Depuis cinq ans, les mécanismes de financement rattachés à la production et à la diffusion numérique pour les artistes et les organismes culturels se multiplient. C’est notamment le cas à l’échelle provinciale avec le Plan culturel numérique (2014) ainsi qu’au palier fédéral avec le fonds Stratégie numérique (2017). La visibilité et la découvrabilité des contenus sont devenues des composantes clés pour rendre accessible, dans un contexte régional, la culture sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de documentation visuelle d’œuvres et d’écrits sur l’art, de captations de conférences, d’entrevues et de performances, d’archives orales ou encore d’œuvres Web.

L’ensemble des régions du Québec affiche une riche production artistique et des lieux de diffusion dynamiques. Afin d’embrasser cette richesse, il est primordial de penser la structure de l’information disponible sur le Web pour rendre la culture plus inclusive et favoriser une visibilité à plus grande échelle des pratiques culturelles de l’ensemble du territoire.

L’historien de l’art et des technologies Philippe Michon explique, dans un article récent de la revue Archives, que l’information placée sur le Web se trouve à l’heure actuelle prisonnière de sites. Cette structure ne permet pas « une pleine interopérabilité des contenus », c’est-à-dire que les contenus, par leur structure et leur format, sont incompatibles entre eux et ne peuvent donc pas interagir dans l’espace Web quand les utilisateurs effectuent des recherches. Par exemple, lors d’une requête sur le Web, les notices bibliographiques entrées sur le site d’une bibliothèque pourraient ne pas apparaître aux côtés d’informations pertinentes provenant de la collection d’un musée ou d’un centre d’archives.

Structuration et repérabilité de l’information

Rendre les ressources accessibles en ligne ne suffit donc plus. Il faut également réfléchir à la manière dont l’information est structurée et repérable dans l’espace numérique, afin de rendre possible son utili­sation et de la faciliter. Au Québec, la plupart des principaux musées, galeries, bibliothèques, centres d’artistes et d’archives, ont opté pour une gestion de leurs collections qui tient compte de la diffusion des documents culturels numériques dans le cadre d’activités s’adressant au grand public. Cette approche englobe ainsi les artistes, les professionnels du secteur culturel, les enseignants et les amateurs d’art de différents horizons.

Exposition virtuelle Aller aux eaux salées. En vacances sur les bords du Saint-Laurent (1815-1950). Conçue par le Musée du Bas-Saint-Laurent et accessible en ligne via la Musée virtuel du Canada.

Le cas d’Artexte illustre bien l’importance de la repérabilité de l’information avec l’utilisation de structures reconnues dans la construction de sa plateforme. Cette bibliothèque spécialisée en art contemporain a pour mandat de représenter les pratiques artistiques de l’ensemble du pays de 1965 à nos jours. Pour ce faire, elle diffuse une collection de documents numériques au moyen de son catalogue en ligne, e-artexte. Le catalogue offre un accès facile et gratuit à plus de 30 000 notices bibliographiques et 1 400 documents accessibles directement en ligne.

Les documents diffusés par Artexte reflètent la diversité des pratiques artistiques régionales. On y trouve, à titre d’exemples, cinq livres d’artiste de Maryse Goudreau, qui vit et travaille en Gaspésie, tout comme six catalogues d’exposition du collectif After Faceb00k, composé de Charles-Antoine Blais-Métivier et Serge-Olivier Rondeau, dont le travail a été présenté dans divers lieux, dont le centre d’artistes L’Écart, à Rouyn-Noranda, et l’Espace F, à Matane. Afin de rendre visibles les documents produits en région, Artexte cible certains documents autrement absents des bibliothèques publiques, collégiales et universitaires.

Par ailleurs, la visibilité accrue offerte par cette plateforme qui jouit d’une bonne notoriété confère un degré de reconnaissance aux artistes qui y sont représentés et ouvre la porte à d’éventuels partenariats qui peuvent favoriser un développement de carrière.

Artexte assure le décloisonnement de sa collection et donc la découvrabilité de ses ressources par l’intermédiaire d’autres plateformes de recherche, comme Google Scholar ou WorldCat. Sur ces moteurs de recherche, les ressources d’Artexte côtoient d’autres ressources provenant d’institutions à l’échelle mondiale. Ce décloisonnement de l’information est un miroir pour l’ouverture de la culture, laquelle est ainsi, plus que jamais, offerte hors des établissements muséaux, pour des utilisateurs de toutes les régions du Québec.

L’ensemble des régions du Québec affiche une riche production artistique et des lieux de diffusion dynamiques. Afin d’embrasser cette richesse, il est primordial de penser la structure de l’information disponible sur le Web.

Le numérique pour enseigner : l’importance de la médiation

Au-delà de la découvrabilité et de la repérabilité, les contenus culturels bénéficient également d’une médiation numérique soutenue. Par un accompagnement aux utilisateurs ou un travail de contextualisation, cette dimension s’avère nécessaire pour susciter l’intérêt et stimuler l’utilisation des ressources, mais aussi pour autonomiser le grand public dans la découverte de documents culturels numériques.

Pour s’assurer de bien comprendre le sens et la portée des documents culturels et ceux des œuvres, les médiateurs réfléchissent à leur contexte de création, au public ciblé ainsi qu’aux manières de l’intéresser et de l’engager, par exemple, avec des projets d’indexation collaborative, des capsules interactives ou bien des parcours thématiques.

Une médiation numérique ciblée profite notamment à la valorisation de ressources culturelles dans le milieu de l’éducation, où, depuis le début des années 1990 et dans l’élan apporté par la réforme de l’éducation au Québec, de nouvelles stratégies d’intégration de la culture en salle de classe voient le jour afin de soutenir une approche culturelle de l’enseignement.

Cette année, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) mettra en ligne sa première plateforme éducative collaborative cocréée avec le milieu scolaire, visant à promouvoir l’utilisation de ses collections dans toutes les disciplines enseignées au primaire et au secondaire. Des outils interactifs y facilitent la création de liens avec les matières et la découverte du potentiel transdisciplinaire d’objets culturels allant de l’estampe au livre d’artiste, du roman graphique à la carte géographique. La participation du milieu scolaire dans la création de ces outils assure une adhésion à long terme à la plateforme dans le milieu.

Ciblant l’ensemble des commissions scolaires du Québec, cette initiative améliore non seulement l’accessibilité culturelle en région, elle valorise également les contenus produits dans l’ensemble du territoire québécois. De fait, les collections couvertes par ce programme proviennent des douze établissements de BAnQ répartis dans la province.

ÉduArt.ca, un outil éducatif conçu par le Musée des beaux-arts de Montréal.

L’offre éducative du secteur culturel dépasse ainsi progressivement les murs institutionnels grâce à différentes plateformes Web. Parmi les ressources pédagogiques offertes, on trouve notamment ÉducArt, développé par le Musée des beaux-arts de Montréal, ou encore le Musée virtuel du Canada, qui propose plus de cinq cents expositions virtuelles de musées et d’organismes patrimoniaux à l’échelle du pays, accompagnées de fiches détaillées et de ressources d’apprentissage. Ces exemples de médiation numérique contribuent à la valorisation des ressources culturelles dans le milieu de l’éducation.

Rayonner sur le Web

Les différentes initiatives mentionnées ci-dessus contribuent à redéfinir les modes de création et de promotion des artistes et à mutualiser les collections de même que les activités des établissements culturels. En outillant le grand public avec des stratégies qui lui donnent accès aux collections numériques, les plateformes Web fournissent matière à repenser les frontières institutionnelles, disciplinaires et professionnelles à l’échelle de la province. Elles encouragent de plus la cocréation et la collaboration entre créateurs, diffuseurs et utilisateurs des ressources.

L’adoption des bonnes pratiques ciblées permet aussi d’établir une offre de médiation numérique contribuant à une recherche plus inclusive et représentative des pratiques culturelles de l’ensemble du territoire québécois. Une médiation ciblée apporte en effet un nouveau regard et une diversité de points de vue sur une collection. Elle favorise en outre la mise en valeur de pratiques artistiques marginalisées ou sous-représentées. Elle mobilise enfin d’autres types et formats de documents culturels comme les archives orales et le patrimoine immatériel.