Designer ? Artiste ? Architecte ? François Dallegret est tout cela à la fois et bien plus encore. « J’ai toujours cherché, dit-il, à casser un peu l’idée traditionnelle du design et de l’œuvre d’art entre guillemets. »

La carrière de François Dallegret démarre sur les chapeaux de roue en 1962. Il présente alors à la Galerie Iris Clert, à Paris – là même où exposait Yves Klein – des dessins à l’encre de Chine grand format. Ces dessins montrent d’étranges Automobiles astrologiques. Avec ces bolides, un par signe du zodiaque, Dallegret prédit l’avenir. En avance sur son temps, Dallegret dénonce avec ironie la société de consommation et la mise en marché de l’art contemporain.

L’esprit des années 1960

À partir de là, pour lui, les astres s’alignent pour de bon. Il s’établit à New York. Au Chelsea Hôtel où il vit, il rencontre Lichtenstein et Andy Warhol. Ses dessins représentent alors des machines improbables. LiNtrocoNversoMatic (1963) anticipe aussi sur notre époque. L’artiste – car c’en est un – se représente dans ce dessin, bardé d’appendices technologiques. L’image annonce l’iPhone actuel. Dallegret devient la coqueluche de revues telles Aujourd’hui : Art et Architecture, en France ; Design Quarterly ou Art in America, aux États-Unis, qui publient ses dessins. En 1965, il rencontre Reyner Banham. Architecte et théoricien, ce dernier lui demande des dessins pour son article intitulé A Home is Not a House dans Art in America. « Ces dessins, se souvient Dallegret, ont été réalisés au Graphos, au compas, à la règle, au perroquet sur film d’acétate, en des traits très précis. » Il imagine tantôt un réseau de tuyaux, de fils et de conduits emmêlés ou, ailleurs, une série d’appareils : écrans de télévision, systèmes de son, capteurs solaires. La technologie devient le cœur de la « maison nomade » des utopies de l’époque.

Palais Métro, avec Joseph Baker (1968)

L’art du quotidien

Dallegret revient à Montréal à la fin de 1964 pour collaborer à Expo 67. Dans la foulée, Bill Sofin lui demande d’aménager un nouveau lieu, à la fois bar et discothèque, pharmacie et galerie. Avec ses parois molles en polyuréthane et ses éléments de béton lissé, le Drug, rue de la Montagne, étonne. En 1968, Dallegret dessine l’affiche de la Design Conference d’Aspen, au Colorado. Ce congrès international auquel il participe consacre les courants alternatifs et les architectures imaginaires d’Archigram, d’Archizoom et de Superstudio.

Au fil des ans, Dallegret a imaginé des installations lumineuses, des jouets pour adultes, une Villa ironique (1983) et mille autres inventions insolites. Depuis quelques années, ses créations, devenues « vintage », s’envolent aux enchères dans les maisons de vente à Londres ou à New York.

Après le Musée du Luxembourg en 2007, l’Architectural Association de Londres à la fin de l’automne 2111 résumait par une exposition la surprenante carrière de François Dallegret. Aux côtés de ses dragsters des années 1960, des sérigraphies, des photos et des maquettes, on pouvait y voir notamment des esquisses pour le Palais Métro conçu en 1968 pour le site aujourd’hui occupé par la Grande Bibliothèque mais jamais construit. La chaise Ressort (1967) est faite d’une feuille d’aluminium pliée. L’exposition retraçait d’autres créations énigmatiques ayant pour noms Laser mouLumikiick, Atomix (1966), Lit Croix, Machine. La si­lhouette en forme d’haltère du Kiik, à la fois objet et logo modulaire, est reprise en d’innombrables usages. Le Kubaltos, un environnement conçu pour une place publique à Chicago en 1967-1968, ne fut jamais réalisé. Dallegret a dessiné en 1980 une magnifique table, baptisée Table Pylône, qui évoque les pylônes soutenant des lignes à haute tension. Toujours branchés, ses objets rappellent l’humour et l’esprit d’une époque irrévérencieuse.

À Londres, ce grand « manie tout » a choisi comme titre de son exposition : GOD & CO. La référence théiste qui labellise et accompagne la cosmogonie d’objets conçus par Dallegret vient du nom inscrit à la carte de crédit Shell de son agence durant les années 1960. « J’ai fait une demande sous ce nom, et quinze jours plus tard je recevais ma carte. » Si Dallegret carbure toujours sous ce vocable, ces trois lettres God sont là seulement comme abréviation du slogan « Go Dallegret ! »

En 1976, à l’occasion des Jeux olympiques de Montréal, ce champion de la dérision crée l’Arthlète en se représentant en discobole. Ses œuvres sont alors exposées à sa boutique, l’Artorium, rue Bonsecours, dans le Vieux- Montréal. Peu à peu, Dallegret va détourner des matériaux et des objets de leur usage commun. À Montréal, Interface (1989) marque la façade de l’ancienne École d’architecture, rue Saint- Urbain, alors siège du Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal. Des panneaux de fibre de verre forment un écran, translucide le jour et éclairé au néon le soir. Dallegret a placé ces objets banals et pauvres de sens au centre d’un dispositif qui, paradoxalement, fait appel au décorum et au monumental.

Éclairage poétique

En 2002, Dallegret réalise à Trélazé, en France près d’Angers, une commande publique. Mobilier urbain ? Pylônes d’éclairage ? Sculpture ? Arche ? Enseigne routière ? Décrit avec humour comme « Porte-Lumière », ce portail est fait de mâts en acier qui trônent au-dessus d’une route. Projetant leur éclairage à l’horizontale, les faisceaux lumineux forment un signal. Ici, des éléments ordinaires de la vie de tous les jours rejoignent l’appropriation poétique. Après 50 ans de création, François Dallegret réinvente toujours le quotidien.


GOD & CO : FRANÇOIS DALLEGRET BEYOND THE BUBBLE
Architectural Association, Londres
Du 5 novembre au 14 décembre 2011

ETH Zurich
Du 2 au 24 mai 2012

D’autres étapes sont prévues en Europe. On espère que l’exposition vienne au Québec et au Canada.