Marine Van Hoof – Il y a tellement de définitions de l’art-thérapie. Laquelle proposez-vous ?

Stephen Legari – Soigner par l’art, tout simplement ! Mais chaque art-thérapeute va avoir sa propre définition et ça ne me dérange pas. Les définitions diffèrent, car la façon de soigner va dépendre de la population ciblée. Les mots choisis pour décrire cette profession reflètent la façon dont les art-thérapeutes se situent par rapport à elle. Certains sont plus ancrés dans l’art, d’autres sont plus attachés à une approche systémique, psychodynamique…

Quels sont les avantages de l’art-thérapie en groupe ?

Le groupe a un effet catalyseur et brise l’isolement. Dans notre projet pilote mené avec la Fondation du cancer du sein, l’atelier a été un réel support pour les participantes. L’activité proposée, qui s’étalait sur deux mois à raison d’une fois par semaine, les a visiblement déstressées.

Comment l’activité est-elle organisée ?

Après la découverte d’œuvres en compagnie d’une médiatrice, sur une thématique qui peut être la résilience ou la pose du corps par exemple, les participantes reviennent dans le studio et discutent librement de ce qu’elles ressentent. Ensuite, elles sont invitées à créer quelque chose.

Quel est votre rôle ? Quelles activités développez- vous ?

Je suis responsable de la Ruche d’art, nouvellement inaugurée ici. Je vais superviser des stagiaires de Concordia (en art-thérapie) que le Musée accueille pour la première fois : ils vont s’occuper durant l’année de deux groupes issus du milieu communautaire et composés de 8 à 10 personnes, que j’ai rencontrées au préalable. Il s’agit de personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Les groupes sont réduits afin de ménager un temps suffisant pour la réflexion partagée, qui est très importante. Le modèle d’art-thérapie a été développé en collaboration avec le département d’éducation du Musée. Pour ce qui est des matériaux, nous privilégions une approche multiple, proposant un genre de buffet des matériaux propres aux arts visuels.

Utilisez-vous la photographie ?

Personnellement, ayant moi-même un baccalauréat en photographie, c’est un médium que j’ai beaucoup utilisé. La thérapie par photos fonctionne très bien avec les adolescents qui ont une relation intense avec la photo. Les nouvelles technologies sont de bons instruments, mais leur usage exige souvent une série d’étapes un peu longues. Ici, nous privilégions le dessin, la peinture, la sculpture, l’assemblage et même les tissus qui permettent la fabrication de poupées, de marionnettes.

Qu’apporte le fait d’avoir l’atelier d’art- thérapie dans un Musée, plutôt qu’ailleurs ?

Le Musée présente l’avantage d’offrir aux participants à la fois un contenu stimulant (sa collection) dans un cadre très beau et un contenant sécurisant (condition de base en art-thérapie) grâce à la qualité des installations et de l’accueil. Je constate l’effet bénéfique de ce cadre exceptionnel sur les participants et je me sens très privilégié d’exercer mes fonctions dans de telles conditions.

Qu’est-ce qui vous a poussé à passer du côté de l’art-thérapie ?

Après avoir travaillé quelque temps dans le milieu du cinéma et de la télévision, j’ai décidé de faire une maîtrise en art-thérapie parce que je voulais donner une valeur particulière à mon travail, vivre celui-ci selon une vision humaniste. Durant ma formation, j’ai travaillé avec des adolescents en difficulté (en milieu scolaire) et avec des toxicomanes (en milieu communautaire).

Qu’est-ce qui est difficile dans le métier d’art-thérapeute ?

Ce sont les moments où les participans/clients plongent en profondeur dans la tristesse, le deuil, la colère. Quand ils sont confrontés à leurs émotions brutes. C’est le moment où la thérapie peut prendre son sens : mon rôle est d’offrir le contenant avec l’œuvre qu’ils ont créée.

Comment vivez-vous le caractère international de l’atelier d’art-thérapie du Musée ?

Nous souhaitons établir un dialogue avec les art-thérapeutes exerçant en milieu muséal et amorcer des partenariats avec des universités à l’étranger. Des projets pilotes sont menés un peu partout dans le monde. Réunir la littérature scientifique pertinente représente un gros travail. Je collabore à la rédaction d’un chapitre pour un ouvrage sur le sujet qui paraîtra en 2018. En juin dernier, j’ai participé à Toulouse à un colloque sur le statut et le devenir des productions en art-thérapie. L’objectif du Musée des beaux-arts de Montréal n’est clairement pas l’exposition des objets produits en atelier, mais certains projets ont pour but explicite de présenter une œuvre qui sera exposée, avec l’accord des participants. C’est le cas du projet « Parcours imaginaires » de Vera Heller, inauguré au Musée fin août. 


NOTES BIOGRAPHIQUES

Stephen Legari

Bachelier en arts visuels, Stephen Legari a obtenu sa maîtrise en art-thérapie à l’Université Concordia et est membre de l’Association des art-thérapeutes du Québec. En 2017, il a achevé une maîtrise ès sciences appliquées en thérapie conjugale et familiale de l’École de travail social de l’Université McGill. Il a accumulé une longue expérience dans le milieu scolaire et au sein du réseau des Ruches d’art. Depuis mai 2017, il travaille à plein temps comme art-thérapeute au Musée des beaux-arts de Montréal.


LES RUCHES D’ART

S’il faut signaler une initiative qui permet à tous d’expérimenter l’art qui « fait du bien », c’est celle des Ruches d’art ; elles sont nombreuses à Montréal et au Québec. La Ruche d’art se définit comme un atelier collectif de création ouvert à tous. Fondé en 2011 par Janis Timm-Bottos (professeure agrégée de l’Université Concordia) avec le soutien important de mécènes1, le Réseau des Ruches d’art rassemble à ce jour plus d’une centaine de projets / lieux au Canada et de par le monde. L’objectif est de renforcer les liens communautaires et intergénérationnels à travers la créativité, de favoriser le mieux-être en proposant gratuitement, certains jours de la semaine, un espace de création libre sous la supervision d’art-thérapeutes et/ou d’éducateurs spécialisés en art. L’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal abrite une des plus anciennes ruches, la Ruche d’art Saint-Henri, qui ouvre son studio communautaire deux jours par semaine aux jeunes et aux familles du quartier. Inaugurée il y a quelques mois, la Ruche du Musée des beaux-arts de Montréal s’inscrit dans le projet du Musée destiné à développer pour la communauté des projets tournés vers le mieux-être et la santé, avec le soutien de mécènes et de l’Université Concordia. Proposée gratuitement au public deux jours par semaine, la nouvelle Ruche se présente sous forme d’un atelier de création supervisé par un art‐thérapeute, mettant à disposition du matériel artistique très diversifié. L’AATQ organise mensuellement une Ruche d’art et, occasionnellement, une Ruche d’art géante ; la plus récente a eu lieu le 23 septembre, à l’Artothèque, à Montréal.

(1) Il faut souligner, entre autres, le remarquable coup de pouce donné par la J.W. McConnell Family Foundation lors du démarrage des Ruches d’art, sous forme d’une donation de 300.000 $ de 2012 à 2015.