La renommée de la BIECTR n’est plus à faire : tous reconnaissent qu’elle est devenue une institution tant au niveau local qu’international. Pour sa onzième édition, la Biennale poursuit sa lancée vers la réactualisation de l’estampe autant dans la forme que dans les sujets des œuvres exposées. Les artistes revisitent les techniques traditionnelles d’impression au moyen notamment des nouvelles technologies, de l’installation et de la photographie, tout en puisant leurs sujets dans les enjeux environnementaux et sociopolitiques actuels : bouleversements climatiques, société de consommation, héritage culturel, entre autres.

Fruit de l’effort d’une équipe dynamique guidée par la directrice générale et artistique Élisabeth Mathieu et de partenaires engagés, la BIECTR se déploie cette année dans quatre lieux du centre-ville de Trois-Rivières. Elle met en valeur 53 artistes en provenance de 21 pays qui présentent 280 œuvres choisies par un jury de spécialistes. La biennale conçoit parallèlement différentes expositions satellites dans des centres de diffusion trifluviens ainsi que dans plusieurs lieux des villes avoisinantes. Pour ajouter à cette liste déjà longue, le Musée d’art de Joliette s’est rallié à l’événement pour une première collaboration avec l’exposition De matrice, d’encre et de papier présentée du 8 juin au 8 septembre 20191. La biennale, qui a pris de l’expansion au fil des ans, se définit aujourd’hui comme un véritable réseau d’expositions.

« Avis : pensez-y deux fois avant d’imprimer »

Cette mise en garde constitue l’intitulé du texte de l’artiste et président d’honneur de cette onzième édition, François Morelli, écrit pour le catalogue d’exposition. Il nous rappelle que « l’empreinte de l’artiste » peut faire émerger une prise de conscience quant à la reproduction de l’image et à la fabrication de la copie. Produire de la matière doit être un choix responsable, réfléchi et justifié. Cette notice reflète bien le caractère engagé de l’événement.

À cet égard, la série d’œuvres Eyes for Ice (2017-2018) en carborundum d’Ellen Karin Maehlum témoigne de la transformation rapide des paysages arctiques dans la foulée des changements climatiques. Elle nous conscientise à la fonte des glaces qui affecte les communautés nordiques et qui constitue l’un des plus grands défis de notre époque. Parallèlement, Asphyxie, Le legs et Fléau (2017-2018), des encres blanches sur papier noir réalisées au burin par Christiane Roy, mettent en valeur l’empreinte quotidienne laissée par l’humain : bouteilles, pailles et contenants de plastique s’accumulent dans la nature. Dans On ne fait que passer… et Traces (2018), l’artiste présente la banalité désolante de ces déchets sur le bord des autoroutes au Canada et au Mexique.

Sohee Kim, « Bus », 2017, eau-forte, chine collé, 50 x 66 cm, Galerie d’art du Parc. Photo : Sohee Kim

La question de la mémoire, oubliée ou effacée, de certaines communautés est un enjeu pour plusieurs artistes de la biennale. Le Grand Prix de cette BIECTR a été décerné à Emma Nishimura pour son installation An Archive of Rememory (2017), qui interroge l’urgence de préserver les stigmates du passé. L’artiste traduit le souvenir de l’internement des Japonais lors de la Seconde Guerre mondiale en reconstruisant des histoires individuelles et collectives à partir de récits oraux et de photographies de Canadiens d’origine japonaise. Concrètement, ces témoignages prennent la forme de 200 ballots emballés selon la technique traditionnelle japonaise du furoshiki. Alignées sur des étagères dans la première salle du Centre d’exposition Raymond-Lasnier, ces photogravures sur lin et abaca présentent des fragments de visages anonymes. En écho au travail de Nishimura, la série de photogravures Kintsugi Cabins (2015) de Vanessa Hall-Patch, exposée à l’Ancienne gare ferroviaire, est une captation de la dégradation du patrimoine bâti et de l’usure du temps. L’artiste s’est inspirée de l’art japonais du kintsugi, qui sublime les fissures, les bris et les réparations de l’objet, pour mettre en valeur les habitations abandonnées de l’île Bowen, en Colombie-Britannique.

Certains artistes offrent quant à eux un témoignage des maux de notre société contemporaine. Une vision singulière est dépeinte par l’artiste québécoise Bonnie Baxter, lauréate du prix Télé-Québec. Dans une réinterprétation du monde, l’œuvre en bois gravée au laser intitulée Horsey Rat (2018) repousse les limites de la figure humaine par la représentation d’étranges rats anthropomorphes. Le sentiment d’une inquiétante étrangeté est également perceptible dans les eaux-fortes de Sohee Kim, dont Bus (2017). Sous un angle humoristique cette fois, l’artiste sud-coréenne critique la surpopulation et ses répercussions dans les transports en commun qu’elle réduit à des boîtes de sardines.

Les artistes revisitent les techniques traditionnelles d’impression au moyen notamment des nouvelles technologies, de l’installation et de la photographie, tout en puisant leurs sujets dans les enjeux environnementaux et sociopolitiques actuels

L’ouverture des sens

Le son est à l’honneur dans cette onzième édition. Les compositions poétiques de l’auteure Vanessa Bell émaillent le parcours d’exposition. Ces textes sont non seulement affichés sur les cimaises des lieux, mais ils sont aussi disponibles à l’écoute. À partir d’une application téléchargeable sur un appareil intelligent, les visiteurs peuvent entendre la voix de Bell qui décrit les sept regroupements thématiques de l’événement : témoigner, singulariser, contempler, exprimer, tracer, conceptualiser et détourner2.

Le sonore est également intégré aux œuvres. Il est mis à profit dans l’installation multimédia Maré (2015-2017) d’Ernesto Bonato, lauréat du prix Invitation Presse Papier, où environnement et technologies se rencontrent. À l’entrée du Musée Pierre-Boucher, le fleuve Saint-Laurent, réduit à des lignes noires et blanches gravées, apparaît sur grand écran. Des sons subtils habitent l’espace d’exposition, créant une ambiance poétique. Ici, c’est une nature préservée, hors de tout problème environnemental, qui est présentée. Expérimentée par les sens, l’œuvre amène à revisiter l’écologie sous un aspect contemplatif.

La forme installative favorise l’observation d’écosystèmes naturels dans le travail de Julie Bellavance, lauréate du prix Loto-Québec artiste de la relève du Québec. Par sa série Balanomorpha (2018), elle revisite avec précision des crustacés en les réduisant à leur texture. La force de l’œuvre réside dans sa mise en espace : grâce à leur disposition sur table, les planches de lithographies révèlent de nombreux détails et permettent l’observation de ces formes organiques.

Il est bien sûr difficile de fournir un aperçu intégral de cet événement foisonnant qui attire des artistes de toutes générations. Plusieurs œuvres méritent que l’on s’y attarde pour les questionnements suscités et leur tour de force graphique, dont le travail de Virginie Parr, lauréate du prix Loto-Québec artiste émergent du Québec, ainsi que les œuvres d’Isabel Mouttet et de Mathieu Van Assche qui ont chacun obtenu une mention honorable du jury.


11e Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières
Du 16 juin au 8 septembre 2019
Plus d’information ici.

(1) L’exposition présente les artistes Bonnie Baxter (Canada), Monika Brzegowska (Pologne), Jenny Robinson (États-Unis) et Tomasz Winiarski (Pologne). Soulignons également les œuvres d’Isabelle Clermont à Atoll art actuel ainsi que le travail de Cara Déry au Centre d’art Jacques-et-Michel-Auger du 5 juin au 24 août 2019. Plusieurs activités sporadiques sont également prévues en parallèle des expositions. Consulter le programme en ici.

(2) Les enregistrements de l’auteure sont disponibles pour l’écoute sur le site web de la BIECTR.