La matière qui confère sa somptuosité à Jeu bleu, gouache vinylique marouflée sur panneau de François Vincent, suscite à la fois un sentiment de mélancolie et une forme de ravissement.

Les nuances de bleu irradiant la surface servent de reposoir à d’énigmatiques objets. On ne sait à quoi ces objets pourraient ressembler bien qu’ils évoquent à la fois des masques ou des balises de pierres, d’étranges joyaux éteints ou de simples formes rectangulaires rayées ou bien encore d’approximatifs instruments, équerres ou rapporteurs, au service de quelque géométrie.

Les tonalités se font tantôt nocturnes et feutrées, tantôt lapidaires et étincelantes. La gamme chromatique explore les effets de bleu, d’azur, de gris et d’ultramarine sombre. Agencés à la façon d’icônes secrètes, les objets, isolés dans des fenêtres, baignent dans une lumière métallique. Même si quelque 18 écrans compartimentent la surface, l’ensemble dégage une impression indéfinissable où s’allient évocation et questionnement.

À mi-chemin entre abstraction et répliques d’objets reconnaissables, la composition de François Vincent impose son mystère sous la forme d’une affirmation qui se dérobe alors que la peinture s’inscrit partout avec jubilation. Sans cesse à la recherche de points de rencontre, l’articulation en mosaïque de ses divers éléments renforce le pouvoir de suggestion et de narration du tableau. La disposition de l’ensemble instaure un dialogue incertain, suggère des choix entre plusieurs voies, plusieurs issues. Devant ces mondes flottants à la fois proches et lointains qui nous sont proposés, nous sommes forcés de réinventer nos propres référents, nos propres orientations. Bien que cryptée à sa façon, la transcription du réel qui est le point de départ de la peinture de Vincent nous bouscule, car elle est liée à un indicible. Sa méditation s’imprègne fortement du métier de peindre et de la tradition qui y est rattachée : fascination pour les effets d’illusion, mémoire des ombres, lumières inventées, artifices et déploiements somptueux recouvrant les surfaces. Faut-il ajouter que l’illusion provenant de certains de ces effets nous renvoie à la matérialité des coups de pinceau des tracés et des recouvrements, gestes intrinsèques à la peinture ?

Ainsi, François Vincent pratiquerait un art de l’entre-deux-mondes. Et cet art serait aussi inclassable que celui de certains peintres qu’il admire. Dans cette « famille » se côtoient ces « peintres du silence » que sont Rothko, Hopper ou Morandi. Ce dernier, par sa façon de donner dans ses natures mortes l’impression de saisir une vie secrète, est l’une des grandes références de François Vincent. Un peu à la façon de Morandi, Jeu bleu est imprégnée d’une atmosphère très poétique.

« Morandi. Oui, sûrement, explique Vincent. Mais aussi, Hammershoï que j’ai découvert, il y a quelques années au Musée d’Orsay. Puis Marquetet quelques autres plus contemporains comme le peintre britannique Howard Hodgkin ou l’Américaine Agnes Martin. Je suis en affinité avec ces artistes. Leurs univers m’apparaissent comme autant de temps d’arrêt. J’ai toujours été soucieux de trouver des plages, des moments de silence, une distance par rapport à la trépidation qui nous entoure. Encore faut-il ne pas oublier que la démarche de ces grands observateurs relève davantage de l’intuition que de l’application de concepts intellectuels. C’est cela qui m’attire chez eux. »

Chez ces peintres, en particulier chez Morandi, la peinture réfléchit sur elle-même, sur sa nature même. Elle mène cette introspection tout en se faisant l’écho de grands thèmes : l’aspect fugitif de l’instant, le temps qui passe… À sa façon, François Vincent se pose les mêmes questions. Il suffit pour finir de l’écouter.

« Immanence. Transcendance. Ces mots s’imposent face à la peinture de Morandi qui est une peinture du silence. On retrouve aussi chez lui l’amour de la peinture. Il développe une façon de faire en même temps qu’un regard neuf. Cette conscience part du terrain de la peinture et d’une reconnaissance de ses habitudes, de ses rites. Ici, le métier n’est pas un refuge, mais bien un tremplin. Moi, j’ai toujours souhaité retrouver ces moments de paix, ces temps d’arrêt ; je cherche à éprouver ce bonheur, ce plaisir de travailler de l’intérieur. Un peu comme si je voulais ralentir le cours des choses, car tout va trop vite. » l

Notes biographiques

Né à Montréal où il vit et enseigne, François Vincent a obtenu un baccalauréat en arts plastiques de l’Université du Québec à Montréal en 1974. Pionnier de l’estampe contemporaine au sein du collectif Atelier Circulaire, ses œuvres ont connu une large diffusion à travers le monde (Argentine, Canada, Espagne, États-Unis d’Amérique, France, Japon, Portugal). Lauréat du Grand Prix du Concours d’estampe Loto-Québec en 1990 et du Prix Jacques-Cartier des Arts à Lyon en 1997, ses œuvres font partie de collections privées et publiques prestigieuses : Banque d’œuvres d’art du Canada, Banque Nationale du Canada, Musée national des beaux-arts du Québec et Musée d’art contemporain de Montréal.

François Vincent est représenté par la Galerie Lacerte art contemporain (Montréal).