Antoine Pentsch – L’esprit de la matière
Antoine Pentsch provoque l’espace pictural pour en extraire des figures ou des éclats de matière. Les unes et les autres surgissent comme s’ils provenaient de temps anciens, de lieux longtemps enfouis. L’artiste ne peut mieux expliquer la nature terreuse, pierreuse ou minérale des visages pétrifiés ou des sites d’écume et de sel qu’il fait naître du seul pouvoir de ses manipulations. D’ailleurs, il est le premier surpris par ce qu’il crée. « Quand j’ai fini ma journée, me confie-t-il, je regarde ce que j’ai produit et parfois je suis étonné. Je me demande : “Est-ce moi qui ai fait ça ? Est-ce que j’ai le droit de faire des choses comme celles-là ? ” »
Graveur accompli, Antoine Pentsch se consacre exclusivement depuis une vingtaine d’années à la production de monotypes. Après avoir maîtrisé toutes les techniques de l’estampe et exécuté des centaines de gravures, après avoir enseigné ces techniques à des générations d’étudiants dont quelques-uns sont devenus artistes à leur tour, il a choisi la technique de l’empreinte, la plus lointaine et, en apparence, la plus élémentaire pour affronter l’espace sans cesse renouvelé de la feuille blanche. Contrairement à la gravure imprimée sous presse, l’empreinte n’offre jamais deux fois la même image, jamais deux fois exactement la même tonalité chromatique. Parmi les moda-lités de reproduction du type « mécanique », elle est celle qui est la plus proche de la peinture. Antoine Pentsch produit donc des œuvres uniques. Des monotypes.
L’artiste commence par dessiner, à moins qu’il ne choisisse directement d’étaler de l’encre ou de l’aquarelle sur un support quelconque – plaque de métal, panneau de bois ou pièce de papier. Il définit ou non les contours de la forme (figure ou paysage) de la préparation qu’il élabore ainsi. Il en prend ensuite l’empreinte – très singulière empreinte – en appuyant dessus une feuille de bristol. Naturellement, il module sa pression. Après, il retire délicatement la feuille. Si l’image obtenue lui convient, il la garde telle quelle. Sinon, il la rejette, ou alors il intervient à la plume, au pinceau, avec les doigts… Qu’importe. Il peut reprendre la manœuvre en juxtaposant ou en superposant d’autres motifs dont il prélève successivement l’empreinte ; il peut exécuter ainsi autant de passages qu’il désire. Dans ce cas, le processus s’apparente aux passages d’une gravure sous la presse. La plupart du temps, pour Antoine Pentsch un seul passage suffit. Quoi qu’il en soit, il entre une part de hasard dans cette opération. C’est ce qui en fonde l’enjeu et ce qui en justifie l’intérêt. Il revient à l’artiste d’exploiter l’accident avec le plus de spontanéité et d’habileté possible selon les sujets qu’il s’est imposés, selon le sens qu’il veut donner à sa confrontation avec la matière.
Pyramides
Cette confrontation a d’abord donné lieu à des images de paysages rocheux : déserts, grottes, gouffres. Leurs couleurs écumeuses allant du blanc au bleu produisent un effet de relief ou de profondeur qui s’accompagne parfois d’une sensation de vertige. Certaines empreintes circulaires évoquent des vues de la Terre qui auraient été prises à partir d’un satellite géostationnaire. Dans d’autres œuvres, l’artiste s’est plu à limiter la vue du paysage à la perception qu’en offre le champ visuel humain. Il obtient ainsi des images inscrites dans un triangle dont le sommet est en bas de la feuille. Rien de plus simple que de retourner la feuille pour obtenir l’image d’une pyramide (donc avec la pointe en haut) avec ses strates qui marquent son histoire et ses parois rugueuses venues d’une civilisation lointaine !
Les œuvres récentes d’Antoine Pentsch résultent d’une sorte de pulsion. « Je regarde attentivement les images que j’ai produites, m’explique l’artiste, et, à mesure que je les observe, monte en moi le sentiment que je suis un autre. Je veux dire que j’ai l’impression que c’est un autre que moi qui a fait ces images… » Devant mon silence, il poursuit : « C’est plus compliqué encore. Car je me trouve dans une posture équivoque. Je suis partagé entre ce que j’ai conscience d’être (un artiste qui travaille tous les jours et qui est entièrement occupé à faire advenir sur des feuilles des images d’un certain ordre) et un autre qui examine, critique et – pourquoi pas ? – admire parfois les compositions produites, mais toujours comme si elles lui étaient étrangères. »
Masques
En effet, Antoine Pentsch éprouve du mal à se reconnaître l’auteur de figures qu’il fait surgir d’un passé aussi éloigné que l’Antiquité grecque ou romaine. Il suffit d’énumérer les titres de ses œuvres récentes pour s’en convaincre : Ulysse, Achille, Œdipe. Dans d’autres cas, l’artiste se contente d’appeler ses têtes Guerrier ou Guerrière et parfois Otage. Cependant, il a intitulé son exposition à la Galerie Bernard Masques, attribuant ainsi à ses figures une dénomination commune.
Personnages légendaires, Achille, Ulysse, Œdipe sont a-mortels ; ils doivent évidemment le privilège de traverser le temps au génie d’Homère et de Sophocle. Les voilà donc qui se signalent à nouveau (ici aujourd’hui) non comme des apparitions ou des fantômes, mais comme des acteurs la face couverte du masque de la tragédie. Leurs visages sont certes minéralisés et, par là, vulnérables à l’érosion mais, dès lors, les voici en quelque sorte humains et, de cette manière, vivants par les soins d’Antoine Pentsch. À côté d’eux, il y a les guerriers – anonymes – et, comme dans tout conflit, les otages, anonymes eux aussi. Il est clair que le traitement pictural que donne Antoine Pentsch à ces personnages n’a rien d’anecdotique : la guerre est de tous les âges. Et plus que jamais au calendrier de l’âge de fer actuel. L’artiste a choisi d’incruster leur effigie avec des fragments de roches sédimentaires qui transmettent l’impression, comme des fossiles, qu’ils ont été extraits d’un paysage pierreux. Par le procédé de l’empreinte, l’artiste restitue non leur figure propre mais l’image de leur double, leur masque. Est-ce un hasard si certains de ces masques accusent des traits d’Antoine Pentsch ?
ANTOINE PENTSCH – MASQUES
Monotypes sur papier
Galerie Bernard
3926, rue Saint-Denis, Montréal
Tél. : 514 277 0770
galeriebernard@bellnet.ca
Du 16 mai au 16 juin 2012