Ce n’est pas parce qu’un individu suit une formation universitaire qu’il devient automatiquement un artiste. Mais alors quelles sont les raisons de cette formation ? Pour répondre à cette question, nous sommes allés interroger des artistes relevant de quatre universités québécoises : Josianne Bolduc, coordonnatrice au certificat en arts visuels à l’Université Sherbrooke ; Mathieu Valade, à la fois professeur et directeur de module au Département des arts et lettres de l’UQAC ; Jocelyn Robert, professeur et directeur de l’École des arts visuels de l’Université Laval et Éric Raymond qui occupe la même double fonction à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM.

L’articulation des savoirs

Les quatre spécialistes s’accordent pour dire que la formation ne fait pas forcément d’un individu un artiste. D’ailleurs, ce critère ne constitue pas un des quatre paramètres du Conseil des arts et des lettres du Québec qui circonscrit le statut de l’artiste : « 1) se déclarer artiste professionnel, 2) créer des œuvres, pratiquer un art à son propre compte ou offrir ses services, moyennant rémunération, à titre de créateur ou d’interprète, notamment dans les domaines sous la responsabilité du CALQ, 3) avoir une reconnaissance de ses pairs, 4) diffuser ou interpréter publiquement des œuvres dans des lieux ou un contexte reconnus par les pairs »1. Cela dit, la formation participe à son devenir d’artiste. Selon, Jocelyn Robert : « il est fort possible d’acquérir les compétences nécessaires pour devenir artiste et prendre part de manière active à la réalisation du potentiel de l’art ». Cela voudrait-il dire que créer ne suffit pas (plus) ? Ce qu’offrent les formations universitaires, c’est avant tout un savoir-faire, une maitrise disciplinaire et une connaissance élargie. Mais d’après Josianne Bolduc, elles donnent aussi les outils aux artistes pour « savoir penser, savoir critiquer, savoir réfléchir, savoir questionner ». Par conséquent, elles établissent une relation entre pratique et théorie ou entre forme et contenu ; elles créent un espace pour insuffler le cadre conceptuel dans la matière et permettent à l’étudiant de pousser plus loin la réflexion et la création.

Maîtriser et découvrir les disciplines

Selon le cycle qu’ils suivent, les étudiants peuvent découvrir ou approfondir leur démarche. C’est par exemple un choc que ressent l’artiste qui s’inscrit au module des arts de l’UQAC, comme le souligne Mathieu Valade : c’est le cas de celui qui entre se pensant peintre, se découvre au fil de sa formation et se définit comme sculpteur au terme de celle-ci. C’est qu’il est important d’amener l’étudiant à sortir de sa zone de confort. D’où l’importance de l’approche interdisciplinaire, commune aux quatre universités considérées, mais certainement à d’autres comme l’UQTR ! À l’UQAC encore, un tronc commun permet aux étudiants de diverses disciplines de suivre des cours en arts numériques, cinéma, médiation et transmission culturelle en art ou en théâtre. Et de l’aveu de Jocelyn Robert, de l’Université Laval : « la formation doit donner la plus large plateforme de références possible accompagnée des outils permettant l’expression d’une position critique », le tout pour permettre « le développement d’une démarche de création  propre à la personne même ». Les formations doivent donc offrir un éventail de connaissances pratiques et théoriques pour aider l’étudiant à aller à la rencontre de son unicité, de sa singularité.

Et la question de la professionnalisation ?

Du côté de l’Université de Sherbrooke, on remarque très tôt dans le cursus (niveau certificat) une volonté d’intégrer des activités pédagogiques dans lesquelles les étudiants bénéficient d’un accompagnement personnalisé de type mentorat et qui leur permettent de découvrir les acteurs qui constituent le milieu culturel. D’après Josianne Bolduc, « cette offre répond à un besoin réel des artistes en voie de professionnalisation de mieux comprendre l’univers dans lequel ils évoluent ». Conscientes de l’importance de sensibiliser les artistes aux problématiques et enjeux de la gestion dans le milieu culturel, les formations universitaires n’offrent pas uniquement des cours théoriques ou pratiques rattachés à une discipline, elles intègrent également une dimension axée sur la professionnalisation. Comme Éric Raymond le rappelle, en regard du ministère du Revenu du Québec, l’artiste est un travailleur autonome, un entrepreneur. Il a donc besoin d’un cadre pour exercer ses activités dans les meilleures conditions. C’est à ce titre que presque toutes les écoles ou départements d’arts consultés ont intégré dans leur programme des cours en gestion de carrière. Au certificat en arts visuels de l’Université de Sherbrooke, on valorise la rencontre avec les différents acteurs du milieu culturel (notamment dans le cours Projet de création I). C’est que l’artiste côtoie d’autres acteurs du milieu culturel. Et parfois, pour ne pas dire souvent, il endosse plusieurs statuts ou bien exerce plusieurs métiers rattachés au monde des arts : commissaire d’exposition, directeur(trice) de centre d’artistes ou directeur(trice) de galerie. Ce n’est donc pas surprenant que soit né en 2014 à l’UQAM le DESS en gestion de la carrière artistique, ouvert à toutes les disciplines artistiques, dont l’objectif consiste à « développer des compétences facilitant la réalisation de leurs projets artistiques et la planification de leur carrière2 ». D’autres artistes font le choix de s’ouvrir à la gestion pour travailler avec les organismes qui soutiennent la culture québécoise. Ceux-ci se tourneront davantage vers le DESS en Gestion d’organismes culturels de HEC.

Qu’il soit interdisciplinaire ou non, qu’il choisisse de se professionnaliser ou non, l’artiste n’en demeure pas moins un individu doué de polyvalence, qui exerce avec passion son art et qui tente de pallier une forme d’incertitude ou d’insécurité (c’est selon !) par une démarche pluriactive. Là où le travail de la formation s’arrête commence celle de l’étudiant. Comme l’explique Josianne Bolduc : « C’est à l’étudiant, une fois devenu artiste de s’affranchir de cet enseignant. Il le fera naturellement, car il aura appris à penser par lui-même ».

(1) http://www.calq.gouv.qc.ca/artistes/arts_visuels.htm

(2) http://www.etudier.uqam.ca/programme?code=1719