Le poète, si l’on en croit Mallarmé, est confronté au « vide papier que sa blancheur défend », lorsqu’il se prépare à écrire un poème. Le peintre qui crée des œuvres abstraites vit une expérience similaire lorsqu’il installe une toile vierge sur son chevalet. En effet, l’un et l’autre ne trouvent leur inspiration qu’en eux-mêmes. Contrairement à beaucoup d’artistes, Sylvie Adams ne recouvre pas son support d’une couleur de base. Elle accepte donc la confrontation avec la toile blanche pendant tout le temps où elle exécute l’œuvre.

Cinq tableaux sont intitulés « Portrait de genre ». Une « scène de genre », comme tout amateur d’art doit le savoir, est un type d’œuvre dans laquelle figurent des scènes à caractère anecdotique. Les personnages qui en font partie sont des individus anonymes. Le portrait est un genre en peinture, mais le « portrait de genre », en revanche, n’est répertorié dans aucune encyclopédie. Cette expression est un néologisme inventé par Sylvie Adams. On pourrait supposer qu’un « portrait de genre » représente un acteur d’une scène de genre qui serait resté seul. Dans un tableau abstrait, une forme colorée tient le rôle du personnage. Or, les formes situées au centre de ces œuvres ne se trouvent pas dans un décor. Elles apparaissent ex nihilo, accompagnées seulement de quelques légers nuages gris ou pastel. C’est donc à l’art de la performance que ces « portraits de genre » font penser. Les regards des spectateurs convergent alors sur le performeur qui accomplit une « action » dans un espace aussi dépouillé que possible. En fait, on pourrait considérer toutes les toiles de cette expo­sition comme le résultat des « actions » que Sylvie Adams a réalisées, non pas au cours de « peintures en direct », mais dans son atelier. Contrairement aux autres tableaux, qui ont différentes dimensions, les « portraits de genre » sont tous exécutés dans le format « portrait », c’est-à-dire rectangulaire et vertical. Ils sont peints dans des tonalités douces, florales même, avec une prédominance de nuances rose orangé sur lesquelles se détachent quelques touches foncées.

Winterday on the Lake

En revanche, c’est avec l’indigo, le jaune pâle et le gris que l’artiste évoque le froid et l’hiver. Winterday on the Lake est une toile proche du paysagisme abstrait. Une ligne horizontale suggère la surface d’un lac, sur les rives duquel une accumulation de fins traits verticaux représente les roseaux. Le spectateur croit même apercevoir la silhouette d’un petit animal venu se désaltérer. Alors que Frostbite exprime avec des empâtements contrastés la rigueur de cette saison au Québec, Blueberry and Lime Sorbet rappelle avec humour dans des couleurs « bonbon » l’attirance des Montréalais pour les douceurs glacées dans la chaleur de l’été.

Les œuvres les plus profondes dans la recherche de Sylvie Adams sont celles dans lesquelles elle interroge le rapport de l’être humain au monde. Chemins en mutation met en garde contre les dangers que le mode de vie actuel fait courir à l’humanité. Certes, les signes inscrits en jaune sur un nuage noir ne sont pas faciles à déchiffrer. Néanmoins, le vert, symbole de l’écologie, semble menacé par une masse sombre qui laisse échapper d’inquiétantes coulures noirâtres, assez semblables aux fuites de pétrole causées par les pipelines. La marche du temps met l’accent sur la subjectivité dans la perception du temps, selon que nous vivons une période difficile ou que nous souhaitons faire durer des moments heureux. Aussi les tonalités sombres voisinent-elles avec le vert clair et le rose orangé fruité. La forme qui part de la gauche semble se diriger vers la toile blanche à droite, c’est-à-dire vers l’avenir inconnu.

Blueberry and Lime Sorbet

Le tableau intitulé Ruissellement de l’être résume, en quelque sorte, la pensée de l’artiste et la composition de la majorité des œuvres de cette exposition. La forme, qui est le sujet du tableau, apparait, se modifie sous l’effet du hasard et des décisions que prend la peintre, puis laisse couler une partie de sa substance, comme si elle était vaincue par la gravité. Les gouttes s’arrêtent au bord inférieur du cadre, mais l’esprit du spectateur poursuit leur descente. À quelque distance, un plan coloré, léger comme une écharpe de soie, s’effondre à son tour. Le titre incite à voir dans cette structure une métaphore de la vie humaine : un être naît, joue un rôle, perd peu à peu son énergie et se prépare à disparaître.

Notes biographiques 

Née au Nouveau-Brunswick, Sylvie Adams vit principalement à Montréal depuis les années 1980. Ses œuvres ont fait l’objet de nombreuses expositions individuelles et elle a participé à maintes foires internationales d’art contemporain aux États-Unis, en Europe et en Asie. Ses œuvres font également partie de collections privées et corporatives, dont les collections de Rio Tinto Alcan et de Norwegian Cruise Line.

Sélectionnée par la commissaire et directrice du Art Wynwood pour participer à une exposition en l’honneur de Shepard Fairey (auteur de l’affiche « Hope » d’Obama) à Miami en 2017, son travail a aussi été remarqué par les journalistes et critiques du Blouin Art Info et Artnet News, lors de l’exposition Art New York en 2016 et 2017.

Sylvie Adams Le temps, la marque, l’espace. Maison de la culture Marie-Uguay, du 18 janvier au 25 mars 2018.