Été 2016. L’artiste multidisciplinaire Giorgia Volpe est « partout » : exposition inaugurale du pavillon Pierre Lassonde à Québec, solo à Rivière-du-Loup, résidence à La Pocatière, en action aux Passages Insolites dans les rues de Québec. La production foisonnante de cette artiste d’origine brésilienne compte deux grandes ramifications qui abordent tantôt le collectif, tantôt l’intime.

Multidisciplinaire, le travail de Giorgia Volpe porte sur la relation qu’entretient le corps humain avec son environnement physique ou social. L’artiste distingue toutefois deux lignes parallèles sur cet axe : d’une part, l’art relationnel où les œuvres sociales et coopératives font appel à la mémoire collective, d’autre part, l’expression connotant la mémoire sensorielle et affective de l’artiste – mettant en scène son propre corps – qui nourrit ses performances de photographies ou de vidéos.

Le travail de Giorgia Volpe fait référence à l’univers domestique, notamment dans le choix de techniques traditionnellement associées aux femmes : courtepointe, crochet, dentelle sont l’occasion d’interventions directes et le motif d’œuvres collectives qu’accompagne souvent un discours social.

L’artiste s’intéresse aux ressources parcimonieuses et en fait l’objet d’une remise en question. Le Musée québécois de l’agriculture et de l’alimentation a présenté (été 2016) une installation qu’elle a réalisée en duo avec l’artiste française Annick Picchio à l’occasion d’une résidence à Vrille art actuel (La Pocatière). On y retrouve ce qui pourrait être le laboratoire-atelier de l’artiste, dans cette zone temporelle ambiguë et expérimentale où le travail est en gestation, comme dans une matrice. Préoccupations environnementales, survie alimentaire, semences, bétail, cultures sont répartis dans un cabinet de curiosités surréaliste où des animaux naturalisés côtoient des instruments agricoles, des échantillons de semences et du mobilier rempli de terreau.

Une exposition-bilan

Une démarche aussi vive et mouvante est difficile à saisir et à circonscrire ; pourtant, c’est le défi que s’est donné Carl Johnson, commissaire de l’exposition Tisser l’existant. Il s’agit d’une exposition-bilan bien orchestrée qui rend hommage à la sensibilité de Giorgia Volpe et à la diversité de ses interventions.

L’art de Volpe se singularise dans la mesure où le processus collaboratif qui le soutient conditionne l’esthétique des œuvres. Ce n’est pas par hasard si l’exposition commence par un objet trouvé : un petit tapis tissé de fibres plastiques recyclées, artefact postmoderne qui rappelle l’esthétique des objets créés par Volpe. Ces artefacts volpéiens sont souvent les aboutissements d’une performance de l’artiste, parfois ils résultent d’un processus participatif avec des gens de la collectivité. Dans ce cas, les maladresses participent à l’esthétique des œuvres qui sont ainsi assumées, mises à l’épreuve.

L’exposition propose une série d’œuvres vidéo de l’artiste : de courts films d’animation, des extraits de performances qui permettent d’appréhender un peu l’esprit des gestes de Volpe. Au fond de la salle, un diapo­rama montre l’artiste en action ; on y voit les œuvres dans leur contexte au cours du processus de création ou utilisées lors de performances.

Certaines actions performatives donnent naissance à des œuvres graphiques de très belle facture ; tel est le cas des grandes impressions photographiques des Baluchons où l’on aperçoit des ballots de vêtements dans chacun desquels se cache un être humain. Cette métaphore renvoie, bien sûr, aux déplacements de populations et de réfugiés, transbahutés de par le monde comme des paquets de chiffons.

Plastique et formalisme

L’exposition éclaire la démarche plus formelle de l’artiste en considérant l’usage qu’elle fait de matériaux tirés de la vie quotidienne. Elle se sert notamment d’imprimés publicitaires qu’elle détourne, réassemble ou métamorphose dans des installations. Chez Volpe, le formel s’allie au concept, car la symbolique du geste (l’accumulation) et le choix du matériau (souvent pauvre) deviennent richesses sémantique et visuelle.

Parmi les œuvres plus explicites, on peut mentionner des dessins à l’encre d’études de nœuds, des bas-reliefs en papier découpé (impressions numériques recyclées) qui se déploient comme des fleurs. D’autres assemblages en grilles de moustiquaires évoquent de grands insectes stylisés.

Mais, la plupart du temps, chez Giorgia Volpe, l’œuvre visuelle n’est jamais prédéterminée. Elle est souvent directement reliée à une action dans le temps qui ne serait pas nécessairement programmée pour avoir une fin. L’aspect inachevé de ses créations les transcende ; il tient autant au geste qu’au caractère du matériau. La répétition, la récupération, le processus de fabrication des objets issus de techniques traditionnelles comme la vannerie, le tricot et le tissage sont intrinsèques à l’esthétique familière, mais aussi particulière – quoi qu’il en soit, toujours en mutation – de l’art de Volpe.

Si l’artiste revendique les rapprochements entre les humains par l’art – en tant que moyen de communication, de réunion et de partage, mais aussi en tant que vecteur d’une certaine forme d’activisme – les thèmes de la féminité, de la maternité et de la quête de solidarité sont prépondérants. Cet univers maternel constitue une matrice figurée, un espace social convivial. Les tuyaux bleus utilisés dans les érablières, qui façonnent certaines œuvres comme Naturellement, sont comme des vaisseaux nourriciers. La référence à l’eau d’érable serait-elle un clin d’œil à sa patrie d’adoption ? Le ruban inaugural du pavillon Pierre Lassonde au Musée national des beaux-arts du Québec en juin dernier prolongeait l’œuvre Tapisserie (2016), une œuvre collective représentant un immense tapis réalisé avec un cordon tressé de sacs de plastique recyclés. C’est ce cordon (ombilical ?) qui a été coupé. Que dire de plus ?

« J’entreprends le geste. Je propose sans imposer. Un geste commun et familier qu’il faut peut-être réapprendre. Il démarque et ponctue le quotidien et, petit à petit, devient monumental. À travers lui, nous pourrions retenir le temps entre nos mains. Je te propose un espace de mémoire : mémoire des lieux, mémoire du corps, des gestes de l’enfance. Cet espace se définit par une corde qui lie moi à toi. Un parcours circulaire se dessine dans l’entrecroisement de nos gestes et de nos histoires, des récits, des fragments de vie formant un immense tapis tressé. » – Giorgia Volpe 

Notes biographiques

Giorgia Volpe est née à São Paulo (Brésil). Elle vit et travaille à Québec depuis 1998. Elle a participé à plus d’une centaine d’expositions, inter­ventions publiques et résidences d’artiste au Brésil, à Cuba, au Canada, aux États-Unis, au Mexique et en Europe. Son travail a été montré à l’occasion de plusieurs biennales et symposiums internationaux, dont la Biennale Internationale de Design de Saint-Étienne en France (2013) et le Symposium d’art contemporain de Baie Saint-Paul (2013). Elle a également participé à la Manif d’art de Québec (2014) et au Symposium International d’art-nature les Jardins du précambrien à Val-David (2015). Ses œuvres font partie de nombreuses collections publiques et privées, dont celles du Musée national des beaux-arts du Québec, de la Collection Loto-Québec et du Musée d’art moderne de São Paulo (Brésil).

Giorgia Volpe Tisser l’existant
Commissaire : Carl Johnson
Musée du Bas-Saint-Laurent, Rivière-du-Loup
Du 9 juin 2016 au 8 janvier 2017