Plus qu’une législation, une reconnaissance

Vie des Arts n’a pas pu obtenir les droits de reproduction permettant de présenter une image du teuehikan de Mashteuiatsh, qui est aujourd’hui la propriété du National Museum of American Indian de Washington. Cet autre tambour ilnu ici reproduit est conservé au Musée amérindien de Mashteuiatsh. Nous remercions Louise Siméon, du Musée amérindien de Mashteuiatsh, et Mendy Bossum Launière, conseillière ilnu aitun mahk nehlueun.
La Chambre des communes du Canada débattra à l’automne 2018 du projet de loi C-391 : Loi concernant une stratégie nationale sur le rapatriement de biens culturels autochtones. Cette mesure législative est certes symbolique, mais sa promulgation permettrait de confirmer de manière formelle un droit des Autochtones : celui de pouvoir reconstituer leur patrimoine matériel.
Certains demeurent toutefois frileux à l’idée de ce projet de loi C-391. C’est le cas du directeur général de l’Association des musées canadiens (AMC), John McAvity, qui, en entrevue à la radio de CBC en mai 2018, a émis des craintes envers ce projet de loi : « Des ressources doivent être mises en place et des conditions doivent être établies avant de pouvoir rendre les objets », a-t-il confié. Conscient du but noble qui consiste à vouloir rendre les artefacts aux Autochtones, il doute néanmoins de la nécessité d’une loi allant dans ce sens. L’AMC est dotée, depuis 30 ans, d’un protocole destiné à rendre les restes humains et les objets de cérémonie aux communautés. Ce qui serait « bien suffisant », selon M. McAvity.
Ces craintes sont purement bureaucratiques et financières, alors que le rapatriement des biens culturels représente infiniment plus pour les Autochtones. Des conditions administratives ne sont rien comparées à des siècles de colonialisme ayant entraîné une perte d’identité culturelle massive, un génocide. Je ne crois pas qu’il soit approprié qu’une institution telle que l’AMC se permette de décider de ce qui est bien ou non pour les Autochtones, pour qui cette loi peut être importante. Il s’agit de la preuve, quant à moi, de l’existence d’un paternalisme institutionnalisé dont il est bien difficile de se défaire. Il faut faire confiance aux communautés et aux institutions muséales autochtones, elles sauront prendre soin des objets qui leur reviennent. Elles ont bien su maintenir et prendre soin de leur patrimoine et de leur culture pendant des millénaires.
La plupart des musées ne sont pas fermés aux demandes de rapatriement. Les communautés qui souhaitent rapatrier leurs artefacts s’engagent toutefois dans un long processus, souvent émotif, pour les personnes impliquées. Si la loi C-391 contribue à faciliter les procédures de rapatriement, ce sera alors une belle victoire pour les Autochtones du Canada.
Se réapproprier notre histoire, se retrouver nous-mêmes
Personnellement engagée dans un processus de rapatriement entamé par ma propre communauté, celle des Innus de Mashteuiatsh au Lac-Saint-Jean, je peux témoigner de la charge émotive qui accompagne une telle procédure. Dans le cadre du projet Nika Nishk, j’ai eu la chance, en 2013, de me rendre avec une délégation de Mashteuiatsh au National Museum of the American Indians – Smithsonian Institution, à Washington. Là-bas, mes collègues et moi-même avons pu observer de près et étudier des objets provenant de chez nous. Ceux-ci ont été déracinés de leur contexte d’origine par l’anthropologue américain Frank Speck dans les années 1930. Même si Speck n’a pas pillé notre communauté ni volé nos objets, nous étions tous fébriles à l’idée de les revoir. L’expérience était impressionnante et forte en émotion. Il est difficile de décrire avec des mots le sentiment que nous avons éprouvé. Nous avons eu l’impression de nous retrouver un peu. C’était totalement surréel de retrouver un peu de nous-mêmes à plus d’un millier de kilomètres de notre territoire.
Il faut faire confiance aux communautés et aux institutions muséales autochtones, elles sauront prendre soin des objets qui leur reviennent. Elles ont bien su maintenir et prendre soin de leur patrimoine et de leur culture pendant des millénaires.
Je n’avais jamais eu de contact avec ces objets auparavant, mais j’ai eu la sensation de les avoir toujours côtoyés. Voir ces objets a ravivé en moi une flamme de fierté. Avec raison, puisque ce sont mes ancêtres qui ont eu l’ingéniosité et la créativité de les fabriquer.
J’ai été particulièrement touchée de voir le teuehikan, le tambour traditionnel. Le teuehikan dégage une puissante spiritualité; les tambours et leur symbolique sont encore aujourd’hui très présents dans ma communauté. C’était donc très poignant de retrouver celui-ci caché dans une immense réserve muséale, entreposé avec des centaines d’autres objets porteurs de l’histoire de dizaines d’autres Nations.
Les dommages causés par le colonialisme ont laissé des gens de nos Nations sans fierté et sans identité. Grâce à cette expérience, je sais que je suis fière d’être une Pekuakamiulnu et de contribuer à notre réappropriation culturelle. Pour avoir été impliquée dans cette démarche, je peux le dire : nous permettre de reprendre possession de nos patrimoines, c’est nous permettre de retrouver notre âme.
L’importance d’avoir un patrimoine
L’un des composants incontestables d’une Nation est son patrimoine. Amadou-Mahtar M’Bowm, directeur général de l’Unesco de 1974 à 1987, l’affirmait lui-même en juin 1978 dans son appel Pour le retour, à ceux qui l’ont créé, d’un patrimoine culturel irremplaçable : « le génie d’un peuple trouve une de ses incarnations les plus nobles dans le patrimoine1 ».
Particulièrement chez les Autochtones, chez qui les savoirs se transmettaient de manière orale, les artefacts demeurent aujourd’hui de bons témoins des cultures affectées par le colonialisme. Au même titre que la langue et les coutumes, nos objets permettent à nos Nations de se maintenir en vie.
Nous sommes maintenant à une époque où les Premières Nations recherchent l’émancipation. Après des siècles de paternalisme gouvernemental, nous ne parviendrons à notre autodétermination qu’en décolonisant nos vies et nos cultures. Reconstituer nos patrimoines et se réapproprier notre histoire est une étape cruciale dans ce processus. Une loi qui appuie nos demandes de rapatriement ne peut donc qu’être bénéfique.
(1) M’BOW, Amadou-Mahtar (1978). Pour le retour, à ceux qui l’ont créé, d’un patrimoine culturel irremplaçable : un appel du Directeur général de l’UNESCO, [En ligne]