Quelle place occupent les arts numériques à l’École des arts visuels et médiatiques (ÉAVM) de la Faculté des arts de l’Université du Québec à Montréal ?

Alexandre Castonguay et Alain Paiement, deux professeurs qui sont également artistes, répondent à cette question. Ils l’abordent chacun selon des conceptions et des approches qu’alimentent des convictions qui ne se recoupent pas toujours. L’un et l’autre donnent ainsi un aperçu de la complexité nouvelle que les technologies numériques introduisent dans le milieu de l’enseignement des arts où, au-delà de la transmission de connaissances et de savoir-faire, ils soulignent le rôle de l’engagement social et culturel des professeurs.

Dès la première année du baccalauréat en arts visuels et médiatiques, les étudiants touchent à tout : peinture, sculpture, dessin, modelage, façonnage, construction de l’image photographique, médias, arts numériques. Cette pluralité est au cœur de la formation générale de l’artiste. Elle est d’autant plus judicieuse que les candidats proviennent d’horizons variés et que leur formation acquise dans un collège ou une université n’est pas uniforme.

Le numérique est partout

À l’École des arts visuels et médiatiques (ÉAVM), l’étudiant se frotte aux arts numériques selon l’optique définie par chacun des professeurs dont il suit les cours et les travaux pratiques. Il lui revient donc de s’approprier les méthodes, les techniques, les propriétés particulières des codes sources et des logiciels qui en découlent, puis d’intégrer toutes ces connaissances à ses travaux personnels. À chaque étudiant donc de faire germer ses idées, de moduler ses activités de conception et de création selon son tempérament ; à chacun de définir son style. Aucun étudiant ne peut se soustraire à cette réalité quotidienne, car « le numérique est partout ! »

L’insertion des arts numériques au programme de l’ÉAVM n’est pas récente : elle remonte à 1995. Il y a donc plus de vingt ans. Contrairement à ce que l’on aurait pu craindre, ils n’ont nullement supplanté les autres formes et supports d’expression artistique. Cependant, leur statut est équivoque. En effet, ils s’insinuent au sein des divers champs disciplinaires et, simultanément, ils se revendiquent comme un champ autonome dont la singularité passe par le truchement d’une machine, en l’occurrence un ou plusieurs ordinateurs.

Pour Alexandre Castonguay et Alain Paiement, il est très important de faire savoir à leurs étudiants ce qui s’est passé avant l’avènement des nouvelles technologies. Pas question donc de faire l’économie de l’histoire de l’art ni d’ignorer l’étude des techniques de base : dessin, peinture, sculpture, etc. Ces prérequis figurent évidemment dans la liste des cours de la Faculté des arts de l’UQAM.

Pas une rupture mais une continuité

Pas question d’exclure non plus les conditions qui ont précédé l’émergence des arts numériques : les langages de programmation, la naissance du PC, la miniaturisation accélérée des appareils électroniques……

Les deux professeurs insistent sur le rôle fondamental de la réflexion dans la création. « L’art pense », se plaît à rappeler Alain Paiement. « Il s’agit de développer le sens critique des étudiants », renchérit Alexandre Castonguay. Ces principes, tous les enseignants de l’ÉAVM les partagent. Ainsi, l’intégration du numérique dans les arts visuels ne s’inscrit pas comme une rupture mais comme une continuité.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant d’entendre les deux professeurs déclarer que ne les quitte pas le souci de placer au cœur de la formation des artistes les connaissances théoriques et pratiques concernant les procédés anciens et actuels. Ils ont recours aux stratégies pédagogiques classiques ; ils exigent de leurs étudiants lecture et critique d’auteurs importants (art, histoire de l’art, théorie de l’art), écriture (crayon à la main) pour expliquer démarche, recherche, doute, expérience, assimilation d’apprentissages, etc.

Bien entendu, les deux professeurs éclairent leurs propos des leçons qu’ils tirent des particularités de leur spécialité, de leur propre démarche de créateur et de leur cheminement artistique personnel.

Travailler en mode ouvert

Dès ses débuts, Alexandre Castonguay a choisi de canaliser ses productions selon le courant de « Art Imagine », un festival qui héberge toujours ses pages. « J’ai appris en aidant les autres, reconnaît-il. Notre vue, précise-t-il, relevait d’une appropriation collective des moyens de production. »

Fidèle à cette optique, il a recours aux technologies libres d’accès. « Le principe du logiciel libre, explique-t-il, remonte à la naissance d’Internet. Il est certes protégé par certaines licences. Cependant, c’est un cercle vertueux qui fait en sorte que si j’utilise un bout de code ou un bout d’électronique, j’ai l’obligation, lorsque je le transforme, de le partager avec le reste de la communauté. Cela signifie que le code source1 est disponible sur mon site Web ou sur les sites de partage. L’avantage, c’est qu’en s’inspirant des circuits existants, on peut avancer très rapidement ; on construit avec les autres à partir du matériel ainsi accessible. »

Alexandre Castonguay transmet ainsi son savoir-faire à ses étudiants non en tant que simple utilisateur mais en tant que créateur. « Puisque je travaille en mode ouvert, mes étudiants, les futurs artistes, apprennent comme moi-même j’ai appris, en 1996, en déconstruisant les pages Web. Je me suis formé avec le travail des autres. Je crois vraiment à ce genre de filiation et à sa philosophie. »

De son côté, Alain Paiement rappelle qu’il a été engagé à l’UQAM comme professeur chargé de promouvoir et d’enseigner la photographie numérique. Il explique qu’à cette fin, il fait faire à ses étudiants un détour par la photographie analogique. « Il me semble important de mettre en lumière le processus de pensée qui accompagne toute prise de vue et son contexte. » Il s’attarde, par exemple, sur la notion d’immédiateté et son rapport à la réalité. Dès lors, Alain Paiement suscite un engouement pour le processus de développement argentique. Il réussit ainsi à établir les conditions pour une transition vers le numérique plus consistante. Il résume : « Avant, on prenait des photos ; maintenant on fait des photos. »

En prenant bien soin de ne pas balayer l’héritage des savoir-faire des beaux-arts, notamment ceux concernant les processus de création aléatoire, Alain Paiement valorise les modes de productions numérisées (chaines stochastiques, mouvements désynchronisés, bruits, itérations, traitements chromatiques complexes, etc.) en les considérant comme « des moyens de penser, certes, mais de penser autrement ». En effet, pour certains artistes, le numérique est un outil d’application, pour d’autres, un outil expérimental intimement relié au processus de recherche, d’errance, d’exploration. Encore convient-il d’en avoir conscience.

Pour Alexandre Castonguay et Alain Paiement, les arts médiatiques ne se rangent pas comme une simple spécialité, mais comme une forme de connaissance dont la portée s’étend à la fois à l’ensemble des créations, aux conditions de création artistique et à la création en tant que telle. Il est donc tout à fait normal que les arts visuels incorporent toutes les technologies qui nourrissent les arts numériques. 

(1) Code source : Le code source est un texte qui présente les instructions de programme telles qu’elles ont été écrites par un programmeur. Il permet de produire une représentation binaire d’une séquence d’instructions que peut exécuter un microprocesseur.