David Butler. Identités — Altérités
Visages protéiformes et corps anthropomorphes démembrés, voilà ce qu’évoquent les récentes sculptures de plâtre de David Butler regroupées sous l’appellation They Are Coming, the Vultures of History. Loin de susciter une aversion, elles intriguent par une forme d’élégance, digne de la statuaire antique.
À l’origine, il y a un moule, celui d’un visage féminin provenant d’un mannequin en plastique. La matrice est d’une grande finesse. Une fois le moulage réalisé, l’artiste procède par juxtaposition progressive, c’est-à-dire qu’il l’amalgame à un autre et ainsi de suite, de manière à engendrer une superposition de couches qui n’effacent jamais totalement la précédente. Parfois, il n’attend pas que le plâtre se solidifie, il intervient juste avant, au moment où la matière, pas tout à fait durcie, jouit encore d’une certaine malléabilité. Une telle intervention a pour effet de produire bosse, morcellement et décomposition. De plus, le processus de collage ne se joue pas uniquement au moment de la superposition ou de la juxtaposition de couches de visages, il engage des agrégats de mousse et de plâtre provoquant un effet de fossilisation. Seul le choix de couleur pourrait venir déstabiliser cette sensation. L’artiste a volontairement décidé de mélanger son plâtre à des pigments non naturels (jaune, orange ou vert fluorescent). Malgré cela, le rendu reste brut, presque archéologique. C’est comme si l’on se trouvait devant des statues ensevelies depuis plusieurs siècles, mais aujourd’hui déterrées. Ici, le drapé entourant le visage donne l’impression d’être face à une Madone de la Renaissance. Quelques parties effritées et fissurées dénoncent d’ailleurs les ravages du temps. Plus loin, la sculpture semble ouverte, elle donne à voir une intériorité, non faite de chair organique pétrifiée, mais de chair numérique. Le fameux wireframe, dessin représentant sous la forme d’un tracé triangulaire le rendu préliminaire de la modélisation en 3D de n’importe quel type de forme, devient alors le squelette du corps. Les têtes protéiformes de David Butler n’exhument donc pas uniquement un passé, elles mettent en évidence un autre registre, celui du Web, de la 3D, du virtuel. Si les vestiges du temps se rencontrent pour soulever la question de la représentation du corps, c’est aussi une manière de réaffirmer les abus de l’image et de reconsidérer les enjeux du couple identité-altérité.
C’est que l’artiste, ancien photographe, maîtrise l’art du rapiéçage, de la superposition et de la recomposition. Il est tout à fait conscient du poids de la société à l’égard du remodelage autant corporel qu’identitaire. Selon lui, nous sommes entourés de collages en tout genre, notamment grâce à (ou à cause de) l’univers du numérique. Parler de suprématie des logiciels de correction serait peut-être abusif ; il nous faut pourtant reconnaître que Photoshop (pour ce qui est de l’image fixe) est partout et retouche tout. Si le numérique ne suffit pas, qu’à cela ne tienne, la chirurgie plastique fera le reste. C’est donc entre déconstruction et reconstruction que tout se joue. Les sculptures de David Butler sont d’autant plus éloquentes à ce sujet qu’elles ne se veulent pas dénonciatrices, mais plutôt interrogatives.
La série They Are Coming, the Vultures of History sera présentée du 13 janvier au 24 février 2013 à la Galerie Lilian Rodriguez aux côtés des œuvres de Michael Doerksen et de Guillaume LaBrie dans une exposition qui propose de (re)penser la sculpture.