Comme nous y a habitués Holly King depuis trente ans, devant Cliff with Vines (2015), l’émerveillement d’un paysage romantique à couper le souffle s’accompagne presque aussitôt d’un frisson de trouble.

Au sujet des différents éléments qui composent Cliff with Vines, on devine que plusieurs d’entre eux sont des accessoires glanés ou bricolés, mais lesquels ? On devine que l’ensemble est savamment orchestré, mais comment au juste ? Cela ne va pas de soi, mais importe d’ailleurs peu. Dans le doute, le spectateur est invité à s’abandonner au flottement de ses points de repères cognitifs, tout comme à la rêverie qui lui fait perdre pied pour s’avancer dans le vaste vide aérien s’étendant par-delà la falaise d’où s’offre la vue qu’a montée l’artiste.

Ce cadre naturel d’un paysage trouvé dans le monde révèle ainsi son homologie avec le cadre artistique comme point d’appui dans le réel d’une fiction qui nous amène au-delà de ce réel, dans une autre vision du monde tel qu’il se présente à nous. Même en pleine nature, le paysage n’est-il pas toujours préconstruit par notre point de vue, qui le met à distance pour le saisir comme un tout pictural ? Or, ce qui distingue le sublime du simple beau, c’est précisément qu’il se dérobe à notre pleine saisie. Rien ne s’oppose dès lors à ce qu’il soit (re)construit en studio par la mise en scène et en abyme de cette énigme de l’apparaître qui excède tout cadre d’appréhension, mais dont l’art consiste à donner un aperçu à même ses contenus, choisis et disposés avec un souci exigeant de l’effet dramatique.

Cliff with Vines, 2015
Photographie
61 x 46 cm

En l’occurrence, l’artiste a mis son grain de sel – quelques-uns, en fait, comme bulles d’écume étincelant sur un improbable étang – sur une feuille de papier d’aluminium noir à l’extrême avant-plan du bord inférieur « proche » de l’image cadrée, où se reflète, entre des vaguelettes, le parapet herbu d’une falaise déployant de biais ses parois éclatantes. Leur diagonale forme l’une des faces du triangle que cernent en outre les « vignes » du titre pour encadrer les étendues d’une mer respectivement soyeuse et laiteuse et d’un ciel aux airs trop léchés de tableau vivant. Ils font pourtant partie intégrante du cliché pris sur place, à peine retouché pour l’intensité des couleurs, dont une diapositive grand format a servi de toile de fond à l’agencement au premier plan des plis noirs d’une toile de mylar comme bord accidenté d’un plan d’eau et de branches d’érable du Japon tordues en un rosier bonsaï.

Les coulisses de cette scénographie sont dévoilées avec le dispositif de la prise de vue d’une autre œuvre de la série English Cliffs dans l’image illustrant l’introduction d’une monographie sur Holly King publiée à l’occasion d’une rétrospective en circulation de janvier 2016 à l’automne 2017. La Galerie Art Mûr, partie prenante de la tournée, en a déjà offert un petit avant-goût au public montréalais à même son propre fonds à l’occasion du lancement de ce catalogue le 12 mars 2016 en présence de l’artiste, y compris dans une édition limitée de 30 exemplaires accompagnée de versions de 24 x 19 cm de 3 œuvres, parmi lesquelles Cliff with Vines. La version grand format (152 x 93 cm) de cette épreuve à développement chromogène, tirée à 3 exemplaires, circule actuellement en tournée avec 17 autres œuvres. La version offerte par Art Mûr à Vie des Arts pour son gala célébrant son soixantième anniversaire est l’un des 5 exemplaires signés du format moyen de 61 x 46 cm.

Le titre et la couverture de l’ouvrage1 emprunte à la série English Cliffs le motif de l’extrême bord auquel King revient littéralement depuis sa série précédente, Grand Canyon : Unseen, superposant déjà un avant-plan construit à un paysage photographié – bien qu’englouti dans une grisaille neigeuse le jour du cliché. Pour Cliff with Vine notamment, King s’est toutefois rendue exprès à l’autre extrémité du spectre du visible en même temps qu’au bout de l’Ancien Monde, à proximité de Land’s End en Cornouailles, finistère au-delà duquel l’océan s’étend sans fin. Du haut de ces falaises calcaires (rappelant celles de Rügen dépeintes elles aussi en vues plongeantes bordées d’arbres par Caspar David Friedrich), Holly King fut fascinée d’observer, au contraire, l’équivalent en haute définition des miniatures qu’elle confectionne, baignées d’une lumi­nosité technicolor incroyable mais vraie. N’est-ce pas précisément vers ce vertigineux point de bascule qu’elle sait entraîner à sa suite aux abords du mystère le spectateur ravi entre ciel et terre, vague et clair, réel et imaginaire ?

Notes biographiques

Holly King est née à Montréal en 1957. Ses photographies ont été exposées au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Asie. Elles font partie des collections de musées, de particuliers et de galeries privées. Elle a réalisé des œuvres monumentales, notamment la photographie murale Seascape and the Sublime installée au pavillon Génie, informatique et arts visuels de l’Université Concordia. Elle vit et travaille à Montréal où elle enseigne les arts plastiques à l’Université Concordia.

Holly King est représentée par la Galerie Art Mûr (Montréal).

(1) Linda Jansma (dir.). Holly King : Edging Towards the Mysterious. Catalogue bilingue. Oshawa : Robert McLaughlin Gallery (9/1-17/4/2016), Chatham : Thames Art Gallery (13/5-10/7/2016), Musée des beaux-arts de Sherbrooke (1/10/2106-22/1/2017), Montréal : Galerie Art Mûr (5/3-23/4/2017), Rivière-du-Loup : Musée du Bas-Saint-Laurent (8/6-9/10/2017), 2015, 120 p., 35$.