Artiste espagnol foncièrement nomade, Isaac Cordal (né en 1974) s’est d’abord fait connaître à titre de membre de Alg-a.org, un collectif d’art numérique de Galice, puis des groupes Ludd34560 et Sr. Pause. Guitariste métal avec Dismal (1992-1998) il a su, ces dernières années, tirer profit du web pour propager son travail de photographe et de sculpteur, notamment la série Cement Eclipses devenue virale.

Depuis quelque temps déjà, Cordal photographie les figurines en ciment ou en résine qu’il conçoit et place dans des mises en scène urbaines inusitées. Ses installations éphémères, portées par un discours social, politique et écologique, sont diffusées sur le web ou imprimées. Ces petits hommes, installés dans des espaces « manipulés » et détournés, font se télescoper les échelles, créant des images aux étonnantes tensions, tant sur le plan formel que narratif. En ces temps de désolation et de catastrophes, ces personnages de taille réduite qui n’en font qu’un, symbolisent autant des individus communs (badauds, employés salariés) que des chefs d’entreprise. Ils semblent subir leur existence et porter sur leurs épaules parfois un peu voûtées rien de moins que le sort de l’humanité !

Par exemple, les photographies et les sculptures intitulées Follow the Leaders montrent un groupe d’hommes en complet-cravate quasiment immergés dans l’eau. Seules leurs têtes — et parfois leurs épaules — émergent : les photos grand format que Cordal tire de ces scénographies sont bluffantes. On y perd toute notion d’échelle et l’on se surprend à se croire en présence de personnages réels immergés dans une mare inondant l’espace urbain. Quant à ce leader, accroché à son téléphone portable, il semble amener ces hommes directement à leur perte vers un inéluctable désastre environnemental dont notre aveuglement collectif et notre ignorance volontaire sont responsables. Tous ces personnages semblent courir droit à la catastrophe ; ils sont les symptômes d’une époque en crise.

Si bien que lorsque le regard embrasse le groupe de figurines immergées dans un coffre en métal posé à proximité, au pied de la photo, on réalise que ces scénographies du minuscule, aussi poétiques qu’inquiétantes, sont d’habiles trompe-l’œil — ou des trompe-l’esprit — qui instaurent par leur échelle même une réflexion sociale, environnementale et humaine qui, après le sourire amusé de la surprise initiale, plombent l’atmosphère avec leur discours déshumanisant.

Ces installations nomades, Cordal les transporte un peu partout dans les pays qui l’accueillent, les replaçant dans de nouveaux contextes : chaque fois différents, mais toujours semblables — on pourrait être agacé par cette apparente redite, mais notre indifférence collective n’exige-t-elle pas que ce propos soit dit et redit, encore et encore ? — elles questionnent l’universalité de l’aveuglement et de la bêtise dont nous semblons affublés ; ou bien notre désarroi devant un individu en perte de repères et de valeurs auxquelles accrocher nos âmes errantes. C’est le cas d’Abstract Emotion où l’on distingue un homme, perplexe, observant un encadrement directement plaqué au mur pour en exalter le revêtement qui s’écaille. Remembrances from Nature montre le même personnage devant un paysage peint se dressant sur un trottoir. Avec son complet un peu fatigué, cet homme semble aveugle à ce qu’il voit, incapable de lire autant que de ressentir ce qu’il ne peut comprendre.

Réflexion sur notre mode de vie, sur le progrès et ses dommages collatéraux, l’œuvre de Cordal vaut d’être vue, mais surtout entendue.

ISAAC CORDAL INERTIE URBAINE URBAN INERTIA. Galerie C.O.A. (Montréal). Du 29 octobre au 28 novembre 2015.