Chaises, voiture, moto-neige, murale, machine à écrire… L’histoire du design québécois racontée par onze objets plus ou moins célèbres.

Certains de ces objets peuvent être vus au Musée national des beaux-arts du Québec. Le nouvel aménagement du pavillon abritant les arts décoratifs du Musée des beaux-arts de Montréal se fait l’écrin de la table basse de Marcel Parizeau, du Ski-doo K60, de la chaise Nylon, de la torche olympique et de la berceuse Mamma.

MARCEL PARIZEAU (1898-1945)

TABLE BASSE

Matériaux opulents, conception libre, cette table raffinée de bois précieux est baignée par la créativité sophistiquée de l’Art déco avec de fortes influences issues de l’art abstrait parisien. Un piétement en croissant et des pilastres triangulaires soutiennent un plateau de verre épais. Pour la demi-douzaine de résidences qu’il réalise, l’architecte Marcel Parizeau se charge tout autant de l’aménagement intérieur que de la création des meubles. En 1936, Marcel Parizeau dirige le département de décoration intérieure de l’École du meuble, où il enseigne l’architecture et l’ébénisterie. Autour de 1935, Jean-Marie Gauvreau instaure à l’École du meuble, sur le modèle de l’École Boule à Paris, un programme d’arts appliqués, de décoration intérieure et de conception du mobilier. L’École du meuble a joué un grand rôle dans la diffusion de la modernité et dans la naissance du design au Québec.

Marcel Parizeau, Table basse, vers 1940 Palissandre, verre, laiton Éditée par G. H. Randall, Montréal 41 x 11,5 x 84 cm Don de la succession Maurice Corbeil Coll. Musée des beaux‑arts de Montréal Photo Christine Guest, MBAM

GUY VIAU (1920-1971) et LOUIS JACQUE (1919-2010)

TABLE DE TRAVAIL ET CHAISE

Tout le monde n’a pas la chance d’avoir eu un père designer. Guy Viau a été l’un des premiers à tenter l’aventure du design au Québec. Diplôme de l’École du meuble en 1944, Guy Viau est à Paris après la guerre, boursier et stagiaire chez le designer René Gabriel. Il travaille à la conception d’intérieurs et de mobilier pour la reconstruction des logements du Havre par l’architecte Auguste Perret. Revenu au pays, il ouvre en 1948, avec son frère Jacques, l’atelier des frères Viau. Offrant des services de décorateurs ensembliers, l’atelier se lance dans la fabrication en petite série. Les influences de Guy Viau vont d’Émile Rullhman, l’un des grands créateurs de l’Art déco, à Charles Eames et Charlotte Perriand ou au designer italien Gio Ponti. Dans son enseignement à l’Ecole du meuble qu’il poursuit en parallèle à l’atelier, il introduit les techniques de lamellé-collé et de contreplaqué moulé, et lorgne vers la production modulaire. Les contours profilés de ce secrétaire et ses proportions s’accordent aux nouvelles exigences de fonctionnalité. Avec ce meuble, Guy Viau et Louis Jacque raflent le deuxième prix des Concours artistiques de la Province de Québec en 1949.

Guy Viau et Louis Jacque, Table de travail et chaise, 1950 Acajou, Collection du Musée national des beaux-arts du Québec.

JACQUES GUILLON (né en 1922)

CHAISE NYLON

Durant ses études d’architecture, Jacques Guillon expérimente le contreplaqué d’érable ou de noyer pour concevoir le modèle de sa chaise Nylon, qu’il fait breveter en 1953. Des éléments de bois lamellé forment une structure ingénieuse soutenant des cordes de nylon. Avec un poids de trois kilos, la chaise pourrait supporter jusqu’à 1 200 kilos. Pour produire cette chaise, Guillon s’associe à un fabricant d’articles de sport. Le prix initial s’élevait à 29 $. Près de 60 000 exemplaires ont été vendus, surtout aux États-Unis. Aujourd’hui, la chaise Nylon vient d’être rééditée sous son appellation anglaise de Cord Chair par Avenue Road, à Toronto. Son prix : 900 $.

Au début des années 60, Guillon met sur pied le premier bureau d’étude interdisciplinaire au Québec. Il est l’un des grands acteurs de l’essor du design au Québec. Grâce à lui, les jeunes designers québécois se font connaître à Expo 67. Guillon va imaginer du mobilier de bureau, mais aussi planifier des espaces collectifs ou créer des équipements de transport, comme les voitures sur pneumatiques du premier métro montréalais. Face aux ingénieurs français, Guillon impose les voitures galbées, d’aussi grande capacité mais avec un gabarit plus compact. L’expertise acquise va contribuer à la croissance du secteur des transports au Québec. La croisade menée par Guillon pour la reconnaissance du design se base sur cette « valeur ajoutée » qu’est le rôle crucial du design dans le développement industriel.

Jacques Guillon, Chaise Nylon, 1952, Noyer lamellé, cordes de nylon, Éditée par Modernart of Canada, Montréal, 83 x 48 x 40,5 cm, Collection Liliane et David M. Stewart, don de Jacques Guillon, Coll. Musée des beaux‑arts de Montréal, Photo Giles Rivest, MBAM

JOSEPH-ARMAND BOMBARDIER (1907-1964)

MOTONEIGE SKI-DOO K60

Mécano de génie, Joseph-Armand Bombardier invente à la fin des années 1930 un engin pour se déplacer sur la neige. L’autoneige à chenillettes B7, destinée au transport de sept passagers, est suivie du B12, plus large, à 12 passagers. Tandis que la majorité des routes à la campagne n’étaient pas déblayées, ces autoneiges, produites à plus de 2 500 unités, rendent de précieux services. En 1958-1959, Bombardier met au point une première motoneige propulsée par un moteur à deux temps, fiable et léger. Le premier modèle de Ski-doo, le K60, était doté d’un châssis d’acier. Sa vocation utilitaire déborde rapidement vers une utilisation récréative, aujourd’hui parfois décriée.

Joseph-Armand Bombardier, Motoneige Ski‑Doo K60, 1958, Métal, bois, vinyle, caoutchouc, Éditée par Bombardier, Valcourt (Québec), 119,4 x 75,5 x 264 cm, Collection Liliane et David M. Stewart, don de Mme Claire Bombardier Beaudoin Coll. Musée des beaux-arts de Montréal, Photo Christine Guest, MBAM

JULIEN HÉBERT (1917-1994)

LOGO DE TERRE DES HOMMES, Expo 67

Sculpteur, philosophe, pédagogue, Julien Hébert imagine dès 1951 un mobilier de jardin en toile et tubes d’aluminium. Julien Hébert est aussi associé à la création de commandes publiques artistiques, à la conception d’espaces et d’aménagements, et à des réalisations graphiques comme le sigle du Cégep du Vieux-Montréal, toujours en usage. Julien Hébert (avec la collaboration de Marcel Girard) a dessiné le logo d’Expo 67. Avec comme thème Terre des hommes, Expo 67 mettait en valeur l’activité créatrice sous toutes ses formes et fut une pépinière de designers.

Julien Hébert, Logo de Terre des hommes. Expo 67, 1963, Collection du Musée national des beaux-arts de Québec, Don de la succession Julien Hébert

JEAN-PAUL MOUSSEAU (1927-1991) et CLAUDE VERMETTE (1930-2006)

MURALES EN CÉRAMIQUE, Station de métro Peel

Adoptant l’un des préceptes du manifeste Refus global, écrit en 1948 par Borduas et qu’il a contresigné avec une quinzaine d’autres jeunes artistes, Mousseau « refuse » de « se cantonner à la seule bourgade plastique ». Ce touche-à-tout pratique avec un égal talent la peinture, la création de lampes, le décor de théâtre, la création d’environnements et de scénographies. Avec l’aménagement de la station de métro Peel, l’art public s’associe au Montréal souterrain. Mousseau y amorce une collaboration fructueuse avec le grand céramiste québécois Claude Vermette. Mousseau intervient dans l’aménagement de nombreuses autres stations montréalaises jusqu’à la fin des années 1980. À la station Peel, de grands cercles de couleur en céramique, disposés de façon asymétrique sur le sol et les murs, créent mouvement et orientation. Au cœur des grands chantiers de la Révolution tranquille, Mousseau s’illustre également dans la conception de discothèques. Dans ces nouveaux lieux de fêtes nocturnes, les frontières de l’art et du quotidien se dissolvent allègrement.

Jean-Paul Mousseau et Claude Vermette, Murales en céramique, Station de métro Peel, 1966, SODRAC, Architectes Papineau Gérin-Lajoie Leblanc, Photo Jean-René Archambault

MICHEL DALLAIRE (né en 1942)

TORCHE OFFICIELLE DES JEUX OLYMPIQUES DE 1976

Depuis le milieu des années 1960, Michel Dallaire porte haut et fort le flambeau du design québécois. Il expérimente avec conviction des nouveaux matériaux, notamment les thermoplastiques. C’est pourtant en aluminium usiné et peint à la poudre de polyester thermodurcissable qu’il imagine la torche de la XXIe Olympiade de Montréal en 1976. La flamme se consume en des lueurs rouge orangé qui se détachent de façon photogénique grâce à un carburant spécial à base d’huile d’olive et d’additifs spécifiques. Les créations de Michel Dallaire transmettent le même feu sacré du « bon design ». Chez lui, le souci d’aller à l’essentiel et l’originalité sont au rendez-vous. L’objet, derrière son apparente sobriété, est toujours porteur d’une émotion. L’AngelCare (1998) veille sur les rêves des tout-petits. L’ange schématisé lui a été inspiré par les anges évoluant au sein de certains tableaux de son père, le peintre Jean Dallaire. Aussi pratique que poétique, ce détecteur de sons et de mouvements s’est vendu à 2,6 millions d’exemplaires dans 40 pays. Une des récentes créations de Michel Dallaire est le BIXI, le populaire vélo urbain en libre-service (2008). Cette année, 30 000 BIXI circuleront sur trois continents.

Michel Dallaire, Torche officielle des Jeux olympiques de 1976, 1974, Aluminium peint à la silicone et polyester thermodurcissable

ALBERT LECLERC (né en 1935)

MACHINE À ÉCRIRE LEXICON 90 OLIVETTI

Albert Leclerc collabore en Italie avec des designers de renom tel Ettore Sottsass, participant ainsi au miracle du design italien des années 1970. Œuvrant pour ce panthéon du design qu’était alors Olivetti, il fut responsable de la conception de plusieurs objets en matière plastique et de cette machine à écrire épurée.

Albert Leclerc, Machine à écrire, Lexicon 90 Olivetti, 1975, Métal et plastique, En collaboration avec Ettore Sottsass

CLAUDE MAUFFETTE (né en 1951)

TRULEVER

Inventeur, Claude Mauffette chouchoute en virtuose un objet dans ses moindres détails. Le résultat participe de façon hyper spécialisée à une meilleure qualité de vie. Accompagnant les rites de la dégustation des vins, ce tire-bouchon automatique, le Trulever, a été conçu pour la compagnie Trudeau de Boucherville en 2000. Plus de 300 000 exemplaires ont été vendus. Le Trulever a gagné une médaille d’or au Salon international des inventions de Genève. Il a aussi été déclaré meilleur tire-bouchon au monde par un magazine de consommation européen réputé, en 2004.

Claude Mauffette, Tire-bouchon, automatique Trulever pour la compagnie Trudeau, de Boucherville, 2000, Polycarbonate et inox

PATRICK MESSIER (né en 1974)

BERCEUSE MAMMA

Avec Patrick Messier, le jeune design québécois s’intègre dans un grand mouvement international de fusion entre vocation utilitaire et création artistique. Avec quelque chose de sculptural, des associations formelles évoquent ici la maternité. Le déroulement en ruban de la ligne se rapproche notamment des chaises zigzag de Rietveld ou, à la fin des années 1960, de celles de Verner Panton.

Patrick Messier, Berceuse Mamma, 2005, Fibre de verre et revêtement d’uréthane à haut lustre

SIMON LAMARRE (né en 1969)

VOLVO C30

Après des études à l’UQAM en design environnemental, Simon Lamarre, Québécois d’origine, s’est joint à Volvo en mars 1995. Il participe au concept SCC de Volvo, qui a donné naissance à la Volvo C30. Les lignes de ce coupé deux-portes appartiennent à l’ADN du constructeur suédois en s’inspirant des coupés sport Volvo des années 1960. Cette voiture élégante et sexy innove avec sa console centrale en aluminium, son hayon arrière, son aménagement intérieur et ses couleurs. Avec cette voiture suédoise, le designer québécois fait une entrée remarquée dans le gotha du design automobile international. Un autre Québécois, Dany Galant, ex-designer chez Bombardier, s’est illustré récemment en signant la conception de la nouvelle Audi A8, l’une des voitures les plus racées de l’heure.

Simon Lamarre, Volvo C30, 2006