enjeux historiques et sociopolitiques liés à la production industrielle et à l’évolution technologique. Sa démarche, ancrée dans l’interdisciplinarité, s’intéresse aux différents régimes de langage et, plus largement, aux tenants et aboutissants du domaine technique. Sa candidature et son travail se sont illustrés auprès de notre jury en raison de la pertinence de la posture qu’ils défendent: dépliant sa pratique en trois axes, à savoir la recherche, la pédagogie et la pratique, et adoptant un rôle pivot dans son milieu, notamment au moyen de son emploi de technologue, l’artiste s’offre des conditions propices à un développement perpétuel de ses explorations et réussit à favoriser son (r)apport constant avec et dans sa communauté.

© Elisa Desoer / Conseil des arts de Montréal.
Photos: 1-2. Félix Deschênes, 3. Ariane Labrèche.

L’éventail de sensorialités et de logiques sollicitées par les pratiques de nos finalistes rend bien tangible leur inscription dans la multiplicité de facettes du milieu actuel évoquées par l’image du polygone. Figure aux milles arêtes, elle projette comme les artistes des vues nombreuses, parfois incisives, d’autres fois poétiques, sur notre monde.

Un lauréat annoncé!

Que de discussions pour en arriver à ce choix! À la suite d’une délibération haute en réflexions, le jury a décidé de saluer et récompenser la pratique de l’artiste nomade Jean-Pierre Mot qui, tentaculaire, est à l’intersection du ready-made, du collage, de la vidéo, de la performance, du numérique et de ses liens connexes. Sa démarche révèle un univers complexe d’une grande richesse visuelle où se nouent des liens inattendus entre objets, formes, récits et matières. Vie des arts et le Conseil des arts de Montréal sont ravis de s’unir dans cette célébration et reconnaissance du caractère inédit, intelligent et ingénieux de sa pratique.

Notre premier Prix Polygone récompense ainsi un artiste dont la pratique, selon le jury, explore tout à fait des avenues de recherche marginales et innovantes. Seul prix du genre à Montréal, il s’accompagne d’une bourse de 10 000 $ remise par le Conseil des arts de Montréal ainsi que d’un texte de fond, qui paraîtra chez Vie des arts, et dont le ton permettra de fouiller l’unicité de la pratique du lauréat.