Il s’agissait de la première exposition hors des États-Unis de John Chervinsky qui présentait ici deux séries : Studio Physics et An Experiment in Perspective. Ron Loranger présentait quant à lui Un Certain Rose issu de sa série Les Blobettes.

Ron Loranger, Un Certain Rose

La série Un Certain Rose est issue d’un travail que Ron Loranger a commencé il y a dix ans et qu’il nomme Les Blobettes. Un néologisme venu « de la bouche d’un ami » et qui contient à lui seul tout le travail de l’artiste. Il évoque d’abord le travail sur les formes, des ronds remplis de pigments de couleurs où se mélangent figures abstraites et matière. Il évoque aussi ces bouts de phrases écrites un peu maladroitement et qui viennent s’inscrire entre les dessins. C’est dans le processus créatif de l’artiste que naît ce drôle de langage. Ron Loranger puise son inspiration dans des images et des informations extraites du Web. Il parcourt les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram) ou les journaux en ligne, et dès qu’une image lui semble intéressante, il la capture pour la réutiliser. Cette pratique lui permet « de redonner de la poésie à la banalité » : l’image sortie de son contexte prend alors un autre sens, inventé par l’artiste.

Le travail sur la texture et la couleur intervient plus tard dans le processus. Loranger joue avec des pigments d’aquarelle qu’il insère dans ces formes et qui évoluent au gré du hasard. Tels des organismes vivants observés au microscope, certains sont translucides, d’autres opaques, et tous semblent se mouvoir lentement.

Cette rupture entre l’instantanéité du Web et la lenteur du processus vient interrompre la chaîne du temps des réseaux sociaux d’où sont issues les images. En y insérant sa propre temporalité, l’artiste réenchante le quotidien et questionne le regardeur sur son utilisation des nouveaux médias.

John Chervinsky, An Experiment in Perspective et Studio Physics

C’est sûrement dans sa vie quotidienne à l’Institut de physique Rowland de l’Université d’Harvard que John Chervinsky puise son inspiration. Son expérience de dix-huit ans comme opérateur d’un accélérateur de particules destiné à l’analyse d’œuvres d’art lui « ouvre des possibilités que l’on n’apprend pas dans une école d’art classique », comme il le décrit lui-même.

Les deux séries présentées à la Galerie Youn offraient un bel aperçu des axes de travail de l’artiste effectué au cours des dix dernières années. An Experiment in Perspective illustre bien le lien que tisse l’artiste entre l’art et la science. Deux tableaux noirs servent de plan à son décor, puis Chervinsky y appose des éléments issus de sa propre expérience. Des globes terrestres, de vieilles machines surréalistes et des portraits de scientifiques viennent au premier plan appuyer des équations et des formes géométriques tracées à la craie au second plan. L’artiste engage alors une conversation entre science et philosophie en traitant « de thèmes universels qui sont aussi vrais aujourd’hui qu’ils l’étaient en 1920 ». En ce sens, John Chervinsky semble détacher ses œuvres de toutes références temporelles, en affirmant : « je ne souhaite pas ancrer mes œuvres dans une époque en particulier ».

Pour Studio Physics, le travail de John Chervinsky s’élabore à partir de photos de natures mortes. L’artiste envoie ensuite celles-ci à une fabrique de reproduction de dessin en Chine. Quelques semaines plus tard, le tableau revient pour se joindre à la composition initiale. En intégrant la représentation de son œuvre dans le processus, l’artiste crée d’abord un effet de distanciation dans le regard du spectateur. L’œuvre se meut avec le temps et interroge le visiteur sur son rapport aux autres, comme l’explique Chervinsky : « je souhaite ici créer une conversation sur nos rapports culturels et économiques avec d’autres pays et d’autres gens ».

Les deux séries du travail de John Chervinsky sont empreintes d’humour et d’humanité et entretiennent une conversation constante entre l’individuel et l’universel. 

RON LORANGER UN CERTAIN ROSE
JOHN CHERVINSKY AN EXPERIMENT IN PERSPECTIVE et STUDIO PHYSICS 
Galerie Youn, Montréal
Du 15 mars au 13 avril 2014