Le western désacralisé
Il était une fois… le western décortique la mythologie western à travers un circuit thématique qui tente de circonscrire cette culture et sa contre-culture. Mêlant le kitsch et l’art, l’histoire et la fiction, le vrai et le faux dans une muséographie hybride, l’exposition exacerbe le caractère du mythe, qui n’est pas toujours très loin de la réalité, mais dont la réalité aime se parer de sensationnalisme.
Le genre western, popularisé au XXe siècle par le septième art, prend sa source dans la construction d’une identité nationale qui coïncide avec le fondement du rêve américain. La promotion de cet idéal a été, dès le début du XIXe siècle, alimentée par une abondante iconographie, alors largement diffusée dans l’est du continent pour stimuler la conquête du Far West en y attirant de nouveaux colons. Les innombrables images fortement idéalisées et biaisées ont si bien marqué l’âme patriotique au pays du Deuxième amendement que la culture qu’elle magnifie y est encore présente aujourd’hui, quoique plus nuancée.
L’exposition accueille les visiteurs dans une salle octogonale où, dans une structure rappelant un tipi, de magnifiques vêtements traditionnels de la nation Pied-Noir, finement perlés, sont déployés sur des structures en forme de croix. Ces splendides artefacts évoquent des corps crucifiés. Sur les murs, tout autour, des tableaux et des photos évoquent l’Ouest, ses grands espaces, ses promesses. On entend, venue d’une salle, plus loin, la musique d’Ennio Morricone : comme l’appel d’un inconscient collectif, cette musique est familière.
Cependant, dans la deuxième salle, l’espace scindé dispose des images qui se rapportent, d’un côté, au mythe de l’Indien et d’un autre, à celui du cowboy, du pionnier ou du trappeur. Au cœur de la genèse des stéréotypes véhiculés par la culture western, l’exposition se devait de réviser l’histoire en manifestant combien les représentations des autochtones ont été librement déclinées et falsifiées, tandis que celles des cowboys ont été romancées au point de devenir iconiques. Plus grave encore, les illustrateurs de l’époque attribuaient les autochtones au passé, comme s’ils n’existaient plus ; ainsi, ils ont donné libre cours à de grandes extravagances dans la représentation de ces peuples.
La salle suivante, consacrée à des personnages véritables, rappelle certains noms célèbres qu’entoure une aura légendaire. Il s’agit de héros populaires comme Buffalo Bill et Calamity Jane, ou de personnages majestueux comme le chef Lakota Sitting Bull, mais ils apparaissent d’une part comme des personnages historiques dont les épisodes de la vie sont clairement documentés, et d’autre part, comme les comédiens d’un spectacle destiné à distraire les foules : des affiches publicitaires colorées annoncent des performances théâtrales.
Art, doute et spaghetti
Bien entendu, le cinéma est à l’honneur. Parfois intégrés parmi les tableaux, mais également projetés dans des salles, des extraits de films tournent en boucle. L’évolution du style dans le cinéma western est clairement expliquée, d’abord avec le fondement du genre western, attribué à John Ford dont le soin apporté à la photographie s’inspire de la peinture. Ce genre, dont l’origine est romantique, exalte l’idée d’aventure et de fierté nationale.
Et puis, l’on découvre un cinéma plus nuancé, et plus sombre aussi, de l’après-guerre ; il y est question de solitude et d’aliénation : s’impose ainsi l’image du cowboy solitaire, taciturne, redresseur de torts. Les réalisateurs remettent alors en cause le rêve américain en soulignant ses limites, et dénoncent ses fausses promesses. Plus près de la réalité, cette section de l’exposition tente d’introduire des œuvres d’art moderne dans cette connotation de remise en question ; cependant, cette optique semble un peu plaquée.
Bien sûr, les célèbres films de Sergio Leone, incontestable génie du cinéma, avec ses distributions d’enfer, renouvèlent le genre à l’extrême, faisant sauter les clichés, dans un langage signé, assurément faux, mais superbement efficace. Parallèlement, des films plus contemporains, comme Paris-Texas (1984) de Wim Wenders ou Brokeback Mountain (2005), d’Ang Lee usent eux aussi de la charge émotive du genre western pour explorer la désillusion du rêve américain, l’homosexualité ou d’autres sujets touchant aux mœurs.
Politiquement correct
Dans la foulée de l’évolution du genre western, les mouvements de la contre-culture des décennies 60-70, qui s’opposaient à la guerre au Vietnam, favorisent l’émergence d’une critique de l’American Way of Life et l’éveil de la cause autochtone. On y lit un discours d’ouverture et de révision historique, un univers de musique folk, de festivals ; on y décèle la volonté de réhabilitation des peuples des Premières Nations. Dans cette salle, des œuvres graphiques – pochettes de disques, affiches – servent de préambule à la présentation d’œuvres contemporaines qui véhiculent cet esprit de critique sociale. Les œuvres d’artistes contemporains illustrent ici l’importance de l’esprit critique. Dans cette optique, le genre western n’a pas fini d’être récupéré.
Une petite alcôve présente, pour finir, des extraits de films québécois, La mort d’un bûcheron (1973) de Gilles Carle, par exemple, où se lit en filigrane l’influence de la culture western sur certaines créations cinématographiques d’expression française.
L’hybridité au musée
Il était une fois… le western se présente donc comme une exposition hybride où se côtoient objets d’art, artefacts ethnologiques, trames musicales, extraits de films, etc. Manifestement, le sujet est très populaire et de nature à séduire, au-delà de la clientèle habituelle du Musée, un public friand de divertissement. Mais est-ce que les thèmes populaires, s’ils attirent un nouveau public, aident à comprendre les œuvres présentées ? Pour cela, tout au moins, il faudrait que les objets soient parfaitement intégrés et mieux mis en contexte. À titre d’exemple, l’exposition Hitchcock et l’art 1 présentée au Musée (2001) avait parfaitement réalisé ce tour de force. De pertinentes installations accompagnaient l’extrait cinématographique, qui lui-même était placé en correspondance avec des objets adéquats et des œuvres d’art.
La première salle de l’exposition Il était une fois… le western réalise cette illusion de façon satisfaisante. On s’y sent presque gagné par l’esprit conquérant et par les promesses d’Eldorado, tout en ressentant une certaine angoisse. Dans cette ambiance, on comprend sans mots combien colonisation, émigration, assimilation et métissage structurent l’histoire américaine. Muséographiée toute en simplicité, cette introduction est efficace. On regrette toutefois la décision d’avoir ignoré, dans la suite de l’exposition, cette occasion de déployer des décors et des ambiances de cinéma aussi vrais que les vrais.
Bien sûr, le genre western alimente de nombreuses études scientifiques. Louable donc est l’idée d’en matérialiser certains résultats probants et d’en prolonger le propos dans l’enceinte du Musée. Malheureusement, emportés dans leur souci de vérité, les commissaires ont sélectionné dans la dernière salle des œuvres contemporaines, qui tiennent de l’étalage ethno-artistique très politically correct. Ce contre-discours fait peut-être ici maladroitement référence à une époque de récupération folklorique au point où l’on se demande s’il est vraiment pertinent d’avoir sélectionné des œuvres d’artistes contemporains, autochtones ou non, qui prennent le western comme support et prétexte pour dénoncer des injustices.
Il faut cependant reconnaître que la réunion des œuvres de Kent Monkman, Gail Tremblay et Adrian Stimson réussit à créer une ambiance où le vrai, le faux, l’humour et le drame s’entremêlent avec une certaine classe. Leurs installations – authentiques éloges du faux – revisitent le pastiche western. Dans cette section, on apprécie les détournements de genre et le phénomène d’appropriation culturelle, entre humour et drame.
Il était une fois… le western Une mythologie entre art et cinéma
Co-commissaires : Mary-Dailey Desmarais, Thomas Brent-Smith
Musée des beaux-arts de Montréal, avec la collaboration du Denver Art Museum
Du 14 octobre 2017 au 4 février 2018
(1) Vie des Arts. Hitchcock et l’art. Coïncidences… heureuses, par Julien Lévy. No. 181, hiver 2000-2001, page 35.