On parle souvent du marché de l’art. Comme si c’était un monde monolithique, unique et singulier. Il serait toutefois plus approprié de parler des marchés de l’art1, au pluriel, puisque plusieurs acteurs y agissent en interrelation et viennent influencer, chacun à sa manière, la carrière des artistes. Il peut alors être ardu pour ces derniers de s’orienter au sein de ce milieu d’une grande complexité, où chaque joueur influence la valeur des œuvres sans toutefois avoir les mêmes critères ou les mêmes intérêts. Le nombre de diffuseurs, de bourses, de commissaires et d’acheteurs étant largement inférieur au nombre d’artistes, il est primordial pour ceux-ci de bien se positionner afin de se frayer un chemin et d’espérer se tailler une place dans ces marchés. Un article entier pourrait être écrit sur le rôle et les enjeux de chacun des acteurs ; le présent texte en brosse plutôt un portrait global.

Un marché fondé sur la recherche et la création

Le milieu universitaire joue tout d’abord un rôle d’incubateur. C’est souvent le premier contact concret qu’auront les artistes avec le monde de l’art et c’est dans ce contexte d’études qu’ils auront l’occasion d’expérimenter et de développer autant leur pratique que le discours entourant leur démarche artistique2. C’est dans le milieu universitaire que souvent le réseautage s’amorce, que des collaborations naissent et que les premières opportunités d’exposition (collectives et individuelles) se présentent.

Marlon Kroll, artiste en résidence montréalaise (2018)
Fonderie Darling, portes ouvertes des ateliers
Photo : Adrián Morillo

En dehors de l’université, c’est en général vers les lieux de production et de diffusion que les artistes se tournent afin de développer leur bagage et d’obtenir un statut d’artiste professionnel3. Les centres d’artistes sont d’importants acteurs en ce qui a trait autant à la formation qu’à la production et à la diffusion. Ces centres consacrés à l’art actuel sous toutes ses formes offrent les conditions et l’accompagnement nécessaires aux artistes pour la réalisation de leurs projets d’exposition. Certains offrent aussi des programmes de résidences qui permettent aux artistes de se plonger dans la création et ainsi de se consacrer entièrement à leur art. Il existe également plusieurs réseaux de diffuseurs comme les galeries universitaires, les maisons de la culture, les espaces muséaux, les musées régionaux, les centres culturels et les bibliothèques, qui offrent souvent des lieux d’exposition professionnels. Plusieurs événements en arts visuels comme les symposiums et les encans représentent de bonnes occasions de diffusion pour les artistes. Il faut toutefois viser les expositions où un jury de pairs évalue les dossiers et où un cachet est remis aux artistes, afin qu’elles soient considérées comme professionnelles.

Pour épauler les artistes qui ont à naviguer dans ces eaux parfois troubles, un réseau d’organismes de soutien a été mis sur pied. Des regroupements comme le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV) et les différents Conseils régionaux de la culture offrent aux artistes des formations de perfectionnement, ainsi qu’un accompagnement visant à les soutenir dans le cadre de projets spéciaux ou encore pour le développement de leur carrière. Lorsque l’artiste est considéré comme professionnel, il peut avoir accès à un niveau supérieur d’aide en se tournant vers les bailleurs de fonds comme le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et le Conseil des arts du Canada (CAC). Ces organismes contribuent financièrement à l’essor de la carrière des artistes et donnent aussi une crédibilité à leur parcours en les inscrivant dans le réseau du financement public.

On parle souvent du marché de l’art. Comme si c’était un monde monolithique, unique et singulier. Il serait toutefois plus approprié de parler des marchés de l’art.

Un marché à vocation commerciale

Parallèlement à ce marché axé sur la recherche et la création, celui des galeries a une vocation plus commerciale. Sans faire fi de la pertinence du processus créatif, ce qui compte ici est davantage la valeur des œuvres et leur potentiel d’acquisition4. Il est important de spécifier qu’il existe différents types de galeries : certaines sont purement commerciales, d’autres jouent également un rôle d’accompagnement auprès des artistes qu’elles représentent. Ces dernières offrent parfois l’occasion à leurs artistes de participer à des foires internationales et travaillent pour que leurs œuvres soient intégrées à des collections de musées, ainsi qu’à des collections publiques et privées, dans l’objectif de faire rayonner leur travail. Le marché des collectionneurs est souvent considéré comme trop restreint, surtout au Québec, vu sa très récente tradition philanthropique. Toutefois, il tend à prendre de l’expansion depuis quelques années. Avec le travail d’organismes comme l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC) et l’organisation de visites de collections d’entreprises, les principes sous-jacents au collectionnement sont présentés et démystifiés, ce qui incite plusieurs nouvelles entreprises à acquérir des œuvres d’art.

Facteurs de crédibilité et de consécration

Les commissaires, les critiques et les revues d’art sont d’importants acteurs qui soutiennent la carrière des artistes et accroissent leur crédibilité dans le milieu. Chacun à sa façon, ils contribuent à donner une profondeur au corpus d’œuvres d’un artiste et développent une réflexion autour de sa pratique. Alors que les commissaires sélectionnent des œuvres en fonction d’un concept précis dans l’élaboration d’une exposition, les critiques se penchent davantage sur la démarche d’un artiste et ses œuvres, en plus de lui offrir une vitrine au sein de médias de masse ou de médias spécialisés.

Les Impatients, Parle-moi d’amour Montréal, 13 au 27 février 2019
Photo : Jean-Michael Seminaro

Ce ne sera généralement qu’après avoir fréquenté des centres de production et exposé dans différents lieux de diffusion, après avoir été invité à participer à des expositions par des commissaires, après avoir attiré l’œil de certains critiques, de galeristes et de collectionneurs, qu’un artiste pourra enfin voir ses œuvres dans un musée de réputation nationale. Que ce soit au travers d’une exposition ou d’une acquisition, cela fait figure de consécration dans une carrière. Les budgets d’acquisition des musées étant malheureusement de plus en plus minces, ce sont souvent les collectionneurs qui font l’acquisition d’œuvres majeures avant de les prêter ou d’en faire don aux musées. Une fois l’œuvre intégrée à une collection muséale, les conservateurs de ces établissements veilleront à la garder dans des conditions optimales afin d’en assurer la pérennité, inscrivant ainsi l’artiste dans le temps et dans l’histoire.

Comme mentionné en début d’article, le marché de l’art est loin d’être monolithique et binaire. L’ordre présenté ici peut donc être brouillé, chaque artiste ayant un parcours distinct et devant aussi subvenir à ses besoins. Les rôles des différents acteurs tendent aussi à changer, surtout avec l’avènement de nouveaux joueurs comme les foires d’artistes indépendants et les sites de vente en ligne. Alors même que nous tentons de comprendre le rôle de chacun de ces acteurs dans l’écosystème artistique, ceux-ci sont constamment forcés à évoluer et à s’adapter aux nouvelles réalités du milieu. Ce sont donc des marchés dynamiques et fluctuants où, pour tirer son épingle du jeu, chaque acteur se doit d’être réactif. 

(1) Cette notion de pluralité des mondes de l’art est présentée par Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux dans l’article « La relation formation/carrières artistiques : le paradoxe des mondes de l’art », Formation emploi – revue française de sciences sociales, no 116, octobre-décembre 2011, p. 35-49.

(2) Il existe aussi des formations en art appliqué offertes par différentes écoles des beaux-arts.

(3) Selon la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, pour avoir le statut d’artiste professionnel, un artiste doit avoir reçu de la reconnaissance par ses pairs, soit par un prix, soit par une sélection pour une exposition ou pour un événement, etc.

(4) Les acheteurs se tournent généralement vers des médiums plus « faciles » à collectionner : peinture, photographie, sculpture. Toutefois, on assiste depuis peu à de plus en plus d’acquisitions d’installations et d’œuvres médiatiques.