Un vœu, c’est une promesse lancée comme un élan d’espoir et de lumière avec le désir puissant de la voir se réaliser. Souhaiter, c’est aspirer à un changement, c’est croire à l’émergence de possibles ; c’est avoir l’ambition de créer quelque chose d’important, voire nécessaire. Imaginé par des artistes et des acteurs du milieu, par un groupe de rêveurs passionnés, le Musée d’art contemporain (MAC) est né d’une promesse : celle d’offrir aux artistes du Québec un espace qu’ils réclament depuis plusieurs années, un endroit qui leur permette d’exposer l’art actuel, un lieu qui leur revient.


Comme le musée a lui-même pour fonction d’assurer la conservation de la mémoire, de préserver l’héritage afin de stimuler le présent, je souhaite m’attarder aux vœux exprimés lors de la fondation du MAC en 1964. En me penchant sur les ambitions premières qui sont à l’origine de sa création et sur cette vision qui s’inscrit au fondement même du projet muséal de l’institution et lui donne sa raison d’être, je me demande s’il est toujours pertinent de penser le MAC de cette façon. Pour le présent article, j’ai choisi de regarder le Musée d’art contemporain à travers le prisme de sa gestion. J’ai privilégié cet angle notamment parce que la gouvernance du MAC était au cœur de mon mémoire de recherche1. J’avancerai ici que l’évolution de son mode de gouvernance a un effet sur la réalisation de sa mission.

Sans revenir sur la conjoncture dans laquelle est née cette institution au Québec, il est tout de même important de préciser l’apport considérable et le rôle clé de ceux qui ont fait pression sur les autorités pour concrétiser le projet d’un musée d’art contemporain. Pensons particulièrement aux artistes qui, à l’initiative déterminante du Dr Otto Bengle, ont signé la lettre de don qui donnera naissance à la collection du MAC. Cette audace guidée par l’urgence d’agir témoigne de la vivacité du milieu, qui souhaitait voir venir au jour une institution dynamique faisant état de la société actuelle et de son histoire artistique. Il est alors juste de penser que le musée est un projet porté par les citoyens, pour les citoyens. Nous croyons que c’est là son rôle : représenter les artistes qui font sa raison d’être, les communautés et la collectivité au sein desquelles il s’inscrit.

Si le projet muséal des premières années s’articule avant tout autour de l’accessibilité et de la diffusion, il faut rappeler qu’il s’agit là des objectifs du gouvernement québécois

Si le projet muséal des premières années s’articule avant tout autour de l’accessibilité et de la diffusion, il faut rappeler qu’il s’agit là des objectifs du gouvernement québécois2. On reprochera très tôt à la direction du Musée d’art contemporain cette relation de proximité, pour ne pas dire d’allégeance, à l’État dans l’exercice de ses activités. Alors que la communauté réclame un espace représentant la scène artistique québécoise et sa modernité, l’institution ne parvient pas à répondre aux attentes qui se multiplient. La collection du musée souffre du ralentissement de ses acquisitions, tandis que la représentation d’artistes québécois peine à atteindre un équilibre et que le développement des services de recherche et d’éducation avance timidement. Nombreuses sont les critiques sur le manque d’accessibilité, notamment en ce qui concerne les lieux3 qu’occupe le MAC à travers son histoire, mais nous n’approfondirons pas cette analyse. Il n’en reste pas moins que la société québécoise a encore du mal à ménager une place à l’art contemporain et que la direction du musée peine à la lui offrir. Si l’idée initiale était lumineuse, on ne tarde pas à constater que le budget est insuffisant.

La Loi sur les musées nationaux, à laquelle est assujetti le MAC en tant que musée d’État, entre en vigueur le 16 mai 1984 et modifie le mode de gouvernance de ces institutions. Le MAC doit désormais fonctionner selon le modèle des institutions privées, avec un conseil d’administration sur lequel repose une large part de la gestion du lieu, en complémentarité avec la direction. Ce nouveau statut permet au musée de gagner une plus grande autonomie en créant une distance supplémentaire entre l’établissement et le ministère, en plus de consolider le rôle des musées nationaux comme service public voué à rendre accessibles les arts et le patrimoine, mission que l’État s’est fixée. Il faudra un moment avant que le conseil d’administration intègre parmi ses membres des profils issus de la communauté artistique afin que celle-ci soit mieux représentée.

Si le musée joue un rôle clé dans la médiation de la culture, pour les autorités, il reste un lieu privilégié pour la promotion de valeurs collectives. Dès lors que le gouvernement octroie aux institutions le statut de société d’État et met en place une politique culturelle, il agit comme un accompagnateur et un gestionnaire des conditions qui permettront au secteur des arts d’évoluer et de se prendre en main, comme le rappelle Jonathan Paquette4. Le MAC est soumis à cette dynamique, en plus d’être victime de la stagnation et de la réduction de son financement alors qu’il fait face à une croissance de ses dépenses. C’est notamment cette pression exercée sur les musées qui a contribué aux transformations les plus profondes des institutions, les obligeant à se renouveler afin de maintenir leurs activités.

Le Musée d’art contemporain s’est depuis tourné progressivement vers une entreprisation de son fonctionnement pour répondre au manque de financement afin d’atteindre ses ambitions.

Les directions ont tenté chacune à leur manière d’accroître les moyens qui permettraient au MAC de bénéficier d’un financement adéquat pour poursuivre son développement. Une logique de mise en marché des activités s’implante au sein de l’institution : effort marketing et image de marque forte, événements payants, intensification des activités commerciales, accroissement des dons, du nombre de partenariats et hausse des commandites. À cela s’ajoute la reconfiguration des structures de fonctionnement afin d’optimiser le rendement des équipes et la rationalisation du personnel. Déjà en 1996, Marcel Brisebois ne craignait pas d’affirmer que le MAC abordait un virage de rentabilité commerciale5. Si le musée se développe comme une entreprise, c’est qu’il est victime des grandes tendances de la gestion et de cette pression capitaliste qui pèse sur nos sociétés.

Le Musée d’art contemporain s’est depuis tourné progressivement vers une entreprisation de son fonctionnement pour répondre au manque de financement afin d’atteindre ses ambitions. Encore présente aujourd’hui au sein de l’institution, cette tension polarisante entre les logiques de gestion et les logiques sociales sont au cœur de son histoire. La communauté artistique reprochera au MAC son aveuglement et son absence de transparence, tout comme elle critiquera son manque de solidarité envers les artistes ainsi que son manque d’engagement et d’action envers la collectivité.

Si les logiques de l’entreprise et les valeurs sociales qui sont à l’origine du projet du MAC semblent contradictoires, elles ne sont toutefois pas incompatibles.

Cette critique si vive est peut-être celle qui en fin de compte porte réellement le projet muséal. N’oublions pas que les artistes sont à l’origine de la fondation de cette institution. Comme le rappellent Yves Bergeron et Lisa Baillargeon, « il ne faut pas perdre de vue que les musées n’existent pas pour les collectionneurs, au bénéfice des ministères de la Culture ou du Tourisme ou du gouvernement, mais qu’ils existent d’abord pour les citoyens, car les musées conservent et mettent en valeur des objets du patrimoine matériel et immatériel issus des communautés »6.

Si les logiques de l’entreprise et les valeurs sociales qui sont à l’origine du projet du MAC semblent contradictoires, elles ne sont toutefois pas incompatibles. Cette tension engendre bien des débats et suscite de vives réactions, car, certes, des glissements sont possibles, mais le Musée d’art contemporain s’est construit autour de cette polarisation. Son histoire le démontre : il a vu le jour pour répondre à un manque de représentation, pour satisfaire des frustrations, et parce qu’on a osé rêver, osé y croire. C’est cette communauté artistique rêveuse qui est à la base de cette énergie première du MAC et qui doit encore la faire vibrer. C’est cette énergie qui doit pousser le musée à poursuivre sa mission.

1 Gabrielle Provost, « L’entreprisation dans le milieu muséal au Québec : l’étude de cas du Musée d’art contemporain de Montréal » (Montréal : Université du Québec à Montréal, 2021).

2 Ces objectifs rejoignent les politiques culturelles mises en avant par le Livre blanc du ministre Laporte, qui voit en ce nouveau musée la possibilité de jouer un rôle dans l’identification et la promotion des valeurs canadiennes-françaises.

3 Le Musée d’art contemporain passera de la Place Ville-Marie en 1965, au Château Dufresne de 1965 à 1968, puis à la Cité du Havre, dans le bâtiment de la Galerie d’art internationale d’Expo 67, de 1968 à 1992. En 1992, le musée ouvre enfin à la Place des Arts. Il y reste jusqu’en 2021, date à laquelle il regagne la Place Ville-Marie, le temps des travaux de rénovation prévus à la Place des Arts.

4 Jonathan Paquette, « Les politiques muséales au Québec. Trajectoire historique et politique d’un service public », Politiques et société XXXVIII, no 3 (2019), p. 144.

5 Musée d’art contemporain de Montréal, Rapport annuel 1996-1997 (1997), p. 7, macrepertoire.macm.org/publication/rapport-d-activites-1996-1997/.

6 Yves Bergeron et Lisa Baillargeon, « Musée et contrat social : les enjeux du vivre-ensemble et de la gouvernance », dans Ève Lamoureux et Magali Uhl (dir.), Le vivre-ensemble à l’épreuve des pratiques culturelles et artistiques contemporaines (Québec : Presse de l’Université Laval, 2018), p. 42.