Lorsque Stephen Schofield était en résidence de création à Limoges, je lui avais rendu visite dans l’atelier du CRAFT1. L’artiste réalisait alors les premiers moules de son œuvre Florès. Depuis, il a achevé ses sept sculptures en biscuit2 représentant le même garçonnet nu, bras croisés sur la poitrine, tête rejetée en arrière. Schofield s’est servi de l’une des particularités de la porcelaine pour concevoir cet ensemble : à la sortie du moule, la sculpture rétrécit d’environ 15 % au séchage. De sorte qu’un Florès sort du four et qu’une fois sec, l’artiste s’en sert pour réaliser un nouveau moule, et ainsi de suite. Au bout du compte, le plus grand mesure 77,19 cm, le plus petit 25,2 cm.

Jusqu’à présent, l’œuvre a été exposée au Musée du Four des Casseaux, à Limoges, et au Musée national des beaux-arts du Québec dans des scénographies différentes. Tandis qu’à Limoges, les sculptures ont été disposées de manière circulaire sur une table, à Québec, elles étaient installées par paires et en ligne sur un banc – ainsi le plus grand jouxtait le plus petit –, avec un Florès un peu à l’écart. Dans les deux installations, le visiteur pouvait s’approcher et constater l’hyper-expressivité de chaque Florès, y compris du plus petit. Il y a un an, l’équipe du CRAFT et l’artiste lui-même pensaient que, durant le processus, les personnages finiraient par perdre leurs traits. Que ceux-ci, inévitablement, s’émousseraient. Il n’en est donc rien.

Les sculptures ont toutes la même couleur de lait, typique du biscuit. Leur aspect est lisse, sensuel, gourmand. Les détails ne sont pas altérés. Certes, il y a bien quelques différences ici et là, tributaires de la pose d’éléments après cuisson – les oreilles et la barbe, par exemple. C’est le lot des œuvres qui se veulent ostensiblement et imparfaitement sérielles. En revanche, on s’aperçoit de nets écarts entre les volumes. Il s’agit d’une conséquence inattendue du retrait de la matière. En effet, avec la perte de 15 %, si le visage n’a pas changé, la forme du garçon s’en est trouvée modifiée. Aplatie. Florès, en rétrécissant, a perdu de ses rondeurs. Finies, les fesses rebondies ! Son torse paraît plus long, surtout plus plat. Les genoux et les coudes sont à présent trop saillants. Ainsi s’éloigne-t-il davantage du canon classique.

Dans l’évolution humaine, s’est demandé Schofield, l’homme grandit, mais que se passerait-il s’il rétrécissait ? Est-ce que cela remettrait en cause sa place dans l’univers ? Serait-il moins évolué qu’on pourrait le croire ? Si Florès avait perdu ses traits en rétrécissant, comme attendu, j’aurais discouru sur la perte d’humanité à venir – et ensemble, nous aurions relu à profit Emmanuel Levinas, pour qui le visage est le point de départ d’une relation éthique… Mais perdre des formes ? À ma connaissance, la philosophie est muette sur le sujet. Et voilà que la porcelaine répond à l’artiste : en rétrécissant, l’humain garde son individualité, oui, mais pas son enveloppe ! Celle-ci doit s’adapter. Je ne sais pas pour vous, mais moi cela me donne à réfléchir.

(1) CRAFT : Centre de recherche sur les arts du feu et de la terre. Voir Claire Caland, « Stephen Schofield. Au pays de la porcelaine », Vie des Arts, no 247, été 2017, p. 52.

(2) Un biscuit est une porcelaine ou une faïence sans glaçure, donc non émaillée.

CRAFT. 25 ans de création(s) : entre art et technique
Au Musée du Four des Casseaux, Limoges, France
Du 18 mai au 31 octobre 2018

Fait main
Commissaire : Bernard Lamarche
Musée national des beaux-arts du Québec
Du 14 juin au 3 septembre 2018