Notre souhait pour le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) est de voir revivre sa bibliothèque. Les bibliothèques des musées d’art possèdent des collections uniques et jouent un rôle dans l’accès aux ressources pour la recherche et l’apprentissage. Avec une bibliothèque spécialisée ouverte au public, un musée parvient mieux à remplir sa mission. Dans cet essai, nous proposons des critères de base pour déterminer ce dont la nouvelle bibliothèque du MAC a besoin.

Comme l’indique l’article 24 de la Loi sur les musées nationaux du Québec, le MAC est chargé « de faire connaître, de promouvoir et de conserver l’art québécois contemporain et d’assurer une présence de l’art contemporain international par des acquisitions, des expositions et d’autres activités d’animation »1. La mission première d’un musée s’articule autour de sa collection d’œuvres et d’artefacts, lesquels sont utilisés dans la création d’expositions qui attirent des visiteur·euse·s du monde entier. Celles-ci nécessitent de nombreuses heures de recherche approfondie afin de découvrir de nouvelles perspectives et des champs d’expertise inédits. Un musée d’envergure internationale mérite une bibliothèque du même calibre, dans laquelle les conservateur·rice·s et les employé·e·s peuvent mener leur recherche, et où les visiteur·euse·s peuvent en apprendre davantage sur les collections muséales et sur le rôle de l’art dans la société.

LA MÉDIATHÈQUE DU MAC

Fondée tout juste un an après l’ouverture du MAC en 19642, la Médiathèque est l’une des plus importantes bibliothèques spécialisées en art contemporain au Canada3. Elle abrite une collection riche et variée avec 40 335 catalogues d’exposition et monographies, 732 livres d’artiste, 815 catalogues rares, 1 133 enregistrements vidéo, 205 enregistrements audio, 884 périodiques, 8 762 dossiers d’artiste et 1 135 dossiers d’événement4. Elle constitue une ressource inestimable pour la compréhension et l’appréciation de l’art contemporain tout comme de l’histoire du musée. Malheureusement, depuis 2014, elle est pratiquement inaccessible aux visiteur·euse·s : seul·e·s les étudiant·e·s des cycles supérieurs et les professionnel·le·s de l’art peuvent s’y rendre5. Lors de sa dernière année d’ouverture au grand public, la Médiathèque a connu une fréquentation importante, avec 29 943 visiteur·euse·s6. À la suite des restrictions d’accès instaurées en 2014, la fréquentation a significativement diminué : on compte en moyenne 94 chercheur·euse·s et 184 demandes d’information par année7. Lever ces restrictions permettrait aux visiteur·euse·s d’avoir une meilleure conception de l’ampleur et de l’envergure de la collection du MAC, des études ayant montré que ce ne sont qu’environ cinq pour cent des collections d’un musée qui sont visibles à la fois8.

Vue du Centre de documentation et de la Bibliothèque du Musée d’art contemporain de Montréal à la Cité du Havre (vers 1976). Source : Archives du Musée d’art contemporain de Montréal. Photo : Ville de Montréal


LES ARCHIVES ET LES COLLECTIONS SPÉCIALES

Une archive est une collection unique de documents ; les archives des artistes et des pratiques artistiques conservées dans les bibliothèques des musées ne sont pas reproduites dans les institutions universitaires ou publiques. Par exemple, le MAC détient le fonds d’archives du peintre Paul-Émile Borduas, qui contient 4,9 mètres de documents, dont 890 images, lettres et manuscrits. Un tel contenu permet de mieux saisir l’évolution des pratiques des artistes et offre un aperçu de leur processus créatif. Les fonds d’archives comprennent divers documents, tels que des coupures de presse, des dépliants d’exposition et de la documentation visuelle des œuvres. Ils témoignent également du réseau de l’art à une époque précise. Cette documentation est essentielle pour les étudiant·e·s et les conservateur·rice·s, mais stimule aussi la curiosité au sein d’un public plus large.

La bibliothèque d’un musée ne devrait pas être réservée aux chercheur·euse·s universitaires. Elle peut également mettre en valeur ses ressources documentaires en proposant des présentations destinées aux visiteur·euse·s occasionnel·le·s. L’exposition Jean-Paul Riopelle (1923-2002) (5 octobre 2023-30 juin 2024) de la Bibliothèque et des Archives du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) coïncidait avec l’exposition Riopelle, à la croisée des temps (27 octobre 2023-7 avril 2024) organisée par le musée. Elle offrait une plongée dans la pratique du peintre avec la présentation de catalogues, de photographies, d’affiches et d’estampes rares9. Les collections d’une bibliothèque peuvent devenir des ressources dynamiques pour explorer diverses perspectives et interprétations thématiques. Inviter des commissaires et proposer des résidences de recherche, comme le programme Scholars in Residence du Museum of Modern Art10 et la bourse General Idea du MBAC11, sont des initiatives qui offrent l’occasion d’activer la collection d’une bibliothèque et de transformer les archives. En outre, ces documents peuvent être prêtés à d’autres musées afin d’élargir le public et de maximiser la visibilité des collections. Parallèlement, le rôle de la bibliothèque, qui consiste à conserver les archives institutionnelles, correspond à la mission plus générale de préservation et d’éducation du musée, et en fait un pôle central de créativité, d’érudition et de collaboration.

RESSOURCES NUMÉRIQUES

Plus les ressources passent de l’imprimé au numérique, plus les bibliothèques se chargent de gérer des outils en ligne, incluant les catalogues et les archives numérisées. Cet essor permet d’effectuer des recherches à distance et ouvre l’accès à ces inestimables ressources à un public plus vaste. Dès que les collections sont disponibles en ligne, elles constituent la base de la programmation, offrant aux conservateur·rice·s, aux éducateur·rice·s et aux professionnel·le·s des bibliothèques l’occasion de travailler conjointement afin de développer des contenus, autant dans le musée que pour l’ensemble de la communauté. Les priorités en matière de numérisation peuvent correspondre aux expositions et aux programmations à venir.

À la bibliothèque Thomas J. Watson du Metropolitan Museum of Art de New York12, chaque collection numérique commissariée est accompagnée d’une description qui offre un aperçu de son contenu, que les usager·ère·s peuvent ensuite consulter en parcourant la réserve numérique du musée. Cette approche illustre le fait que l’accessibilité des documents en ligne n’est qu’un début. La collection d’une bibliothèque est un terrain fertile pour la collaboration commissariale : elle favorise un environnement dynamique et stimulant.


ENGAGEMENT VIS-À-VIS DE LA COMMUNAUTÉ

Ces bibliothèques servent de pôles communautaires pour les amateur·rice·s d’art en proposant des conférences, des ateliers et d’autres programmes publics. Ces activités peuvent jouer un rôle central dans la recherche artistique en faisant participer la population locale et en soutenant un lien plus étroit avec le musée et ses offres.

Les échanges d’idées stimulés par la collection d’une bibliothèque peuvent être diffusés dans les publications numériques et imprimées du musée. En étendant sa portée, ce type de programmation amplifie l’accessibilité des collections en cultivant un contexte dynamique pour l’apprentissage et une discussion en continu. La bibliothèque d’art devient davantage qu’une réserve de connaissances et contribue à la recherche en participant activement au discours sur l’art.

La bibliothèque muséale doit aller au-delà de ses usager·ère·s habituel·le·s – étudiant·e·s et chercheur·euse·s – et développer des activités destinées à une variété de publics. Par exemple, une fois par mois, le Centre Canadien d’Architecture propose une « heure du conte », dont le contenu est en lien avec l’exposition en cours. Populaire auprès des familles, cette initiative facilite la croissance de nouvelles catégories de visiteur·euse·s pour l’ensemble de l’institution13.

Vue de la Médiathèque du Musée d’art contemporain de Montréal à la Place des Arts (vers 1993). Source : Archives du Musée d’art contemporain de Montréal

DE QUOI LA BIBLIOTHÈQUE DU MUSÉE A-T-ELLE BESOIN ?

L’implantation d’une bibliothèque muséale témoigne d’un engagement envers la découverte, l’exploration, l’éducation et la recherche. La bibliothèque devrait occuper un espace qui n’est pas seulement visible, mais aussi entièrement accessible. Cela doit être un environnement accueillant, qui incite les visiteur·euse·s à s’immerger dans ses ressources à la suite de leur expérience de l’exposition. La conception et l’architecture de la bibliothèque devraient faciliter l’accès à la collection de diverses manières.
La bibliothèque muséale idéale englobe plusieurs types d’espace. On devrait y trouver des zones de détente où les gens peuvent discuter, prendre des égoportraits et lire de la documentation à propos de la programmation en cours. Des espaces éducatifs pour les activités de groupe et des salles d’études individuelles pour la recherche ciblée doivent être pensés. La bibliothèque devrait aussi comporter des espaces adaptés pour travailler avec les archives et pour manipuler des documents hors standard ou de grand format. De plus, il est essentiel de l’équiper de stations de travail informatiques afin d’accéder au catalogue et aux collections numériques. Ces différents espaces garantissent un environnement complet et polyvalent. Récemment rénové, le Gottesman Research Library and Learning Center du American Museum of Natural History à New York offre une illustration de cette configuration idéale14.

Une bibliothèque nécessite au moins un·e bibliothécaire professionnel·le15. Au Québec, pour exercer cette profession, il faut être titulaire d’un diplôme de maîtrise en sciences de l’information délivré par un établissement accrédité par l’American Library Association. Dans la province, deux universités offrent ce diplôme : l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (Université de Montréal) et la School of Information Studies (Université McGill). Les bibliothécaires assument toute une gamme de responsabilités, telles que la supervision des activités de gestion de la collection, son développement, le maintien de sa conservation et l’offre de services publics. Iels favorisent la littératie visuelle, artistique et même globale en contribuant de façon significative à la société.

En conclusion, les bibliothèques des musées doivent continuer à s’intéresser à la littératie visuelle, à l’éducation et aux besoins changeants d’une société en se concentrant sur l’inclusion et l’accessibilité pour une grande diversité d’usager·ère·s, et non seulement pour les chercheur·euse·s universitaires16. Même si la technologie transforme la façon dont les chercheur·euse·s accèdent aux ressources, ces bibliothèques demeurent des espaces communautaires dynamiques qui cultivent la curiosité, la découverte, la recherche, l’apprentissage et la création.

En offrant un accès aux connaissances et une plateforme pour la découverte et l’étude approfondie de l’art, la bibliothèque située à l’intérieur d’un musée constitue un soutien essentiel à la réalisation de la mission de l’institution : elle contribue activement à la valorisation et à la préservation du patrimoine artistique. Les bibliothèques muséales du Québec, telles que la Médiathèque du MAC, ne sont pas uniquement de précieux points d’accès pour l’étude et la recherche sur l’art contemporain dans la province, mais contribuent également à la compréhension qu’a le public des artistes et de leur rôle dans le développement de la société québécoise17.

(Les membres du comité exécutif 2023 d’ARLIS-MOQ : Hélène Brousseau, Pamela Caussy, Paule Kelly-Rhéaume, Gwen Mayhew et Satya Miller)

ARLIS MOQ, le chapitre Montréal-Ottawa-Québec de l’Art Libraries Association of North America, unit bibliothécaires, archivistes, conservateurs, et étudiants autour des enjeux des milieux documentaires et des arts.

Traduction vers le français de Catherine Barnabé. La version originale anglaise est publiée ici.

1 Publications du Québec, M-44. Loi sur les musées nationaux, Légis Québec, 1983 [mis à jour le 1er décembre 2023], legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/M-44.

2 Michelle Gauthier, « Le centre de documentation », Journal du Musée d’art contemporain de Montréal, nº 3 (septembre-octobre 1990), p. 4, macrepertoire.macm.org/media/publications/journal_musee/D/JM1990.1.3_DNf.pdf.

3 Régine Francoeur, « Les dossiers documentaires de la Médiathèque du Musée d’art contemporain de Montréal », Documentation et bibliothèques XLIII, nº 3 (juillet-septembre 1997), p. 149-151, doi.org/10.7202/1033030ar.

4 Musée d’art contemporain de Montréal, Rapport annuel 2022-2023 (2023), p. 71, macrepertoire.macm.org/publication/rapport-annuel-2022-2023/.

5 Musée d’art contemporain de Montréal, Rapport annuel 2014-2015 (2015), p. 36, macrepertoire.macm.org/publication/rapport-annuel-2014-2015/.

6 Musée d’art contemporain de Montréal, Rapport annuel 2012-2013 (2013), p. 15, macrepertoire.macm.org/publication/rapport-annuel-2012-2013/.

7 Ces chiffres représentent la moyenne des données de fréquentation inscrites dans les rapports annuels de 2014-2015 à 2018-2019. Nous avons exclu les années où les services ont été affectés par la pandémie et lors desquelles la collection a été touchée par le projet de rénovation du MAC.

8 Christopher Groskopf, « Museums are keeping a ton of the world’s most famous art locked away in storage », Quartz (20 janvier 2016), qz.com/583354/why-is-so-much-of-the-worlds-great-art-in-storage ; Kimberly Bradley, « Why museums hide masterpieces away », BBC (23 janvier 2015), bbc.com/culture/article/20150123-7-masterpieces-you-cant-see.

9 Musée des beaux-arts du Canada, « Jean Paul Riopelle (1923-2002) », s. d., beaux-arts.ca/a-laffiche/expositions-et-salles/jean-paul-riopelle-1923-2002?_gl=1*nx6dol*_gam*MjA3OTU4MDEzNC4xNzA2MjE5MDkz*_ga_83BW334MD2*MTcwNjIxOTA5My4xLjEuMTcwNjIx OTE5Ny4wLjAuMA.

10 Museum of Modern Art, « MoMA scholars in residence » s. d., moma.org/research/moma-scholars/.

11 Musée des beaux-arts du Canada, « Bourse General Idea », s. d., beaux-arts.ca/recherche/bourses/bourse-general-idea?_gl=1*1gcw9jc*_ga*MjA3OTU4MDEzNC4xNzA2MjE5MDkz*_ga_83BW334MD2*MTcwNjIxOTA5My4xLjEuMTcwNjI xOTg3NS4wLjAuMA.

12 Metropolitan Museum of Art, « Thomas J. Watson Library Digital Collections », s. d., metmuseum.org/art/libraries-and-research-centers/watson-digital-collections.

13 Centre Canadien d’Architecture, « Visites guidées et histoires le dimanche gratuit », s. d., cca.qc.ca/fr/evenements/87139/visites-guidees-et-histoires-le-dimanche-gratuit.

14 American Museum of Natural History, « Gottesman Research Library and Learning Center », s. d., amnh.org/research/research-library.

15 En 2013, une restructuration au sein du MAC a mené à la fusion de la Médiathèque et de la collection des archives. Cela a eu pour effet nocif d’entraîner l’abolition du poste de responsable de la Médiathèque, traditionnellement occupé par un·e bibliothécaire. Le rapport annuel 2014-2015 est le dernier document dans lequel une bibliothécaire est mentionnée comme membre du personnel, plus précisément la fonction de « bibliothécaire de référence. ».

16 Clive Phillpot, « The social role of the art library », Art Documentation: Journal of the Art Libraries Society of North America XVI, nº 2 (automne 1997), p. 25-26.

17 Francoeur, « Les dossiers documentaires de la Médiathèque du Musée d’art contemporain de Montréal », op. cit., p. 151.