Daniel Erban – L’apocalypse vue de près
Il faut avoir l’âme déchirée, exprimant de ses profondeurs les malaises de son système existentiel pour faire penser à Basquiat dont l’œuvre, à travers une forêt de symboles, débouche sur un humour grinçant. Telle est pourtant la réaction de qui se voit confronté pour une première fois avec les tableaux et les dessins de Daniel Erban.
C’est sur le désir d’exorciser la violence sous toutes ses formes : la guerre et l’exclusion face à toute marginalité que repose la démarche artistique de Daniel Erban. Avec une telle intention, il aboutit vite à des œuvres non pas dominées par le plaisir de plaire, mais par le besoin de déstabiliser le spectateur, quitte à l’effrayer. Ainsi, dans une présentation du travail de l’artiste pour un récent catalogue d’exposition, Luc Brouillet, professeur de philosophie, suggère-t-il que « la puissante originalité de l’ensemble » est liée à « une authentique recherche dans le sombre et le difficile », exprimée par l’artiste dans ses tableaux et ses très nombreux dessins.
Généralement peints dans des châssis rachetés d’un encadreur fermant boutique, les tableaux adoptent souvent la couleur première des épais cartons qui leur servent de support. Par exemple, sur un fond rouge que l’imagination primitive identifie à l’enfer, l’artiste a projeté des visages de cauchemar, yeux éteints et bouches chargées de cris venus des peurs ancestrales. À côté de quoi, il crée des têtes dessinées à coups vigoureux de spatule, tableaux empreints du souvenir du mouvement Cobra et notamment de son chef de file Karel Appel, ainsi que des artistes proches de l’art brut.
Quant aux dessins, encres en noir et blanc relevées à l’occasion d’une couleur, ils ont une seule taille : 56 x 76 cm, et sont toujours réalisés à main levée, avec les raccourcis nés du besoin de gens peu soucieux des règles. Si parfois, légèreté peu courante chez Erban, ils sont simplement formés d’arabesques comme dans les œuvres érotiques d’un Picasso, ils sont le plus souvent constitués de sections d’objets ou de corps jetés sur le papier, comme l’enfant qui se lancera d’emblée dans le vif du sujet.
D’autre part, Erban a développé, à partir d’un minimum d’effets venus de son expérience de la gravure, une écriture aisément provocante. Ainsi de la série sur les orgies masculines, qui n’échappent pas à la crainte d’un rejet et où, bien que les corps s’entremêlent, le plaisir va se transformer en douleur, avec des sexes pris dans des bouches aux dents d’acier qui se referment sur une chair si vulnérable. Pour exprimer une double angoisse, l’intime et la sociale, l’artiste n’hésite pas ici à utiliser des moyens à la mesure de la violence qu’il dénonce.
Plutôt dédaigné par les milieux muséaux traditionnels, Erban n’hésite pas à présenter son travail hors des voies institutionnelles comme, par exemple, dans un studio de tatouage ou dans des expositions de rue.
« Erban peint, grave et dessine convulsivement », écrit Luc Brouillet. Son œuvre, guère rassurante, peut donc, comme en témoigne l’anecdote suivante, susciter de vives réactions. Enseignant comme beaucoup de ses collègues dont le talent ne suffirait pas à les faire vivre, Erban a donné, à une certaine époque, des cours de mathématiques avancées dans un collège du West Island. Les élèves ayant montré à leurs parents les tableaux de leur professeur qu’ils trouvaient intéressants, ces derniers exigèrent de la direction qu’on mette à la porte « ce fou furieux » auquel il n’était pas question de confier leur progéniture ! Le syndicat put cependant le tirer d’affaire.
Plutôt dédaigné par les milieux muséaux traditionnels, Erban n’hésite pas à présenter son travail hors des voies institutionnelles comme, par exemple, dans un studio de tatouage ou dans des expositions de rue. C’est d’ailleurs lors de l’une d’elles que Robert Poulin, son galeriste actuel, l’a découvert.
« Mon photographe visitait les stands occupés par divers artistes venus d’un peu partout dans une espèce de Salon de plein air occupant la partie piétonne de la rue Sainte-Catherine, au cœur du quartier gai de Montréal, mais sans connotation sur le choix fait par le jury et, frappé par le travail d’Erban, il m’avait téléphoné pour me suggérer de venir voir. Depuis, j’achète et expose Erban qui, pas à pas, continue à faire son chemin. » Robert Poulin apprécie le travail de Daniel Erban, car ses œuvres, outre leur intérêt esthétique, sont pour lui riches de pensée et de réflexion.
Erban a eu quelques expositions solo entre 2002 et 2009, et quelques autres organisées par son galeriste depuis. Il est souvent invité à participer à des expositions de groupe aux titres bien dans l’esprit d’œuvres comme À bas les maudits, Visual disturbance with drawings, Dessins de la laideur, Art + Anarchie, Les connards dans l’histoire, un peu partout au Canada, et à bien d’autres manifestations aussi, d’ordre plus général.
L’équation absolue qu’il cherche à établir entre l’image et l’émotion demeure pour Erban un défi constant à relever bien que, comme l’écrit Luc Brouillet, il soit « difficile de résister à la force attractive d’une aussi virulente intégrité ».