Valérie Blass pratique un art de la dissimulation. Ses assemblages montrent bien des objets reconnaissables, mais leur agencement conduit chaque fois à une sculpture qui ne ressemble… à rien.

À rien ? À rien d’autre qu’à une œuvre d’art singulière, unique, énigmatique. Œuvre identifiable, certes, à l’arrangement des objets qui la composent, ainsi qu’au titre que lui donne l’artiste. Par exemple, le montage Comme dans l’an quarante (2011) se présente comme l’amalgame d’un petit récipient bleu en forme de cygne qui sert de bouche à la face d’un buste de Néfertiti auquel se greffent une poupée, une gueule de caniche, une main dont les doigts font un signe de victoire, et puis encore une botte de plastique, des raccords de tuyaux jaunes… Bref, il s’agit d’un fatras, au sens surréaliste qu’un poète comme Jacques Prévert donnerait à ce mot. C’est pourquoi il ne faut pas chercher à comprendre quoi que ce soit dans ce type de mélange, mais plutôt se laisser porter par les heureuses ou moins heureuses coïncidences qu’offre Valérie Blass, qui prend plaisir à servir d’entremetteuse entre une pipe et un soulier, entre un peigne et un cendrier.

Que ces artefacts aient été acquis chez un antiquaire ou ramassés dans un dépotoir ne rehausse ni n’altère leur qualité de matériaux plastiques ; ils sont les vocables du lexique des jeux – car ses sculptures s’assimilent souvent à un jeu, serait-il jeu de construction – qu’élabore l’artiste. Derrière le caractère ludique (faussement ludique en vérité) de ses sculptures, fruits de montages, de modelage, de greffages, de moulages qui supposent leur lot de tâtonnements, d’essais et d’erreur, Valérie Blass dissimule probablement une grande angoisse avec son cortège de colère, d’agressivité, de violence contenue, d’insatisfaction, voire de peur. Comment expliquer la présence d’armes (couteaux, flèches) dans certaines sculptures ?

Il y aurait gros à parier que c’est l’artiste elle-même qui se cache derrière ses figures du double et des effets de miroir qui la justifieraient de n’être « ni soi ni l’autre » ; elle se cache aussi, et plus encore sans doute, dans ses corps « sans tête » qui tiennent du menhir, du croisement humain-animal, ou du mutant hybride homme-femme. On songe ici aux personnages couverts de cheveux (L’Homme souci, 2009), ou de peluche (L’Homme paille, 2008), ou de polystyrène expansé qui forme une coquille d’où sort un bras armé d’un bâton ressemblant à un couteau (Ce nonobstant, 2011).

Les amants faisant l’amour corps et jambes emmêlés éperdument enlacés l’un à l’autre, la tête non visible, ou perdue, ou noyée dans l’eau des miroirs qui bordent la couche de leurs ébats est assurément l’une des œuvres maîtresses de la rétrospective que le MACM consacre à Valérie Blass. Intitulée Dans la position singulière qui est la mienne (2012), cette sculpture, qui ne figure pas dans le catalogue, est peut-être annonciatrice des prochaines productions de l’artiste. Dommage qu’elle soit si mal mise en valeur, isolée dans un coin de la grande salle d’exposition. Sans doute Lesley Johnstone, commissaire de la rétrospective, probablement impressionnée par le désordre de l’atelier de l’artiste qui, de son aveu même, mène la réalisation de plusieurs œuvres en même temps, a-t-elle voulu restituer au Musée ce « réalisme de l’atelier ». Hélas, la dispersion et le caractère hétéroclite de la présentation d’ensemble ont pour effet de ne rien mettre en valeur, et surtout d’éparpiller l’attention du visiteur qui ne sait pas très bien où et quoi regarder. Le risque est grand, sinon inévitable, de réduire les sculptures à un aimable ou à un méchant bricolage. Ce qu’elles ne sont absolument pas.

Car les constructions de Valérie Blass recèlent l’expression du sentiment tragique de l’existence. Elles offrent une lecture de ce que le cours des choses peut avoir de hasardeux et montrent combien il est illusoire peut-être de vouloir réunir ce qui est disjoint ou dispersé, voire disparate. Or, entreprendre une telle tâche permet d’élaborer une œuvre. Alors, aussi absurde soit-elle, elle donne non pas un sens à la vie mais, ironiquement, une raison de vivre autant à l’artiste qu’à ceux qui observent ses créatures. Surprenante sagesse ! 


VALÉRIE BLASS
Sculptures
Musée d’art contemporain de Montréal
185, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal
Tél. : 514 847-6226
www.macm.qc.ca
Commissaire : Lesley Johnstone
Du 2 février au 22 avril 2012