Des incubateurs à grande échelle
Le quartier Griffintown se présente comme un grand triangle délimité au nord par la rue Notre-Dame, au sud par le canal Lachine et à l’ouest par l’autoroute 10. En une dizaine d’années, ce secteur de Montréal a pris un essor remarqué. Ses immeubles neufs et ses édifices anciens récemment restaurés et subdivisés en condos accueillent de jeunes familles et des résidents (trente-quarante ans) appartenant à la classe moyenne/supérieure, généralement propriétaires de leur logement. Cependant, le quartier a su préserver des rues bordées de maisons où vivent des personnes aux revenus modestes, des rues aussi dont les édifices bâtis au début du XXe siècle rappellent la vocation industrielle et confèrent aujourd’hui son cachet à Griffintown. Beaucoup de ces constructions ont été converties pour y intégrer des commerces et des bureaux aux tarifs de location plus abordables que ceux du centre-ville dont ils ne sont néanmoins pas très éloignés. À midi et le soir, les cafés et les restaurants grouillent d’une foule animée.
C’est dans le quartier Griffintown qu’ont choisi de s’installer aussi des galeries et des centres d’art, dont certains se distinguent de la plupart de ceux qui leur sont comparables par l’envergure de leurs espaces et de leurs ambitions. Nous en avons sélectionné sept : deux centres d’art du type autogéré – la Fonderie Darling et les ateliers Jean Brillant ; deux centres privés – le 1700 La Poste et l’Arsenal ; trois galeries commerciales – Division, Parisian Laundry et Antoine Ertaskiran. Ces lieux ont en commun d’être grands. Ils occupent tous de vastes locaux et l’un d’entre eux, l’Arsenal, s’étend sur un gigantesque espace. Si l’on excepte les Ateliers Jean Brillant, ces établissements sont riches. En dépit de son statut de centre d’art subventionné, la Fonderie Darling est tout de même dotée d’équipements à la fine pointe des technologies. Les autres lieux appartiennent à des personnes qui disposent d’une fortune personnelle considérable. Le phénomène est nouveau à Montréal. Les propriétaires de tels établissements sont en posture de négocier des ententes, voire des échanges, avec de prestigieuses galeries à l’étranger ; ils peuvent éventuellement leur faire concurrence. Ils peuvent surtout acquérir des œuvres d’artistes dont les cotes sont parmi les plus élevées du monde. En retour, ils espèrent réussir à introduire, au sein des réseaux d’art contemporain les plus convoités de la planète, les artistes québécois et canadiens qu’ils défendent. Phénomène remarquable, certains d’entre eux ont la sagesse et les moyens de déléguer l’administration de leur établissement à un directeur, reconnu comme un bon gestionnaire et comme un fin connaisseur du monde des arts.
Une escouade de rédactrices et de rédacteurs critiques de Vie des Arts s’est réparti la tâche d’aller rendre visite aux animateurs de ces lieux de Griffintown qui se présentent comme des sortes d’incubateurs d’artistes dont le talent et l’ambition ne demandent qu’à se déployer à grande échelle. Le portrait qui se dégage de leurs reportages est fascinant.