« Inacceptable ! », tel est le mot, estime Guylaine Beauchemin, qui résume le sentiment qui habite la trentaine d’œuvres qu’elle expose à la Galerie Valentin. Indignée et en colère, elle reconnaît pourtant que les grandes abstractions qu’elle confectionne inspirent paradoxalement beaucoup de douceur. Les teintes sont souvent pastel : des roses, du lilas, des bleus pâles, des verts qui rappellent la complexité discrète de la nature. Cette association au monde végétal se retrouve aussi dans les formes qu’adopte l’artiste. Dans ses champs très colorés, on entrevoit effectivement beaucoup de rondeurs, des ovales, comme les feuilles schématisées de plantes imaginaires. On peut penser qu’elles atténuent le sentiment d’indignation de l’artiste.

Deux tendances divisent les œuvres de l’exposition. Dans la première, nous avons affaire à de grandes plages de couleurs assorties de petits motifs répétitifs. Ces représentations ne recèlent pas de profondeur. À les regarder, on pourrait même croire à des vues aériennes où tous les objets ont été aplatis. Peinture et dessin se côtoient, mais se combattent dans ces œuvres « mixed media » où l’on sent que le dessin fait office de fondation, structure que la peinture vient ensuite dissimuler. Les contours de la peinture sont rarement autonomes, le dessin vient presque toujours les rattraper et ajoute une frange. Par endroits, comme si on voyait le fond de la toile, l’œil découvre des coups de crayon désordonnés, pareils aux gribouillis aléatoires laissés sur le pupitre par des générations d’écoliers qui s’ennuient. Ces détails ont aux yeux de l’artiste « l’importance du criquet » : ils comptent beaucoup bien qu’ils soient modestes.

Dans l’autre série, une figure se détache bien nettement sur un fond uni. Le dessin forme de grandes arabesques et esquisse un spécimen botanique. Le crayon et le fusain conservent l’hésitation du sketch, et la peinture, avec de larges plages, vient ensuite couvrir certaines parties de façon opaque ou semi-transparente. Ce jeu de révélation et de dissimulation est important. Il augmente, bien sûr, les effets de volume, mais c’est aussi ce procédé qui attise la part du mystère. Il se dégage de ces figures une impression d’étrangeté, car leur utilité nous échappe, mais les couleurs paisibles et la douceur des formes permettent une expérience sensorielle agréable.

Dans ce groupe d’œuvres, une peinture intitulée Le chant du criquet tranche et ose virer vers la figuration. Dans un flot de rose, de mauve et de jaune, la silhouette allongée d’un homme à chapeau apparaît. Sur sa poitrine, peut-être à la place du cœur, des ronds de couleurs concentriques dessinent une cible. Le style du dessin fait un peu vieillot et rappelle l’esprit de certaines illustrations des années 1970. L’artiste se donne assez de liberté pour, au besoin, traverser la frontière de l’abstraction pour aller voir ce que peut apporter ici ou là une forme reconnaissable.

Au sein du perpétuel combat qui anime les œuvres de Guylaine Beauchemin, le dessin, presque toujours, triomphe de la peinture. Il est libre, assuré, fier de ses erreurs. En regardant certains tableaux, on peut imaginer que le dessin explose et prend une telle expansion qu’il finit par couvrir toute la surface. Si c’était le cas, il en ressortirait un travail plus nerveux d’où surgirait peut-être l’expression d’une violence que l’on sent contenue chez cette artiste. Féminines, délicates et créées dans une grande spontanéité, les œuvres de l’exposition L’importance du criquet témoignent d’une année mouvementée et interrogent sans doute les chemins qui s’ouvrent. 

GUYLAINE BEAUCHEMIN L’IMPORTANCE DU CRIQUET
Galerie Valentin, Montréal
Du 19 octobre au 2 novembre 2013