Villa de Verticale : un véhicule pour explorer les différentes facettes de l’activité artistique
Verticale — centre d’artistes est le seul centre d’artistes autogéré de Laval. En processus de relocalisation depuis 2010, il ne dispose pas d’espace de diffusion permanent. Contraint d’opérer hors des murs, Verticale s’est doté de Villa – Véhicule d’arts actuels et numériques, un camion cube aménagé et muni d’un parc d’équipement audiovisuel. Alors que, durant sa première saison, Villa a accueilli des artistes en résidence, elle se transforme pour son second été en véhicule de microdiffusion, de médiation et de cocréation. Dans le cadre des Rencontres mobiles prévues cet été, six artistes et collectifs tisseront des liens avec des partenaires communautaires et municipaux de Laval, de Lanaudière et des Laurentides (les 3L) pour rejoindre, par l’intermédiaire de Villa, des publics qui se situent habituellement en marge de l’offre culturelle. Les projets témoignent d’une diversité d’approches et ont été retenus pour leur potentiel de médiation. La sélection a été effectuée en portant une attention particulière aux artistes résidant sur le territoire des 3L, quel que soit l’avancement de leur carrière ou leur discipline.
Même s’il s’agit d’une initiative encore jeune, Villa trouve déjà sa place dans le paysage artistique lavallois parce qu’elle répond à un besoin évident. Le Diagnostic culturel de la région de Laval, publié en 2017, faisait état d’une situation critique, comparativement au reste de la province : « Laval se classe grande dernière en ce qui concerne les dépenses en culture de l’administration publique par habitant. Les dépenses publiques en culture s’élèvent en 2012-2013 à 12,95 $ par habitant à Laval, alors que celles-ci oscillent entre 18 $ et 27 $ dans les régions périphériques [Montérégie, Lanaudière, Laurentides, Chaudière-Appalaches] et que la moyenne pour l’ensemble du Québec s’élève à 122 $1. » En raison de ce manque d’investissement en culture, la région accuse un retard évident, particulièrement en ce qui a trait à ses infrastructures. Dans ce contexte où tout est encore à faire, le modèle unique de Villa positionne l’artiste comme principal médiateur de sa démarche lors de rencontres à échelle humaine; il revoit en outre les stratégies traditionnelles de diffusion de l’art, contribue au décloisonnement des disciplines artistiques et favorise le sentiment de proximité avec les artistes et les populations éloignés des grands centres.
L’art, vecteur de rencontre sociale
Parmi les propositions retenues par Verticale, on retrouve celle de la compositrice laurentienne et artiste interdisciplinaire Sonia Paço- Rocchia, qui présente un atelier de création d’automates sonores à partir de matériaux recyclés. Pour ce projet, l’artiste collabore avec la Maison de Sophia, de Saint-Jérôme, qui accueille des femmes en difficulté. Elle propose aux participantes une initiation à l’électronique, à la programmation et à l’art sonore, mais elle souhaite également échanger avec elles sur son expérience de femme artiste au parcours atypique évoluant dans un milieu majoritairement masculin. Le muséologue et historien de l’art Stéphane Bellin note que « le workshop [l’atelier] favorise l’émergence d’une forme de communication entre les acteurs de l’expérimentation artistique et [le] public ». Il souligne que ce format offre aux personnes qui participent à ce type d’échange collaboratif l’occasion d’éprouver par elles-mêmes les enjeux propres à l’artiste et d’en discuter; l’expérience et l’engagement des spectateurs s’en trouvent alors accrus. Il s’agit donc d’amener l’artiste dans le quotidien des gens afin de réduire la distance que le public peut autrement entretenir avec l’art. Pour ce qui est de l’artiste, la rencontre lui permet de bâtir des relations plus profondes et plus sincères avec le milieu hôte. En provoquant cette rencontre, Villa crée des ponts entre les milieux artistiques et communautaires, mise sur la qualité des rencontres à échelle humaine et sur la pertinence du jumelage entre artistes et milieux d’accueil.
Le modèle unique de Villa positionne l’artiste comme principal médiateur de sa démarche lors de rencontres à échelle humaine.
Un autre artiste, Laurent Lévesque, investira Villa le temps d’une semaine afin de s’infiltrer dans les jardins des citoyens et au Centre d’art Guy St-Onge à Saint-Calixte. Le public pourra visiter avec lui les terrassements d’horticulteurs locaux, pendant que lui-même captera des images pour créer une vidéo documentant la démarche. Explorant les notions d’intime et de privé, l’artiste se penche sur le rapport affectif des jardiniers à leur espace vert et examine comment l’aménagement paysager, discipline à la fois technique, scientifique et artistique, peut refléter leur personnalité. Ce travail déambulatoire, infiltrant et vidéographique est un exemple des initiatives pluriformes et multidisciplinaires accueillies par Villa, espace polyvalent à l’image des fluctuations de son mandat. Dans le contexte du territoire lavallois où l’offre artistique est moins abondante que dans la métropole montréalaise, une offre variée et alliant plusieurs disciplines est préférée à une vision hermétique des pratiques et de leur diffusion. Cette grande diversité d’approches et de formes répond donc à la spécificité régionale : Villa est un laboratoire d’art numérique, mais aussi de performance, d’estampes florales et d’art relationnel. Elle se veut un lieu de rassemblement qui déborde du véhicule pour offrir une manière nouvelle de concevoir le centre d’artistes.
La force de Villa réside dans ses temporalités flexibles, car elle peut être investie par les artistes pour des durées variables. Dans le cadre des Rencontres mobiles, les six séjours sont d’environ une semaine chacun, de sorte que les artistes ont le temps de se familiariser avec l’environnement avant la journée d’activités prévue avec le public. Verticale cherche à pérenniser ses liens avec les organismes et les artistes du secteur des 3L. Ainsi l’organisme a-t-il entamé une nouvelle collaboration avec le tandem Lagueux & L’Ecuyer, deux artistes qui avaient séjourné à Villa pour une résidence en 2018. Cet été, ils prendront part aux Rencontres mobiles le temps d’un atelier à La Barak, la maison des jeunes de Mascouche. Par des projections vidéo interactives modulées par la voix, ils offrent aux jeunes une expérience avec un dispositif innovant et autrement difficilement accessible. Pour Verticale, il s’agit de nourrir une collaboration avec les artistes de la couronne nord, qui ont peu d’opportunités de diffusion au niveau local. L’établissement de relations récurrentes avec la population locale est essentiel à son dynamisme. Pour les artistes, c’est l’occasion de réellement s’approprier Villa et d’en exploiter le plein potentiel.
Villa favorise le décloisonnement de deux façons : d’une part en ouvrant le processus créatif de l’artiste au public, d’autre part en déployant hors des murs des pratiques comme l’art relationnel, la performance et les arts numériques, qui vont à la rencontre des citoyens dans leur milieu de vie. Avec Villa, Verticale change l’approche à la diffusion en créant des rencontres disciplinaires évènementielles. Ce modèle à échelle humaine se développe d’une façon responsable, multiforme et décomplexée pour refléter toute l’ouverture du processus de création artistique et les besoins du territoire des 3L.
L’auteure souhaite remercier Charlotte Panaccio-Letendre, directrice générale et artistique de Verticale — centre d’artistes, pour sa collaboration lors de la rédaction de cet article.
(1) Conseil régional de la culture de Laval, Diagnostic culturel de la région de Laval, 2017, p. 50. http://crclaval.com/wp-content/uploads/2017/07/DiagnosticCulturel_LAVAL_ 2017Web.pdf
(2) Stéphane Bellin, « Documenter et communiquer la recherche en arts numériques par la mise en situation diagonale de l’artiste contemporain », dans Muséologies, 2014, vol. 7, no 1, p. 217.