Apparus au cours du XIXe siècle, les musées en région se sont multipliés dans la deuxième moitié du XXe siècle, grâce notamment au soutien de l’État. De nos jours, ils doivent cependant surmonter divers obstacles qui freinent leur développement. En 2002, déjà, le chercheur Philippe Dubé évoquait « [l]’éloignement par rapport aux grands équipements culturels, une démographie faible et décroissante, un taux de scolarisation généralement plus bas que celui des centres urbains1 », sans oublier le sous-financement culturel en région.

Dix ans plus tard, la muséologue Meggie Savard abonde dans le même sens et ajoute à la liste le taux de chômage supérieur à la moyenne québécoise et le manque de main-d’œuvre professionnelle dans le secteur culturel2. Si, à première vue, ces obstacles semblent imposants, ce sont pourtant les mêmes facteurs qui ont contribué à bâtir une relation unique entre le musée et son milieu : les difficultés de l’un comme de l’autre les poussent à rechercher des solutions innovantes et à entreprendre des actions communes pour améliorer leur qualité de vie respective.

Toujours selon Savard, l’importance du rôle social de ces institutions est indéniable : celles-ci sont souvent « les seules gardiennes des cultures régionales au Québec », et à ce titre, des acteurs clés dans « la définition, la conservation et la diffusion de l’identité de la nation québécoise ». C’est particulièrement le cas des musées d’art contemporain, lorsqu’ils encouragent leurs publics à se pencher sur des enjeux sociaux à partir de pratiques artistiques. Si cet objectif s’avère parfois difficile à atteindre en raison de la nature souvent conceptuelle de l’art contemporain, on remarque depuis les années 1990 que plusieurs établissements ont adopté de nouvelles stratégies pour rejoindre plus directement la population et favoriser la participation citoyenne.

Pavillon Mobile, design de David Gour
© Musée d’art contemporain des Laurentides

Le Musée d’art contemporain des Laurentides et l’engagement citoyen

C’est dans les années 1960 que le gouvernement provincial a décidé d’investir dans les régions québécoises, jusque-là pauvres en équipements culturels. Les Laurentides, ne faisant pas exception, ont alors bénéficié notamment de la construction d’environ soixante-dix bibliothèques publiques et de la création d’un musée à Saint-Jérôme. Aujourd’hui, le Musée d’art contemporain des Laurentides (MAC LAU) se donne pour mission d’étudier les pratiques artistiques contemporaines, non seulement au moyen d’expositions, mais aussi « de manifestations publiques, de projets communautaires, d’innovations sociales et d’actions civiques, éducatives et culturelles3 ».

Le MAC LAU organise ainsi plusieurs activités à visée communautaire, comme la création estivale Au-delà du jardin. Inauguré en 2016, ce jardin urbain occupe le centre-ville de Saint-Jérôme et sert de lieu de rencontre pour des activités agricoles, communautaires et artistiques. L’initiative s’appuie sur des études qui démontrent les bienfaits de l’agriculture dans la vie urbaine : diminution de la pauvreté, enrichissement du tissu social, augmentation du sentiment d’appartenance, etc. Visant particulièrement les citoyens marginalisés et défavorisés de la ville, elle invite la population à prendre part à l’entretien et à la récolte du jardin : « C’est une manière pour le Musée de s’investir dans sa communauté, de s’implanter dans son milieu », disait Jonathan Demers, directeur général et chef de la conservation, lors de la journée de présentation du programme 2017-2018 du MAC LAU.

Depuis 2017, le MAC LAU accueille également des ateliers de l’organisme Les Impatients, en collaboration avec la Fondation de l’Hôpital de Saint-Jérôme et le CISSS des Laurentides. S’adressant aux personnes atteintes de problèmes de santé mentale, l’activité offre aux participants l’occasion de réaliser et d’exposer leurs œuvres. Pensons également au Mobile du MAC LAU, pavillon d’exposition sur roues grâce auquel le musée élargit son champ d’action dans les Laurentides, là où l’accès à la culture est parfois plus restreint.

Bien que le musée conserve une position décisionnelle, on considère bel et bien les habitants de la région comme des partenaires indispensables, ce qui favorise un échange dont chacun sort gagnant.

La transmission de connaissances au Musée d’art de Joliette

Parmi les défis qui touchent la région de Lanaudière figure plus particulièrement le décrochage scolaire, auquel le Musée d’art de Joliette (MAJ) s’attaque avec son programme Les jeunes en action. Par cette série d’activités éducatives, le MAJ souhaite venir en aide aux jeunes de cette région, qui enregistre un des plus hauts taux d’abandon scolaire du Québec. Dans cette optique, le MAJ a publié en 2018 Le petit catalogue illustré, opuscule muséal jeunesse réalisé par une dizaine d’élèves provenant d’écoles primaires locales. Proposée dans le cadre du Programme de promotion du français lors d’activités culturelles (PFAC), cette activité visait la valorisation de la langue française et l’initiation des jeunes à l’art et à l’histoire de l’art.

Le MAJ a également participé à « l’éditothon » Art + Féminisme, qui a pour objectif de créer ou de bonifier les articles de l’encyclopédie électronique Wikipédia portant sur les femmes, le féminisme, le genre et les arts. En mars dernier, le musée a fait appel à huit étudiantes en histoire de l’art du Cégep régional de Lanaudière, lesquelles se sont penchées sur les pages des artistes Suzanne Duquet, Claudie Gagnon, Louise Gadbois et Clara Gutsche. Enfin, mentionnons le programme Nouveaux médiateurs, consistant à offrir une formation en médiation culturelle et en histoire de l’art à une dizaine de jeunes nouveaux arrivants, en collaboration avec le Comité régional d’éducation pour le développement international de Lanaudière (CRÉDIL). En s’inspirant de leur propre vécu, ces personnes étaient ensuite invitées à présenter les œuvres de leur choix aux visiteurs.

Œuvre réalisée par un étudiant du Cégep de Rimouski
Soumise dans le cadre de l’appel d’œuvres pour l’exposition 2046 ta ville demain

Une visée intergénérationnelle au Musée régional de Rimouski

La région du Bas-Saint-Laurent, qui abrite ce musée alliant art contemporain, histoire et sciences, est confrontée à trois réalités sociales principales : le vieillissement de sa population, l’exode des jeunes vers les grands centres et, finalement, la faiblesse du salaire moyen qui, avec celui de la Gaspésie, est parmi les plus bas au Québec. C’est autour d’enjeux comme ceux-ci que le Musée régional de Rimouski – dont la vision repose sur la création d’« un climat d’échange inclusif et interdisciplinaire au sein d’une communauté engagée » – a conçu en 2016 son premier projet communautaire, intitulé 2046, ta ville demain. Il s’agissait d’un appel d’œuvres lancé à la population rimouskoise de tout âge. Les citoyens étaient invités à imaginer ce que sera Rimouski dans 30 ans, au moment de son 350e anniversaire. En tout, plus de 400 personnes âgées de 7 à 77 ans ont participé à l’initiative, qui comprenait une exposition, plus de 30 activités médiatiques, une publication ainsi qu’un forum citoyen sur le thème de l’écologie urbaine : « Ce sont des questions fondamentales et si l’on veut changer les choses, on sait qu’il faut les voir longtemps à l’avance, ces changements-là », affirmait Brigitte Lacasse, agente à l’éducation et à l’action culturelle du musée, en entrevue à Radio-Canada en 2016.

Toujours dans cette idée d’une rencontre entre les différentes générations de la région, le Musée invite depuis 2017 de jeunes adultes de 16 à 35 ans – tranche d’âge que les musées, et particulièrement ceux situés en région, ont de la difficulté à rejoindre – à siéger au Comité jeunesse. Ce dernier a pour mandat de concevoir des activités innovatrices apportant un regard nouveau sur l’établissement. C’est de cette façon qu’a vu le jour Noctus Ambulare, manifestation annuelle dont la deuxième édition a eu lieu en mars dernier. Artistes de tous horizons – arts visuels, danse, littérature, etc. – y interprètent à leur façon les expositions en cours, le temps d’une soirée festive.

Vers l’action coopérative

Les interventions récurrentes décrites ci-dessus font écho à ce que Geneviève Provencher-St-Cyr nomme l’« action coopérative4 », c’est-à-dire une initiative conçue conjointement par l’établissement muséal et la population, « qu’aucune des parties n’aurait pu mettre en œuvre seule ». Bien que le musée conserve une position décisionnelle dans les exemples évoqués, on considère bel et bien les habitants de la région comme des partenaires indispensables, ce qui favorise un échange dont chacun sort gagnant : l’établissement assure sa pérennité et bénéficie d’un regard extérieur, tandis que les citoyens développent un sentiment d’appartenance en agissant comme « experts » de leur région. En ce sens, le musée d’art contemporain en région agit indéniablement comme point de ralliement pour ce type d’initiative, vecteur d’entraide, d’inclusion et de participation citoyenne. 

(1) Ces informations proviennent d’une étude menée par Philippe Dubé et le Groupe de recherche-action en muséologie à l’Université Laval entre 1997 et 2002, publiée dans la revue Ethnologies (vol. 24, no 2, 2002).

(2) D’autres facteurs sont également mentionnés dans l’article « Les musées en région au Québec : essai de définition », de Meggie Savard, paru en 2012 dans la revue Muséologies (vol. 6 no 1).

(3) Cette citation a été tirée directement du site internet du MAC LAU : https://www.maclau.ca/fr/a-propos/

(4) Pour en apprendre davantage, consultez l’article de Geneviève Provencher-St-Cyr intitulé « L’action coopérative : une proposition d’ancrage des musées dans la vie régionale », publié dans la revue Muséologies (vol. 2, no 2, 2008).