Art-thérapeute: l’exercice du métier
Entretien avec Maria Riccardi et Pierre Plante
Groupe en art-thérapie pour des adolescents vivant avec la scoliose ;
Groupe en art-thérapie pour des adolescents vivant avec la scolioseProgramme Opération Bonne Mine ;
Semaine des thérapies par les arts 2017 à L’Université Concordia ;
Journal d’une art-thérapeute ;
Marine Van Hoof – Comment voyez-vous et vivez-vous l’art-thérapie ?
Maria Riccardi – Personnellement, quand Bruce Moon, auteur et clinicien en art-thérapie aux États-Unis, dit que l’art thérapie est ancrée dans les arts et dans la relation humaine, je suis d’accord. À la lumière du récit écrit en 2014 par Jager et Bourgeault décrivant le cabinet du Dr Freud, j’estime qu’une psychologie fondée sur les arts et les humanités s’appuie sur le lieu de la rencontre et les objets qui habitent ce lieu. Le cabinet de Freud décrit que l’individu souffre dans son lien à la culture et il a intégré à sa vision l’environnement culturel. Son bureau était rempli d’œuvres d’art et d’objets mythologiques, sources d’échanges avec les patients.
Maria Riccardi et Pierre Plante – Un élément essentiel de l’art-thérapie est le cadre donné aux participants. Notre rôle est de leur offrir un contenant sécurisant et d’établir une relation de confiance. Quelle que soit la production, il n’y aura pas de jugement. Souvent, la feuille blanche posée devant soi peut créer une tension, un doute ou un élan. Certains adultes ont perdu la capacité d’expérimenter, de se laisser surprendre ou de s’arrêter. La permission de manipuler les matériaux en toute liberté donne le courage de s’exprimer et, parfois, l’image devient une œuvre qui amorce la guérison.
Pierre Plante – Au début de ma carrière, j’étais alors stagiaire à l’Institut Pinel, mon travail auprès des adolescents incarcérés m’a amené à rechercher une formule qui ne leur paraissait pas menaçante : en plus du travail en individuel et en groupe, j’ai aussi opté pour l’approche du studio libre, espace où ils pouvaient venir à leur guise et sans obligation de parole. Cette dernière, propre à l’art-thérapie, me permettait d’établir un premier contact avec eux. Le principe des groupes ouverts est d’ailleurs à l’origine de l’art-thérapie au Québec.1
Aujourd’hui, au Québec, une vingtaine de centres de pédiatrie sociale proposent des services d’art-thérapie gratuitement.
M. R. En ce qui concerne le grand public, un bon exemple de groupes ouverts est celui des Ruches d’art (voir encadré) qui touche une population très diversifiée, en général non médicalisée, même s’il arrive qu’un psychiatre ou qu’un psychothérapeute suggère à des patients de participer à une Ruche.
P. P. La formule de l’art-thérapie de groupe prend plusieurs formes. Aujourd’hui, j’offre, soit en privé soit en collaboration avec des écoles, des ateliers en groupe auprès des dyades parents- enfants qui éprouvent des difficultés relationnelles : durant 10 séances, 5 dyades (composées chaque fois d’un tandem parent-enfant) créent ensemble. À travers l’art, un meilleur dialogue s’établit entre l’enfant et le parent. Chacun est amené à mieux comprendre l’univers de l’autre.
M. R. Le programme Opération Bonne Mine de la Société Saint-Vincent-de-Paul de Montréal, avec laquelle je collabore incorpore l’art-thérapie et la drama-thérapie. Le programme s’adresse à des groupes scolaires et communautaires de milieux défavorisés. Un projet artistique intergénérationnel et interculturel dans une optique de persévérance scolaire, dont le MBAM était partenaire, a consisté à créer des pages imagées qui composent des livres géants faits de bois.2
Quelle part l’art occupe-t-il dans la formation des art-thérapeutes ?
M. R. Elle est essentielle. L’UQAT et l’Université Concordia offrent la maîtrise en art-thérapie. L’admission au programme d’art-thérapie à l’Université Concordia, par exemple, exige des candidats un baccalauréat comprenant des cours d’arts visuels3 et de psychologie, ainsi qu’un portfolio diversifié et le passage d’une entrevue. Au cours de leurs études, les étudiants sont amenés à travailler avec différents médias en lien avec le travail art-thérapeutique (maîtrise). Une partie des arts-thérapeutes poursuivent une pratique artistique professionnelle séparée de leur travail art-thérapeutique, d’autres créent afin d’investiguer leur propre miroir thérapeutique (Response Art). La création artistique et la façon de l’exercer constituent pour chaque art-thérapeute une avenue personnelle.
Quel est votre rapport personnel à la pratique de l’art ?
M. R. Dans mon atelier, j’expérimente de nombreuses techniques qui me permettent d’explorer ce que je suis, à la fois comme femme, artiste, thérapeute et comme mère. Je travaille aussi bien avec la peinture qu’avec l’argile et le continuum de médias. J’expose mes œuvres dans divers milieux, que ce soit dans des écoles, des hôpitaux ou des galeries d’art.
Est-il courant qu’un ou une artiste, face à des difficultés de création, cherche de l’aide auprès d’un(e) art-thérapeute ?
P.P. Oui. Dans certains cas, des artistes ou des étudiants en art demandent de l’aide, car ils ressentent leur processus créatif comme étant gelé, ou cassé par de mauvaises expériences d’encadrement, par des critiques sévères de professeurs envers leur style de création et leur approche de l’art. Ces adultes (jeunes adultes) se remettent grandement en question, perdent leur flamme, leur authenticité dans certains programmes de formation où on essaie de leur dire qu’il n’y a qu’une seule façon de faire les choses. Pour d’autres, c’est plus leur processus de création qui est limité par des difficultés psychiques internes. Donc, si l’artiste (comédien, musicien, écrivain …) en vient à toucher des sphères critiques, à puiser dans des expériences traumatiques, il arrive qu’il ne soit plus en mesure de poursuivre le travail, et la dépression ou un blocage peut s’installer.
Très peu d’hommes se lancent dans la carrière d’art-thérapeute. Avez-vous un avis à ce sujet ? Cette situation va-t-elle changer ?
P.P. Comme la plupart des domaines en sciences humaines (où les femmes dominent), le ratio chez les art-thérapeutes est de 1 homme pour 9 femmes. L’effet des stéréotypes (masculinité / féminité) perdure dans la société. La psychothérapie consiste avant tout à ouvrir une sphère relationnelle, émotive… activités bien souvent associées à des qualités féminines. Pour ma part, le fait d’être un homme me permet d’avoir une proportion plutôt inhabituelle d’adultes masculins (plus que la plupart de mes collègues femmes). Je note, certes, une stabilité du ratio actuel (1 ou 2 hommes pour 10 femmes) dans les programmes en sciences humaines (psychologie, travail social, sexologie … art-thérapie). Les hommes, dans ces domaines, s’intéressent davantage aux aspects plus « techniques » (par exemple, en psychologie, la recherche fondamentale, l’expérimentation scientifique, la manipulation de données statistiques).
Les neurosciences contribuent-elles à faire avancer la cause de l’art-thérapie, qui bénéficierait alors de nouveaux fonds pour de nouveaux projets pilotes et expériences ?
M.R. De nombreux travaux de recherches en art-thérapie recourent aux neurosciences. Johanne Hamel, professeure à l’UQAT, s’intéresse de plus en plus à ce domaine. Au cours de la conférence ECARTE, en Pologne, au mois de septembre 2017, j’ai présenté avec Lisa Hinz, Kathy Gotshall et Joshua Nan, art-thérapeutes internationaux, une conférence sur les liens existant entre les neurosciences et Le Continuum de thérapies expressives, une approche qui se base sur les médias.
P.P. Les neurosciences apportent de précieuses explications sur l’aspect relationnel et sur l’effet obtenu par des thérapies. Comme le mentionne Josée Leclerc, art-thérapeute et professeure à l’Université Concordia : « La création artistique permet l’activation du système limbique (siège des émotions), puis quand le patient verbalise ce que l’image évoque, elle stimule le néocortex (siège du langage et des cognitions) ». L’art-thérapie peut ainsi favoriser le rétablissement de liens, scindés lors de traumas sévères, et susciter chez le patient des prises de conscience très puissantes, d’où la nécessité d’être bien formé avant de penser offrir cette approche.
NOTES BIOGRAPHIQUES
Maria Riccardi
Présidente par intérim pour l’année 2017-2018 de l’Association des art-thérapeutes du Québec (AATQ), Maria Riccardi a obtenu sa maîtrise en art-thérapie à l’Université Saint Mary-of-the-Woods College (États-Unis) en 2012. Elle assume les tâches d’enseignement et de supervision en art-thérapie à l’UQAT et à l’Université Concordia. Elle est la fondatrice de la Clinique ImÂges ETC à Montréal où elle met à contribution son expertise en psychothérapie par les arts, en orientation de carrière et en éducation pour divers groupes d’âge. Parallèlement, ses engagements l’amènent à développer des projets d’art-thérapie de groupe en milieux scolaire, communautaire et hospitalier. À travers de nombreuses publications et conférences internationales, elle s’intéresse en particulier à l’approche du Continuum des Thérapies Expressives (CTE). imagesetc.ca
Pierre Plante
Titulaire d’un doctorat en psychologie et d’une maitrise en art-thérapie, Pierre Plante travaille en pratique privée comme art- thérapeute et psychologue d’approche humaniste. Il dirige un groupe de recherche au département de psychologie à l’UQAM où il est professeur. Un volet important de son activité concerne les troubles de l’humeur (dépression) et les difficultés relationnelles, particulièrement les dyades parent-enfant. Sa perspective de la psychothérapie s’appuie en grande partie sur la psychologie de la créativité. Au sein de l’AATQ qu’il a présidé pendant 10 ans, il s’occupe particulièrement de voir reconnue par l’Office des professions l’intégration de l’art-thérapie à la psychothérapie. pierreplante.ca
LA QUESTION DE L’ACCRÉDITATION DE L’ART-THÉRAPIE
Pierre Plante, président de l’Association des art-thérapeutes du Québec (AATQ) explique pourquoi le statut des diplômés récents en art-thérapie reste encore incertain.
Vers 1990, la plupart des hôpitaux anglophones comptaient des art-thérapeutes dans leurs équipes, mais pas les établissements francophones ; la situation a évolué depuis. Fondée en 1981, l’Association des art-thérapeutes du Québec (AATQ) compte à présent 200 membres. Le statut des art-thérapeutes qui obtiennent leur maîtrise en art-thérapie (Université Concordia et UQAT) est incertain en 2009, par suite de l’introduction de la Loi 21 visant à réglementer la profession et le titre de psychothérapeute. L’art-thérapeute est formé, entre autres, pour faire de la psychothérapie, mais il n’y a pas d’ordre professionnel des thérapeutes par les arts, ce qui permettrait l’accès au permis de psychothérapeute. Au sein de l’AATQ, nous travaillons depuis des années auprès de l’Office des professions du Québec pour obtenir l’accréditation de l’art-thérapie à la psychothérapie. Si les art- thérapeutes qualifiés ayant une pratique confirmée ont pu faire une démarche pour se faire reconnaître comme psychothérapeutes via la clause des droits acquis (jusqu’en 2014), les nouveaux diplômés de ces programmes ne peuvent, à moins de combiner une autre formation (psychologue ou conseiller en orientation, par exemple), pratiquer qu’en dehors du Québec ou alors dans des centres comme les Ruches. L’impact de la loi 21 se fait sentir sur le public aussi, une série de services n’étant plus disponibles. Il faut noter que l’Ontario a suivi le chemin inverse et qu’il reconnaît le statut de psychothérapeute aux art-thérapeutes.
(1) À cet égard, Pierre Plante cite Marie Revaï (1911-1997) qui a été une pionnière dans les années 1950, artiste engagée au Département de psychiatrie de l’hôpital Royal-Victoria pour créer un atelier où les gens pouvaient témoigner de leur propre univers.
(2) Le vernissage de ce projet aura lieu le 24 octobre, au pavillon de l’éducation du MBAM.
(3) Soit 24 crédits, dont 18 crédits en Studio et 6 crédits en histoire de l’art / théorie de l’art / éducation artistique ou l’équivalent, nous précise Maria Riccardi.