Pour sa première exposition dans un musée, Aydin Matlabi a opéré une sélection parmi différents corpus issus des expéditions documentaires qu’il a faites dans son Iran natal à l’occasion de sa maîtrise en photographie à l’Université Concordia entre 2007 et 2009. Il s’agissait initialement de lever le voile sur les voies discrètes qu’emprunte la vie sexuelle sous un régime islamiste, notamment en détournant subtilement le voile de sa fonction assignée d’oblitération pour en faire un signe de séduction. Or, la résistance politique ouverte s’imposa comme nouveau sujet quand l’artiste se trouva pris au milieu du mouvement « vert » de protestation contre la réélection frauduleuse d’Ahmadinejad au printemps 2009. Il fut ainsi l’un des rares Occidentaux à pouvoir témoigner de ce prélude au printemps arabe, bientôt étouffé par une répression impitoyable. Matlabi réussit à quitter le pays juste à temps pour lui échapper, se sachant désormais exilé pour de bon — ou du moins jusqu’à l’inévitable relève des générations auxquelles son travail donne des visages, d’autant plus poignants que l’on n’ose imaginer le sort qu’ils connurent ensuite. Surtout, il les a saisis non pas dans un moment de détresse, mais rayonnants de confiance en leur force collective et leur dignité personnelle. Le photographe dut gagner cette confiance auprès de chacun de ses sujets pour des prises de vue qui n’avaient rien de furtif, puisqu’il les prenait en grand format avec un appareil argentique à trépied. Pour les portraits, il fallait qu’ils l’admettent dans l’intimité d’un espace privé, ou alors semi-public, tel un cadre naturel. Pour les scènes de foules, il trouva en leur sein des complices pour le masquer aux yeux de la police.

Symétries et dissidences

Un parti pris d’esthétisme, en dialogue avec les beaux-arts, préside à la composition des clichés comme à leur agencement dans les deux salles d’exposition, selon une répartition symétrique en miroir autour du point de fuite. Ainsi, trois séries de sept œuvres occupent la salle principale, chacune sur son mur étant constituée de paires disposées de part et d’autre d’un cliché central impair, lui-même dominé par une figure verticale solitaire. Sur le mur central, consacré aux manifestations révolutionnaires, c’est un homme Haut perché sur un kiosque à journaux, figurant le soulèvement des masses ; à sa droite, entre des portraits de jardiniers, c’est une aubépine Toba se tenant elle aussi fièrement seule au milieu des bosquets d’un vallon ; sur le mur du fond enfin, entre portraits de jeunes gens et paysages naturels, une belle blonde se tient contre un mur Sans voile noir.

Le maquillage et d’autres signes de dissidence (croix au cou et piercing au menton d’une blonde en débardeur !) sont mis en évidence sur les portraits intimes du mur gauche d’une salle secondaire, dont une table noire aux angles irréguliers entrave subliminalement la navigation comme les meubles d’un intérieur privé, tout en faisant écho visuellement aux tchadors noirs du côté droit, menaçants, déprimants ou au contraire réjouissants — ainsi lorsqu’ils révèlent des sourires gouailleurs ou une gitane de Goya. De même, sur l’immense agrandissement qui ouvre l’exposition, Les hôtes du Prophète rassemblés en famille pour quelque fête déambulent-ils selon des trajectoires entre­croisées rappelant l’énigmatique manège de La rue de Balthus, sur l’arrière-plan d’arcades temporaires vues de biais comme des décors en trompe-l’œil dont nul n’est vraiment dupe.

Qui dira quel autre Iran attend son heure, l’air de rien, à la faveur du subversif quant-à-soi quotidien que l’artiste semble attribuer à ces drôles de paroissiens ? Sans doute, jouxtant cette scène, L’enfant sur un toit qui nous dévisage calmement du haut de ses deux ans.