Depuis la forme, la matière et jusqu’à la couleur, les œuvres d’Isabelle Leduc renvoient les échos d’un dialogue soutenu entre des formes issues de sa mémoire et des formes relevant d’un lointain modèle de référence, une sorte d’archétype.

L’exposition Ici et là présente, réparties dans deux salles, vingt et une œuvres récentes et plus anciennes (1984-2015) dont dix-neuf sculptures-papier-bois, car l’artiste aime apparier ses créations par jeu et produire des séries.

Dans la salle claire, Ici réunit les formes épurées aux couleurs saturées, tandis qu’au cœur de la salle sombre contigüe, la partie inti­tulée , s’immiscent des œuvres empreintes d’onirisme ; il s’agit de réminiscences archéologiques et ethnographiques, dont les couleurs qui se superposent caressent sourdement les surfaces en une sorte de sfumato de souvenirs d’enfance, de paysages, de visites de châteaux et d’églises. L’artiste maîtrise les différences physiques des deux salles d’exposition avec finesse ; une dichotomie qu’elle transforme en un continuum espace-temps soucieux du sens et de l’harmonie esthétique.

La série permet d’approfondir l’art d’Isabelle Leduc qui « oscille, dit-elle, entre l’objet et l’abstraction », afin de rendre potentiellement visibles des aspects qui autrement auraient pu échapper au regardeur. Matisse, dit-on, reconnaissait que les couleurs n’agissent pas isolément, elles interagissent toujours avec celles qui les entourent. Certes, la forme prévaut sur la matière, mais tempère l’artiste profondément marquée par les color fields de l’Américain Mark Rothko : « La couleur est l’élément le plus important. C’est ce qui donne un sens à ma pièce. » La couleur fait que l’œuvre est achevée. Dans la série des ixe, l’artiste s’est « obstinée sur la couleur » pour reprendre ses termes. L’ixe magenta a fait l’objet d’une recherche laborieuse et de plusieurs couches avant de parvenir à sa couleur définitive.

« Je suis fascinée par l’architecture », déclare Isabelle Leduc. Très tôt, elle développe une sensibilité aigüe pour la culture et l’histoire aux côtés de ses parents, les artistes Fernand Leduc et Thérèse Renaud. L’on trouve aussi des traces des nombreux voyages qu’elle a effectués, adulte, notamment, en Italie et au Mali, dans son travail de saturation de la couleur et de recherche sur les variations d’intensité et de profondeur.

Circonscrire de nouveaux espaces

Plutôt que de disposer ses œuvres chronologiquement, Isabelle Leduc les met en relation, en les articulant dans l’espace de manière à ce qu’elles se répondent, tantôt d’un point de vue référentiel : les inséparables Amphore turquoise et Amphore lavande se trouvent en triangulation avec la calebasse stylisée Grande urne (2014) posée à l’extrémité de la pièce ; ailleurs, une Lune rouge (1996) parachève Dracula II (1984) avec humour ; tantôt d’un point de vue formel : les longilignes Ovale tronqué et Ove bleu-nuit 1 (datant toutes deux de 1989), à proximité de Grande urne. Enfin, les récentes Soutache jaune de Naples et Soutache bleu, dont la modernité rappelle la primarité essentielle chère à Brancusi qui accordait une importance capitale à la relation de ses sculptures avec l’espace qu’elles occupaient.

En exploitant le vide et le plein, l’artiste élabore des espaces de création « hors l’œuvre ». Dans Paire violet-bleu (2010) et dans les Soutache, les parties du tout en définissent les contours de façon éphémère : en l’occurrence le temps de l’exposition. Plusieurs sculptures-papier-bois, au demeurant fort complexes, explorent le vide et le plein, mais à l’intérieur de l’œuvre, tel Objekt (1988), casque guerrier au centre duquel se dessine une arche romane.

La perception dans l’espace force l’artiste à prendre du recul. Si ce recul salutaire invite à la réflexion, la manière de faire naître l’œuvre relève de l’action, d’une gestuelle vigoureuse des mains qui transforment la matière poreuse, la pulpe de papier, qui la sature de couches superposées de couleur fluides pour atteindre la matité souhaitée et poser le papier encore humide sur une mince feuille de contreplaqué ou bien tendre le papier sur des baguettes de bois, conférant à l’œuvre sa forme définitive.

L’artiste fabrique. Cela remonte à 1979 où, invitée à Fiber Change par la Peter White Gallery, à Banff, au cours du Banff Festival of the Art, Isabelle Leduc a découvert la merveilleuse matière papier. Aux airs faussement fragiles, ses choses-papier fabriquées sont en réalité d’une grande résistance. Au fil du temps, leurs formes vont en se simplifiant comme pour mieux accorder prépondérance à la couleur.

Notes biographiques

Née à Paris en 1949, Isabelle Leduc vit et travaille à Montréal. Elle participe régulièrement à des expositions individuelles et collectives, tant au Canada qu’à l’étranger, notamment, en Colombie et en Autriche. Ses œuvres font partie de collections muséales, corporatives et privées. Depuis 2000, elle est représentée par la Galerie Graff, à Montréal.

ICI ET LÀ – RÉTROSPECTIVE. Maison de la culture Marie-Uguay, Montréal. Du 9 mars au 24 avril 2016