Les bons artistes se repèrent tôt, mais pas au berceau non plus. Simon et Sylvie Blais (Galerie Simon Blais) ont créé en 2009 un Prix annuel1 destiné à lancer la carrière d’un(e) étudiant(e) finissant du programme de la Maîtrise en arts visuels d’une université québécoise. Chacune des sept éditions du concours ont rassemblé de nombreux candidats. Simon Blais explique comment il perçoit une bonne préparation à une vie d’artiste.

Une carrière est-elle toujours précédée d’un talent artistique repérable ? « Il y a quelque chose comme une flamme chez les artistes en devenir, qui est visible assez tôt. Dans ce cas, il faut encourager l’individu en l’envoyant faire des études d’art, idéalement dès le Cégep. » Pour Simon Blais, la formation académique est essentielle pour quiconque désire devenir artiste. La connaissance acquise grâce à l’étude de l’histoire de l’art est aussi importante que l’apprentissage des techniques. L’histoire de l’art permet à l’étudiant de comprendre les enjeux en cause, d’éviter de répéter, de se situer. À la Galerie, nous exigeons que nos artistes soient au minimum au niveau de la maîtrise. La maîtrise est un critère qui garantit une certaine maturité et la capacité pour l’artiste d’articuler son travail et de s’affirmer. Après, il est clair qu’il faut compter de longues années pour développer une carrière. » Simon Blais est d’ailleurs étonné d’avoir parfois à expliquer au public à quel point être artiste est une chose qui ne s’improvise pas. Au sujet des artistes autodidactes, il considère qu’il est quasi impossible d’avoir de la crédibilité dans ce cas. « À côté de cela, il y a les artistes qui arrivent aux arts visuels par une autre voie (cinéma, photographie, sciences) et deviennent des créateurs visuels ouverts à de multiples techniques (comme Nicolas Baier, par exemple). En arrière-plan, il y a, rappelle-t-il, ce fait inéluctable du petit nombre (environ 5 %) d’étudiants en art qui vont devenir réellement des artistes. Il faut en être conscient. La carrière artistique implique des sacrifices aussi : il arrive souvent qu’aussitôt arrivés à une notoriété internationale, les artistes doivent s’expatrier pour poursuivre leur carrière. À la question « Pourquoi devenir artiste si tout a déjà été fait ? »,  sa réponse est simple : « Tout est à refaire. Les artistes les plus brillants s’emploient toujours à repenser le passé, à s’en inspirer. Voilà pourquoi être bien documenté, avoir une connaissance encyclopédique du passé, donne une assise solide au travail et à la conscience de ce que l’on fait comme artiste. » Une fois le lien établi entre l’artiste et la galerie, quel est le rôle de la galerie ? « Un artiste talentueux, on ne lui dit pas quoi faire. Nous faisons un travail d’accompagnement. De son côté, le ou la jeune artiste augmente ses chances de percer non seulement en travaillant d’arrache-pied et en respectant une discipline de travail, mais aussi en développant ses relations, en se montrant extraverti. Je leur recommande aussi de suivre un cours de mise en marché. C’est capital de savoir se vendre, de savoir vendre son travail ».

Pour Rhéal O. Lanthier, co-directeur de la Galerie Art Mûr à Montréal, qui s’est affirmée comme l’une des galeries avant-gardistes de la métropole, même s’il y a des artistes qui font l’impasse sur l’éducation artistique et réussissent, l’acquisition d’un Bac au minimum donne clairement des outils essentiels : « Comme artiste, il faut être capable de développer une réflexion par rapport à sa démarche ; plus tard, cela comptera beaucoup dans les contacts avec le milieu, les galeries, les commissaires et les organismes de subventions. Il ne faut pas oublier que l’art est une forme de communication. Sa mise en contexte est importante. Ce n’est pas tellement l’apprentissage de la technique qui est prédominante, même si on en enseigne plusieurs aux étudiants ; c’est plus intellectuel : de manière générale, l’art contemporain a une forte dimension conceptuelle. Durant les études, la réflexion et le sens critique se développent non pas en vase clos, mais dans la confrontation avec d’autres artistes porteurs d’analyses différentes ; on apprend aussi à situer son propre travail dans le cours historique de l’art et à comprendre les enjeux actuels de l’art. Pour moi, un artiste sans notion d’histoire de l’art, c’est un peu comme un écrivain qui n’aurait aucune notion de littérature. L’histoire de l’art n’est pas un vernis : elle fait découvrir aux étudiants comment les artistes bâtissent sur ce qui a déjà été construit et, de cette manière, s’inscrivent dans l’histoire.

Le cas des artistes autodidactes est plutôt exceptionnel. « Certains font l’impasse sur les études pour des raisons précises comme souffrir de dyslexie profonde, et ils vont réussir quand même. Parce que la passion boulimique pour la création les tient, parce que produire avant tout est un moteur. » Au sujet de l’éclosion du talent chez un individu, Rhéal Lanthier est d’avis que quelque chose se passe dès le jeune âge : « Chez les jeunes artistes, je constate que l’intérêt pour l’art est souvent présent depuis longtemps, quels que soient les encouragements reçus. Si la passion de créer est manifeste, elle va sortir. J’entends souvent des parents d’artistes dire que la créativité chez leur enfant ne vient pas d’eux-mêmes du tout. » Quant à ce qui contribue de façon majeure au futur succès, outre le talent et la passion de créer ? « S’investir dans son travail est fondamental, affirme le galeriste. Adopter une approche disciplinée. Produire régulièrement, de façon à avoir des choses à montrer. L’art est un milieu où il n’est pas facile de s’imposer, où on travaille en deçà du salaire, où la rémunération arrive souvent tard dans la carrière. Et aussi, s’impliquer dans le milieu de l’art qui est une communauté, c’est-à-dire être présent dans les vernissages, développer un réseau, susciter des échanges ; bref, éviter le vase clos à tout prix, éviter de rester enfermé dans son atelier. En dehors des périodes de travail dans l’atelier, il faut aller voir ce que font  les autres. »

La représentation dans une galerie est pour lui le fruit d’un travail d’approche : « Cela ne s’improvise pas, il faut apprendre à connaître les différentes galeries de sa ville, découvrir leurs affinités avec sa propre production, pour ensuite envoyer son dossier de manière ciblée ou tenter sa chance auprès des galeristes. De notre côté, avec le temps, il est clair que nous sommes devenus de plus en plus exigeants dans notre sélection. » Si Réal Lanthier a un conseil à donner, c’est au sujet des aspects pratiques du métier d’artiste :  « Dans la situation actuelle, les études en arts visuels négligent les aspects pratiques de la profession. C’est pour moi une grosse lacune. Les aspirants artistes sortent des études sans notion du marché de l’art et pas du tout préparés à la situation des travailleurs autonomes amenés à résoudre des problèmes de commerce, de comptabilité, d’inscription à la TVQ, etc. Ils sont vite perdus là-dedans. Je recommande volontiers la lecture d’un ouvrage de Cay Lang sur la « construction de la carrière en arts visuels »2 : même si l’expérience de l’auteure est américaine (USA), son ouvrage est rempli de conseils judicieux valables pour n’importe quel artiste désirant se lancer.

(1) Le Prix Sylvie et Simon Blais pour la relève en arts visuels a pour objectif de récompenser un étudiant finissant au programme de la Maîtrise en arts visuels d’une université québécoise et de lui donner la chance de présenter ses œuvres à l’occasion d’une exposition professionnelle.

(2) Cay LANG, Taking the Leap. Building a Career as a Visual Artist, Chronicle Books, San Francisco, 1998, 2006.