Sébastian Maltais
Portrait à déchiffrer
C’est bien l’image de Victor Hugo que montre Codex 3. Mais attention, il y a en plus un message à découvrir.
Que retenons-nous de l’histoire passée ? Quelle lecture faisons-nous des événements qui nous précèdent ? Comment traitons-nous, décodons-nous ce qui nous a construits humainement, politiquement et socialement ? Quel rôle l’avant joue-t-il sur la mémoire collective de l’ici-maintenant ? Ces questionnements se trouvent au cœur des créations de Sébastian Maltais et donc de Codex 3.
« Lorsqu’on peut tout savoir, il faut savoir aussi tout taire. » – Victor Hugo
Telle est la phrase codée qui se cache dans l’œuvre Codex 3. Autour des traits sérieux et du regard perçant de Victor Hugo, flottent des petits carrés. Au détour des amoncellements de la cire fondue durcie et séchée, formant l’œil, la courbure du nez ou la commissure de la bouche, ces cases minuscules semblent inutiles. Encore faut-il les remarquer ! Disposé méthodiquement, chaque « pixel » de 2 pouces carrés correspond à un emplacement dans une grille où chaque endroit du quadrillé correspond à une lettre. À moins de détenir cette clé de lecture, il est difficile de déchiffrer le message. L’artiste fait référence aux messages cryptés utilisés pendant la Deuxième Guerre mondiale, sources importantes d’inspiration pour lui. En fait, il désire que l’usage du code se transforme en un propos visuel. « Plutôt que de lire un message ostensiblement écrit dans l’image, il faut prendre le temps de le déchiffrer ; la révélation du sens est à ce prix », explique-t-il. Rien n’est gratuit et, cependant, tout est laissé au hasard dans l’œuvre de Maltais. Telle est la force créatrice des paradoxes.
Le code considéré à la fois comme moyen de communiquer un message et de transmettre une charge émotive constitue le centre de la proposition de l’artiste. Ce système s’inscrit parallèlement à la peinture qu’il pratique. C’est une façon de suggérer plusieurs pistes de lecture et de multiples niveaux de compréhension de la création ; de plus, c’est un moyen d’éclairer l’histoire des événements et des personnages qui les anime. Selon Sébastian Maltais, chacun voit ce qu’il veut et peut voir dans une œuvre. Il n’y a pas de message précis, mais plutôt un miroir, une ouverture, un dialogue. Le code alors se manifeste comme un agent d’affiliation.
Le choix par l’artiste de la technique de l’encaustique ne semble ni étrange ni anodin. Ce procédé qui consiste à intégrer, grâce à la chaleur, le pigment lié par la cire, remonte à la Grèce antique, mais demeure un moyen d’expression pictural toujours en usage aujourd’hui. Pour Sébastian Maltais, l’encaustique est porteuse d’Histoire et de sens.
Couche après couche, la cire fondue qui couvre les lignes et les masses de l’œuvre racontent l’avant et, en se figeant, deviennent le maintenant. La maîtrise de cette technique étonnante (au fer à repasser chaud) exige une grande habileté pour celui qui s’en sert. Il faut travailler instantanément, avec précision, car la cire se solidifie vite. L’artiste commence par couvrir les zones de noirs et de blancs. Il passe le fer. Alors certains éléments restent et d’autres disparaissent. Les gris en transparence s’affichent et se révèlent tout doucement. L’Histoire se déroule ainsi, grâce à la cire chaude et coulante qui défile et se fige. L’image prend forme. Mais l’artiste garde en tête l’idée de produire un portrait. Progressivement, les masses d’ombres et de lumière s’installent. « C’est un chaos organisé. Le jeu consiste à ramener l’image », explique Sébastian Maltais. À nouveau, il faut décoder. Au hasard d’un mouvement, les reliefs se forment. La cire peut bien agir à sa guise, l’artiste en canalise les caprices.
Pour maîtriser son matériau, le peintre doit le préparer lui-même. « On ne peut pas l’acheter en tube ! ». C’est à coup d’essais et d’erreurs, comme un chimiste ou un chef cuisinier, que Maltais trouve la bonne recette. Au parfait mélange de cire microcristalline (très molle), dérivée du pétrole, il ajoute de la paraffine à chandelle (très dure) afin d’arriver à une cire dure, mais souple, qui s’apparente au caoutchouc. La toile pourrait être roulée, elle ne casserait pas. Étonnant !
Victor Hugo
Le visage de Victor Hugo a été peint directement sur papier, mais le portrait est monté sur un boîtier de bois. Grâce au bois, l’artiste peut apposer beaucoup plus de couches de cire. Plus de matière, plus d’Histoire. Le choix de Victor Hugo n’est pas sans fondement. Comme on le sait, c’était un écrivain très engagé socialement et politiquement », soutient Maltais. « J’ai trouvé très à-propos de choisir cette œuvre pour l’offrir à la doyenne des revues d’art québécoises qui s’emploie à donner un reflet global de l’Art. » L’écho du message codé résonne aussi dans ce choix qui tente d’exprimer ce qu’on a le droit de dire ou de ne pas dire. Qui de l’artiste Sébastian Maltais ou de l’illustre écrivain Victor Hugo est l’homme hors du temps ? Tout comme Victor Hugo, Sébastian Maltais s’efforce d’être un observateur de la société qui l’entoure sans pour autant être prisonnier de ses modes. C’est pourquoi il promène son regard et tire ainsi parti de l’éclairage d’autres époques.
Notes biographiques
Sébastian Maltais est né à Montréal en 1968. Il y vit et y travaille. Il a obtenu un DEC en arts plastiques et un baccalauréat en histoire, politique et linguistique de l’Université Laval. Lauréat de la Bourse de la Savoyane, en 1995, pour la qualité et l’excellence de son œuvre, Maltais privilégie depuis 2000 l’encaustique comme médium de prédilection. En 2014, il reçoit une bourse d’aide aux artistes en arts visuels. Il compte de nombreuses expositions individuelles ou collectives, principalement au Québec, mais aussi à New York. Certaines de ses œuvres font partie des collections des grandes entreprises, notamment celles de la Fédération des Caisses Desjardins et de Loto-Québec.
Il prépare une exposition intitulée « Le poids des ombres portées », du 12 mai au 12 juin 2016 à la Galerie Dominique Bouffard.
Sébastian Maltais est représenté par la Galerie Dominique Bouffard (Montréal).