L’œuvre Cosmologie interne — techniques mixtes — a été élaborée de 2012 à 2015. Elle fait partie du cycle La réunion des pratiques amorcée en 2007.

Attentif à la situation intimiste ou solitaire qui caractérise le processus de création en arts visuels – la solitude de l’atelier, parfois même un certain isolement – il enquête sur la porosité entre soi et les autres1, de même que sur la relation entre l’immatérialité et la matière.

Depuis plusieurs années, Guerrera construit des mises en espace interactives, véritables performances sollicitant et valorisant la présence à l’autre.

Guerrera modifie et retouche ses images sur de longues périodes – plusieurs années parfois – si bien que les signes du temps participent à leur esthétique. Cosmologie interne a ainsi évolué de 2012 à 2015 et s’inscrit dans le long cycle amorcé en 2007, intitulé La réunion des pratiques. L’œuvre, d’abord réalisée sur papier, puis marouflée sur toile, mixe le graphite, l’encre et l’acrylique. Le titre fait référence à la science, logos, et à l’étude de l’univers, cosmos, perçu de l’intérieur.

L’arrière-plan comporte des taches de lavis rouge, très diluées, qui modulent le fond sur lequel une ligne sombre et définie délimite un corps humain hybride. La tête, le visage, le tronc, quatre bras et quatre mains sont superposés aux traces rosées laissées par les gestes spontanés qui ont altéré le blanc du papier. Un réseau complexe de lignes sinueuses prolonge un bras et trace un parcours en périphérie du corps jusqu’à un enchevêtrement touffu autour de la tête.

La physionomie d’un corps féminin contraste avec le dessin anatomique d’un des avant-bras, dont la structure neuromusculaire interne est disséquée. À certains endroits, la matière plus dense forme des taches noires et intenses.

Massimo Guerrera

Les traits du visage épurés, les paupières fermées et le sourire amorcé suggèrent une sereine introspection, voire la représentation d’un état méditatif. Ce visage placide se détache de la masse obscure et dense qui tient lieu de crâne. Cette masse, alourdie par l’accumulation de lignes entrecroisées, est reliée à des rectangles disposés en rayonnement, comme des phylactères laissés vides.

Une des mains droites, moins détaillée, est tournée vers le bas. Elle se superpose à une forme ovale dans laquelle d’autres éléments arrondis sont dessinés. Suivant l’axe horizontal, une des mains gauches tient quelque chose ; l’autre, davantage simplifiée, est tournée vers le haut, juxtaposée à une courte ligne verticale, qui, plusieurs fois, produit une transition entre la densité de la figure et le vide du fond. Le masque clair arbore une souriante sérénité malgré son lourd panache constitué de multiples entrelacs. L’addition des avant-bras et des mains semble insister sur le faire et l’action : toucher, prendre, tenir, offrir, etc.

La figure construite exhibe le dispositif métissé d’un humain et d’une machine. Entre les mains droites, qui touchent ou qui prennent, et les mains gauches, qui serrent, offrent ou indiquent, un système complexe révèle sa mécanique, son tracé en format plan. Transparente, la représentation révèle le processus créateur. On pourrait le comparer à une fabrique, par laquelle la matière serait forgée, modifiée, peut-être jusqu’à son immatérialité.

Est-ce un hasard si les traits du visage représenté ressemblent à ceux de l’artiste ? Le portrait d’un quelconque homo faber mènerait plutôt à l’identification de l’artiste lui-même, en vues simultanées externes et internes. Un autoportrait, un selfie, par lequel Guerrera pourrait traduire son engagement à sonder, au-delà de l’apparence, une perméabilité entre la matière et l’invisible. C’est l’interstice qui semble ici cartographié. Un devis répondant à la volonté de rendre visibles les aspects invisibles de l’être et de soi.

Notes biographiques

Né à Rome en 1967, Massimo Guerrera vit et travaille à Montréal. Détenteur d’un baccalauréat en arts visuels de l’Université du Québec à Montréal en 1992, il a également étudié la gravure et la performance dans des réseaux moins institutionnalisés. Artiste multidisciplinaire, il a recours à la performance, la sculpture et l’installation pour explorer les possibilités offertes par le corps humain dans un contexte d’échanges et d’interactivité. Il a été lauréat du Prix Ozias Leduc en 2004. Son travail a été présenté lors de biennales et triennales au Québec et à l’étranger. Ses œuvres font partie de collections privées et publiques, notamment celle du Musée des beaux-arts du Canada.

Massimo Guerrera est représenté par la Galerie Joyce Yahouda (Montréal).

(1) Expression utilisée par Massimo Guerrera lors d’une entrevue réalisée le 19 février 2016.