Récit : Paul Kawczak
Pour une durée d’un an et sans lieu fixe déterminé, Paul Kawczak est en train de réaliser sa résidence de création dans le cadre du programme Assigné à résidence lancé par Folie / Culture, qui a cette année pour thème Marchez sur des œufs ! Le poète, écrivain et performeur nous parle de son processus de création.
« C’est la dimension “carte blanche” de la chose qui m’a tout de suite séduit. Je viens avant tout du monde des Lettres, une des branches les plus conservatrices de la création – pour laquelle des choses aussi banales maintenant en art que le ready-made ou le collage peuvent être encore considérées comme sacrilèges –, et j’ai saisi l’occasion de cette liberté tout d’abord pour réagir contre les carcans créatifs littéraires auxquels j’ai été et suis encore soumis. Je venais de lire le livre de Kenneth Goldsmith L’écriture sans écriture : du langage à l’âge numérique (2018) et j’avais été totalement séduit par sa proposition de remettre le copier-coller au centre de la création littéraire. J’y sentais une force libératrice que je décidai de mettre à profit pour m’attaquer à trois des dogmes conservateurs de la littérature : l’originalité, l’auteur comme autorité, le texte publié fini et figé. »
« Le projet en résidence ne vise pas une finalité, un corpus d’œuvres à conserver, mais constitue un parcours spontané. Le lieu fixe, c’est mon ordinateur portable que cette résidence m’a conduit à fréquenter plus assidûment. Le portable m’ouvre deux terrains d’aventure (et autant de sources de nourritures) : Internet et le monde, les deux dans les limites d’un territoire que j’ouvre ou referme selon ma volonté et mes capacités. Cette référence à l’ordinateur mobile n’est pas anodine. Mathieu Arsenault, par exemple, lorsqu’il pense une façon de copier-coller la vie en poésie, et d’ainsi se rapprocher du processus créatif plutôt que du texte fini, insiste sur le rôle fondamental de son téléphone cellulaire, qui lui permet d’écrire en différents endroits, à la recherche de conversations à sténographier1. L’absence de lieu favorise donc cette dimension aventureuse que je recherche. Si j’étais dans une résidence fixe, plus courte et plus traditionnelle, je serais beaucoup plus soucieux du produit fini, même à l’occasion d’une résidence de recherche sans présentation finale. J’aurais le souci de mettre à profit au maximum mon séjour, je soumettrais mon être à une certaine discipline, une certaine tension, j’agirais “comme il se doit”, comme j’imaginerais qu’un artiste agit, image que j’aurais probablement héritée en partie d’une construction sociale. Je me serais éloigné d’une certaine spontanéité idiomatique, d’une désinvolture, d’un relâchement et d’un oubli qui appartiennent à la création. Tandis que si je suis librement assigné un an à résidence, j’ai le temps même d’oublier que je le suis. »
« Je vois le Net comme une matière à modeler. Une source de choses à copier et à coller. C’est surtout l’absence de hiérarchie qui me plaît, la possibilité d’effectuer divers rapprochements. J’aime l’idée aussi du post de blogue comme médium pauvre. Pauvre dans le sens où il ne coûte presque rien, pauvre aussi dans l’idée qu’il se noie dans la masse. Cette pauvreté désinhibe mon geste créatif : je peux agir vite, bâcler, ne pas m’inquiéter de la réception. »
« Les performances, quant à elles, sont casse-gueules (Marchez sur des œufs !), déceptives. La transposition de la situation créative que je mets en place dans ma tête, devant mon ordinateur, peut donner lieu à du grand n’importe quoi. Je ne parlerais pas d’art action ou d’art performance, qui demeurent plus travaillés d’une certaine façon. Il s’agit plutôt de “vie vraie2”, de beauté furtive,comme il peut exister de l’art furtif. Pour beaucoup de personnes dans le public, il ne doit s’agir que de quelqu’un de mal préparé qui se ridiculise. Pour moi, il s’agit de l’aboutissement inéluctable d’une suite d’idées. Un moment de solitude, peut-être. Une solitude qui est peut-être symptomatique du fait que j’invente du sens qui m’est plus propre. Dans tous les cas, le ridicule ne tue pas. Pas la création. »
Folie / Culture
Folie / Culture est un organisme à but non lucratif fondé en 1984, sans lieu de diffusion fixe. Sa mission s’oriente vers la sensibilisation, l’information et la promotion en santé mentale à travers les pratiques d’art interdisciplinaire. Le programme Assigné à résidence a été mis sur pied en 2019. Il est demandé à l’artiste en résidence de réaliser une intervention sur le blogue de Folie / Culture par semaine, en plus d’un total de trois performances établies tout au long de l’année.
(1) Mathieu Arsenault, Le guide des bars et pubs de Saguenay, Montréal, Le Quartanier, 2016.
(2) À ce sujet, j’ai été influencé par l’idée d’authenticité que développent Jacob Wren et PME-ART, notamment dans le livre de Wren, Authenticty is a feeling: My life in PME-ART, Toronto, BookThug, 2018.