On a peu parlé des effets de la pandémie sur le secteur des arts visuels depuis le début de la crise, et ce, en dépit des nombreuses conséquences que celle-ci a entraînées sur les artistes, les travailleuses et travailleurs culturels et les organismes du milieu (1). Ces effets se manifestent à la fois sur le plan des revenus, des opportunités professionnelles, de la gestion des carrières et de la santé mentale, et affectent différemment les artistes en fonction de certains facteurs tels que l’identité de genre, l’appartenance à un ou des groupes marginalisés, le statut familial, le statut de classe, etc.
Si le milieu a toutes les raisons de se réjouir de la réouverture des musées et autres lieux de diffusion, qui a été autorisée dès la semaine du 8 février dernier, cette annonce ne saurait oblitérer les conséquences de la pandémie qui sont à prévoir à plus long terme. Parmi les effets que l’on peut anticiper, notons les difficultés d’intégration de la relève artistique et l’augmentation de la précarité institutionnelle. Dans le contexte où les activités de nombreux organismes, programmées jusqu’à deux ans à l’avance, sont reportées de plusieurs mois ou même annulées, on peut notamment s’attendre à ce que les « valeurs sûres » soient privilégiées au détriment de l’expérimentation et de la prise de risque. De plus, le caractère temporaire des programmes de soutien du revenu tel que la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE), dont bénéficient toujours des millions de personnes à travers le Canada, constitue également une préoccupation importante au sein des milieux artistiques. Dans ces circonstances, différentes initiatives ont été développées dans le but de soutenir les artistes et leurs milieux.
Un soutien public contesté au Québec
Au niveau du soutien aux secteurs artistiques en temps de pandémie, les aides accordées par le gouvernement du Québec se sont concentrées sur les organismes culturels2. Si elles ont permis de préserver des structures absolument essentielles au fonctionnement du milieu des arts visuels, ces mesures n’ont cependant qu’un effet très marginal sur l’ensemble des artistes, à l’exception des personnes qui y sont liées dans le cadre de relations professionnelles3. L’importante disparité4 que l’on a pu observer entre la variété et le montant des aides octroyées aux organismes et entreprises du milieu culturel comparativement à celles qui ont ciblé les artistes suggère que plusieurs décisions gouvernementales se sont fondées sur une logique court-termiste de ruissellement vers le bas. Selon cette logique, le soutien aux organismes aurait comme conséquence naturelle et automatique le soutien aux artistes, ce qui est loin de correspondre aux réalités du fonctionnement des organismes culturels. Il ne serait d’ailleurs pas exagéré de considérer la gestion de la crise provoquée par la pandémie dans le secteur des arts et de la culture au Québec comme une autre preuve de l’internalisation de certains principes phares du néolibéralisme dans les structures gouvernementales chargées de son soutien et de son rayonnement.
Les initiatives gouvernementales qui encouragent, voire forcent, les artistes à effectuer un virage numérique dans le cadre d’un appel critiqué à la réinvention sont quant à elles susceptibles d’avoir un effet plus direct sur les artistes, leur pratique et leurs trajectoires de vie5. La pandémie a significativement accéléré le processus de numérisation du secteur des arts visuels. Si ce processus ouvre indéniablement la voie à de nouvelles opportunités en matière de production et de diffusion au sein du milieu des arts, il pose aussi et surtout un nombre important de défis et d’interrogations. En effet, dans le contexte où le virage numérique ne s’accompagne d’aucune mesure concrète visant à encadrer efficacement la rémunération et la protection des droits de propriété intellectuelle des artistes, il risque d’appauvrir considérablement les artistes à long terme. Les dangers associés à la numérisation non réglementée des milieux artistiques sont nombreux6 : démonétisation du travail artistique et des œuvres, déstabilisation profonde des critères sur lesquels se fonde le statut de l’artiste, transformation contrainte des rôles que doit revêtir l’artiste face à son public sur les plateformes numériques, incluant l’adoption de stratégies de marketing de soi qui résonnent souvent bien peu avec les aspirations des artistes, etc.
Si le déploiement de nouvelles démarches d’activisme au sein du milieu des arts visuels a pu être observé depuis le début de la pandémie, notons que ces initiatives ont peu adressé l’enjeu de l’amélioration des conditions socio-économiques des artistes.
Des communautés artistiques mobilisées
Dans un monde du travail déjà hautement marqué par une précarité plurielle (économique, professionnelle, identitaire, etc.), la question entourant l’amélioration des conditions de travail et de vie des artistes nécessite de nouvelles formes d’action collective, sans lesquelles les perspectives de transformation saines et justes du milieu apparaissent fortement limitées, voire menacées. Si le déploiement de nouvelles démarches d’activisme au sein du milieu des arts visuels a pu être observé depuis le début de la pandémie, notons que ces initiatives ont peu adressé l’enjeu de l’amélioration des conditions socio-économiques des artistes. Or, les questions touchant aux inégalités, à la justice sociale, à l’accès à la protection sociale ou encore à la pauvreté partagent différentes causes d’ordre structurel qui invite à une (re)définition des luttes menées par les artistes à partir de l’identification de perspectives communes. Au Québec et au Canada, différentes initiatives qui émergent de la base sont en cours.
Au Québec, le syndicat S’ATTAQ, affilié au Industrial Workers of the World (IWW), cherche à mobiliser différentes professions, incluant les artistes en arts visuels, sur la base de leur statut de travailleuses et travailleurs indépendants. En créant des liens de solidarité à partir d’une approche intersectorielle, le syndicat cherche à rétablir la balance du pouvoir qui pèse habituellement à la défaveur des travailleuses et travailleurs autonomes vis-à-vis de leurs employeurs ou leurs clients. S’ATTAQ permet aux individus qui le désirent de rejoindre une communauté aux valeurs anticapitalistes.
Au Canada, une vaste campagne politique visant l’adoption d’un revenu minimum garanti a présentement lieu. Menée par la Coalition canadienne pour le revenu de base, en partenariat avec les milieux artistiques et communautaires de partout au pays, la campagne a bénéficié d’une importante couverture médiatique7. Le revenu minimum garanti apparaît comme une voie particulièrement prometteuse pour soutenir les artistes et les différentes communautés vulnérables. En offrant une stabilité financière, il permettrait effectivement aux artistes de réduire leur dépendance à un ou plusieurs emplois alimentaires pour subvenir à leurs besoins et de respecter leur droit fondamental à vivre dans des conditions décentes, sans égard à leur contribution au marché. Un tel programme aurait également des effets bénéfiques sur leur santé physique et mentale, ainsi que sur leur prédisposition à créer.
L’activisme dans les arts ne constitue ni un nouveau besoin ni un nouveau phénomène, mais les conditions contemporaines dans lesquelles se déroule aujourd’hui le travail d’artiste impliquent de repenser collectivement ses objets et ses méthodes. Bien qu’il n’existe en théorie aucune limite à cet exercice, la gestion gouvernementale de la crise dans le milieu des arts visuels a induit différents obstacles qui s’expriment sous la forme d’une mise en compétition des artistes et de l’individualisation des relations sociales. Dans un tel contexte, la définition et la prise en charge des orientations présentes et futures du milieu ne pourront s’accomplir qu’à partir d’une approche collaborative qui mobilise l’ensemble des communautés artistiques tout en respectant leurs différences.

Que signifier de collaborer avec quelqu’un-e ou quelque chose ? We were awkward at first, but then it was ok aborde cette question à l’aide des collaborateurs imaginaires sous la forme de papier bulle, de mousse mémoire, d’un ventilateur personnel et d’une chaise en plastique.