Le document d’architecture du CCA : rencontre avec Giovanna Borasi

Depuis sa fondation en 1989, le Centre Canadien d’Architecture (CCA) n’a cessé d’enrichir sa collection d’archives, alignant aujourd’hui 25 km de documents répartis entre le Centre des collections muséales de Montréal (CDCM) et les deux niveaux situés sous ses propres espaces d’exposition. Giovanna Borasi, conservatrice en chef depuis 2014 et récemment nommée directrice de l’institution, revient ici sur les stratégies mises en place pour la constitution et la valorisation des collections, ainsi que sur les évolutions à venir.
Charlotte Lheureux – Pouvez-vous revenir sur l’histoire du CCA en ce qui concerne sa collection, et sur son rapport à celle-ci ?
Giovanna Borasi – L’archive numéro un a été reçue en 1981 : c’est celle de l’architecte montréalais Ernest Cormier. Aujourd’hui, notre collection est composée de centaines de boîtes qui contiennent les documents de près de 200 architectes du monde entier. Il y a des dessins et des croquis évidemment, mais aussi des photographies, des livres, des correspondances… tout ce qui peut expliquer comment l’architecte est arrivé à son dessin final. Même des documents de comptabilité peuvent être intéressants pour comprendre le rapport que l’architecte a entretenu avec son client. Nous ne sommes pas intéressés par le résultat, mais bien par la méthodologie de travail, que ce soit celle de l’architecte ou celle du chercheur en architecture. On a d’ailleurs reçu récemment les archives des historiens de l’architecture Kenneth Frampton et Jean-Louis Cohen, et bientôt celles d’Anthony Vidler.

Épreuve argentique à la gélatine
Fonds Ernest Cormier, Centre Canadien d’Architecture, ARCH250408
Photographe inconnu
En définitive, le statut du document n’est plus lié à la question esthétique selon nous. La valeur intellectuelle prend le dessus. Dans un monde contemporain où la complexité du projet ne se retrouve pas uniquement dans le dessin, mais aussi dans les aspects de la communication avec le client, avec les autres collaborateurs et même avec les médias, nous avons besoin d’une palette de matériaux documentaires plus large pour comprendre les projets d’architecture. Concrètement, cette approche demande la gestion d’une quantité énorme d’informations, qui doivent aussi être rendues accessibles. Donc pour nous, il s’agit aussi de les décrire et de les mettre en valeur.
Quels sont les critères de sélection qui guident vos acquisitions ?
Nous sommes intéressés par l’architecture « internationale », ce qui ne veut pas dire que l’on recherche des architectes venus d’ailleurs, mais plutôt que nous souhaitons acquérir de la documentation d’architectes dont le travail a eu un impact au-delà de la région où ils ont exercé. Beaucoup de monde nous offre des documents, mais nous jugeons qu’il est plus intéressant pour certains de rester dans leur contexte, où ils apporteront vraiment à la réflexion locale. Nous devons être très attentifs à ce que nous collectionnons, parce que c’est un engagement envers la pérennité. Et il faut rendre ces documents accessibles à tous, parce qu’ils n’ont aucune valeur s’il n’y a personne pour les lire.
Notre rôle est de faire découvrir des choses qui n’ont pas encore été vues, dans l’idée de rendre accessibles des documents qui ouvriront de nouvelles pistes et qui provoqueront de nouvelles questions.
À ce sujet, comment abordez-vous la question de l’accessibilité du document à l’ère du numérique ?
Bien que le CCA soit implanté à Montréal, il a aussi un public dispersé dans le monde entier. Nous devons donc trouver la meilleure façon d’établir un dialogue avec celui-ci, et être capables de produire suffisamment de contenu pour maintenir son engagement. Ça implique plus de numérisation, mais toujours dans une optique de recherche. Par exemple, est-ce pertinent de numériser des documents sur lesquels il y a déjà énormément de publications ? Notre rôle est de faire découvrir des choses qui n’ont pas encore été vues, dans l’idée de rendre accessibles des documents qui ouvriront de nouvelles pistes et qui provoqueront de nouvelles questions. Notre logique n’est certainement pas de répondre à ce que l’on attend de nous. Nous ne mettrons pas du rose parce que tout le monde aime le rose. Nous mettrons justement une autre couleur pour provoquer le débat. C’est notre responsabilité de pointer des zones qui n’ont pas encore été éclairées.

Collection du Centre Canadien d’Architecture, cadeau de la Succession Gordon Matta-Clark, PHCON2002:016:005:046 © Succession de Gordon Matta-Clark / SOCAN (2019)
Quelles actions menez-vous pour y parvenir ?
Nous recevons chaque année de 900 à 1000 chercheurs qui viennent étudier nos collections, et nous travaillons à activer les documents par des initiatives comme nos séries d’expositions, en l’occurrence Sortis du cadre, qui invite un chercheur à développer une exposition à partir de sa propre lecture des documents, la série en ligne Chercher et raconter, qui permet à un expert de partager son point de vue critique, ou encore Lire les archives à voix haute, une performance durant laquelle une personne lit un document dont la forme n’est pas nécessairement attrayante, mais dont le contenu est intéressant. Nous voulons utiliser l’archive comme une ressource contemporaine pour comprendre les problématiques d’aujourd’hui.
Qu’en est-il alors de votre utilisation des réseaux sociaux par rapport à vos archives ?
Les réseaux sociaux sont pour nous un moyen de publier du contenu plutôt qu’un seul outil de communication. La nouvelle génération n’utilise plus les moteurs de recherche sur le web, elle interroge directement Twitter ou Instagram à travers des mots-clics. C’est toute une nouvelle mentalité de recherche. Pinterest est intéressant pour nous, parce qu’il donne à l’utilisateur la possibilité de créer son propre monde, et cette idée d’appropriation des contenus est important pour le CCA. Finalement, ce que nous voulons créer, c’est une sorte de mille-pattes sur la discussion en architecture. Donc plus les personnes s’approprient nos contenus, nos recherches et nos productions, plus nous nous rapprochons de notre but !