ÉducArt, une nouvelle plateforme numérique du Musée des Beaux-Arts de Montréal
Bienvenue au Musée 2.0
Fort du soutien de la Fondation Michel de la Chenelière, puis du nouveau Plan numérique culturel du Québec1, la direction développe depuis deux ans avec ses départements de l’Éducation et des Communications, une plateforme numérique éducative baptisée ÉducArt, destinée à l’enseignement secondaire, mais aussi au grand public.
Partout dans le monde, les musées et les lieux d’exposition réfléchissent à de nouveaux moyens de transmettre leurs contenus : la médiation numérique n’est plus un choix, mais une étape nécessaire pour garantir que les générations futures restent activement en contact avec leur patrimoine dont les institutions sont les gardiennes. Après avoir largement intégré le principe du site internet convivial, des bornes interactives et de la visite audioguidée proposées sur place, les musées ont réalisé via l’importance croissante des réseaux sociaux que le profil des visiteurs s’est définitivement transformé : de contemplatifs, ils sont devenus interactifs. Mais, pour attirer les visiteurs et laisser sa marque, il ne suffit pas d’afficher la connexion et les réseaux sociaux dans une salle d’exposition ou sur un site. Les institutions s’emparent de manière inventive des nouvelles technologies non seulement pour donner une qualité particulière à l’interaction avec les œuvres, dans l’espace du musée et à distance, mais aussi pour partager leurs ressources avec une portion beaucoup plus large de la société, en ciblant des publics qui traditionnellement avaient trop peu accès au musée.2
La plateforme sera prête en 2017. À partir d’œuvres de la collection, différentes thématiques et enjeux sociaux y sont explorés, en adoptant des points de vue variés, de l’art à la science, et en élargissant le spectre habituel du commentaire sur l’art. À ce jour, quatre thèmes ont été déployés : le cœur, le corps, la rue, les territoires. L’approche est résolument transdisciplinaire. Des images tournées dans les classes sélectionnées complètent les documents associés à chaque thème, qui s’ajoutent à une série de petits films où élèves et intervenants émettent leur point de vue. Ainsi, le thème de la rue illustré avec comme point de départ un tableau du Musée rebondit au-delà de la description classique de l’œuvre pour proposer les points de vue d’une spécialiste de l’art mural urbain et d’un danseur hip-hop. Dynamique, le visuel de la plateforme ÉducArt s’inspire de la cartographie des planètes et des constellations, chaque astre représentant l’un des 17 thèmes. L’agencement limpide et dépouillé permet une circulation aisée d’un thème à l’autre. Lorsque la plateforme sera accessible au grand public (en français et en anglais), ses visiteurs seront encouragés à donner leur point de vue sur les thèmes par l’intermédiaire des réseaux sociaux.
Rêver plus grand
« La plateforme ÉducArt s’inscrit dans un projet global humaniste du Musée », explique Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef : « Il s’agit, déclare-t-elle, de contribuer par plusieurs initiatives au mieux-être de la société, de cibler la programmation vers les familles, les écoles et les aînés, et d’inclure les groupes qui ont traditionnellement moins accès au Musée, et d’une manière générale, d’agrandir considérablement les espaces d’accueil réservés à l’éducation. L’Atelier international d’éducation et d’art-thérapie Michel de la Chenelière concrétise un large pan de ces objectifs. Notre réflexion sur la nouvelle plateforme numérique part du constat suivant : une collection doit être transmise, sinon sa pérennité est menacée. Or il y a une désaffection vis-à-vis de l’art ancien au Québec. Comment alors léguer nos “ champions ” aux générations futures et comment créer des icônes pour qu’ils deviennent des vecteurs de reconnaissance identitaire de sorte que les jeunes puissent se les approprier ? Je suis persuadée que l’art est polyglotte quand il est envisagé à 360 degrés, c’est-à-dire en dehors des sectarismes disciplinaires. Nos trois éditions du Musée s’affiche à l’école, des affiches gratuites choisies en fonction d’enjeux de société (écologie, alphabétisation, intimidation…) illustrées par des icônes de notre collection contenaient le principe d’ÉducArt. La venue de Michel de la Chenelière, puis de la plateforme numérique, nous a permis de rêver plus grand et plus efficace. Sachant les professeurs débordés, je voulais engager spécifiquement des professeurs qui travailleraient pour des professeurs. Je voulais travailler à l’échelle géographique du Québec pour la re-connaissance de notre collection : 17 projets-pilotes sont co-réalisés dans les 17 régions du Québec. »
Pour arrimer ÉducArt – axé plus particulièrement sur les jeunes de 12 à 17 ans – aux réalités de l’enseignement québécois, chaque thématique (la future plateforme en comprendra 17 en tout) est développée par l’intermédiaire d’un projet réalisé en association avec une école du Québec, dans un esprit de collaboration étroite à tous les niveaux. À mesure que la plateforme s’enrichit de documents et de ressources, les enseignants de toutes les disciplines sont invités à les utiliser en classe ou à soumettre à leur tour un projet scolaire thématique de collaboration avec ÉducArt en remplissant un formulaire. « Pour nous, insiste Jean-Luc Murray, directeur du Département de l’éducation et de l’action culturelle, la pédagogie coopérative est importante : l’idée est de rejoindre, sans leur dicter quoi faire, les enseignants qui sont déjà débordés, en leur apportant des outils modulables. Le projet conserve sa nature évolutive, insiste Jean-Luc Murray. Pour le diriger, nous avons engagé des concepteurs-éducation, Mélanie Deveault, suivie par Mathieu Thuot Dubé, tous deux sont dotés d’une solide expérience dans l’enseignement des arts plastiques. Ils sont chargés de mettre en place d’ici à 2017, à partir d’écoles sélectionnées dans 17 régions du Québec, les programmes Web pour les niveaux ciblés. »
Apprendre à regarder
Comment la réflexion sur la transmission des œuvres s’est-elle appliquée aux écoles ?
Nathalie Bondil voit dans la diversité de la collection encyclopédique du Musée un atout exceptionnel : « Le mandat du Musée n’ayant pas été défini lors de sa fondation en 1860, ses murs ont pu accueillir aussi bien les beaux-arts que les objets archéologiques, les arts décoratifs et le design que les cultures du monde. Les œuvres à notre disposition nous permettent pratiquement d’aborder tous les thèmes et toutes les problématiques sociales, en allant au-delà du discours classique sur l’art. D’ailleurs encyclopédique signifie à l’origine faire le tour. » Cet angle ne fait-il pas passer l’histoire de l’art au second plan ? « Notre approche déboulonne l’apparente inaccessibilité de l’œuvre d’art. ÉducArt montre comment les objets du musée peuvent s’ouvrir à d’autres discours dans lesquels les jeunes se reconnaissent. » ÉducArt peut-il espérer transformer les jeunes consommateurs en regardeurs ? « Absolument, assure-t-elle. L’utilisation de la plateforme implique une réflexion critique sur l’image. Nous apprenons à lire et à écrire, ÉducArt apprendra à regarder ».
Propos recueillis dans les bureaux du Musée des beaux-arts de Montréal le 27 octobre 2015.
(1) Pour rappel : dans le cadre du Plan culturel numérique du Québec, près de 11 millions ont été alloués aux Musées en 2014-2016, dont le MBAM, voir http://culturenumerique.mcc.gouv.qc.ca/a-propos/
(2) On trouvera plusieurs illustrations de nouvelles utilisations du numérique en médiation muséale en se documentant par exemple sur le logiciel original uCurate mis au point pour la Collection Phillips (Washington DC), voir http://blog.phillipscollection.org/2014/04/14/ curator-ucurate/ainsi que sur le projet international Museomix, utilisé récemment par des musées au Québec.Voir https://www.mnbaq.org/activite/ museomix-2015-242/