Prendre la direction d’une revue aussi solidement ancrée dans les habitudes culturelles des amateurs d’art québécois et canadiens, et ce depuis plusieurs décennies, est un privilège qui ne vient pas sans responsabilité. S’il me paraît souhaitable que Vie des Arts connaisse une évolution importante au cours des prochaines années – permettant d’en actualiser tant le fond que la forme –, il est aussi de mon intention de chérir les mandats qui ont été au cœur du développement historique de la revue, soit ceux d’offrir une couverture des arts visuels accessible au grand public curieux tout en faisant place à une sélection artistique riche et diversifiée.

De l’accessibilité des contenus

L’impératif d’accessibilité des contenus est une préoccupation centrale de la rédaction de Vie des Arts, qui définit de plus sa spécificité dans le paysage québécois des revues d’art. Il nous distingue notamment des revues spécialisées se consacrant à l’art contemporain de pointe, dont plusieurs d’entre elles accomplissent par ailleurs un travail admirable et fondamental dans ce segment plus circonscrit de la critique d’art. Cette volonté d’être accessible à un public non spécialiste, davantage qu’une stratégie de différenciation visant un positionnement stratégique avantageux, est avant tout motivée par un engagement profond envers des valeurs démocratiques. À titre personnel, c’est précisément ce rôle social qu’assume Vie des Arts auprès des amateurs d’art qui a suscité mon désir de me joindre à son équipe.

Au service des lecteurs d’abord, des artistes et du monde de l’art ensuite, Vie des Arts est un véhicule unique permettant d’offrir une meilleure accessibilité à ce milieu parfois opaque, parfois élitiste, qu’est celui de l’art. En tentant de combler le fossé qui sépare le savoir des spécialistes de celui du grand public, nous souhaitons permettre à un plus grand nombre d’y participer et de s’y sentir partie prenante. Pour ce faire, notre objectif est de s’adresser à l’intelligence du lecteur en lui proposant des sujets stimulants et actuels, en lui communiquant des idées fortes allant au-delà du simple compte rendu, ainsi qu’en lui soumettant des analyses rigoureuses et pertinentes portées par une réelle connaissance des sujets traités. Et ce, tout en laissant de côté le jargon disciplinaire, les grandes abstractions théoriques et les analyses ancrées dans des univers référentiels trop clos sur eux-mêmes. Voilà notre grand défi.

De la pluralité (et non du pluralisme)

Également en phase avec le mandat historique de la revue est mon désir de réaffirmer l’engagement de Vie des Arts envers une diversité de démarches artistiques.

Les habitués de la revue seront peut-être étonnés de me voir abandonner la notion de pluralisme, revendiquée par ses précédents rédacteurs, au profit de celle de pluralité ou de diversité. Si le pluralisme caractérise une situation où l’on « reconnaît l’existence de plusieurs modes de pensée» ou d’orientations artistiques différentes, la pluralité va au-delà de la simple coexistence. « La pluralité n’est pas le pluralisme, de même que la reconnaissance n’est pas la tolérance2 », nous dit Joëlle Zask, dans Art et démocratie. Peuples de l’art. Plus encore, la philosophe souligne que « [l]e défaut de la thèse du pluralisme en art est […] analogue à celui du pluralisme politique : qu’on y consente ou qu’on la refuse, on se trouve dans l’incapacité de percevoir (ou de favoriser) les corrélations qui, en s’établissant entre les pratiques artistiques, les œuvres et les artistes, contribuent à l’identité de chacun, dotant le milieu de l’art de nouvelles possibilités d’influences, d’interactions réciproques, d’appréciations esthétiques3. » La pluralité, pour sa part, va au-delà de la coexistence pacifique des démarches et des esthétiques pour favoriser leur mise en dialogue, voire en opposition et en confrontation – d’où son caractère démocratique.

La question du pluralisme a fait débat dans les années 1970 et 1980. On lui reprochait dès lors de prôner l’individualité du créateur en négligeant de considérer l’ancrage historique et social des pratiques artistiques : « Le pluralisme exprime […] ce fantasme que l’art serait libre, libre d’autres discours, institutions, libre, par-dessus tout, d’histoire4 », affirmait Douglas Crimp en 1980. C’est précisément afin d’éviter cet écueil que la nouvelle orientation éditoriale de Vie des Arts mettra de l’avant une approche plus sociologique de l’actualité artistique.

Guy Robert, dans Le pluralisme dans l’art au Québec, affirmait que le pluralisme « demande que les organismes ou programmes culturels et les véhicules d’information accueillent toutes les formes d’art, sans favoritisme ni exclusion5 ». Disons-le d’emblée, il s’agit d’un vœu pieux qui est peu pragmatique. De plus, on pourrait déplorer que cet éclectisme relève trop souvent du « fourre-tout », servant parfois, de surcroît, des fins réactionnaires. Ajoutons qu’une telle stratégie éditoriale consisterait à renoncer à sa capacité à émettre des jugements éclairés, à faire des choix et à les argumenter. Bref, c’est enlever à la critique d’art son rôle critique.

Au-delà de la pluralité, la diversité appelle aujourd’hui à un engagement éthique beaucoup plus pressant. Vie des Arts souhaite désormais favoriser la présence d’une diversité d’artistes et d’auteurs qui se décline aussi en termes d’inclusion de la diversité culturelle, sexuelle, de genre et de génération, notamment. Cette diversité ne doit pas s’exprimer sporadiquement dans des dossiers spéciaux, mais bien être présente de manière constante et normalisée au sein de la revue.

L’actualité de l’art : une nouvelle approche

Vie des Arts s’engage désormais à offrir un nouvel éclairage sur l’actualité artistique. En plus de s’intéresser aux relations entre l’art et la société, et à l’art dans la société, notre attention se portera sur le fonctionnement des mondes de l’art6 et sur le rôle de leurs acteurs. Et ce, en tenant compte des contextes sociaux, culturels, économiques, institutionnels et politiques qui influencent tant la production, la réception, la circulation que la commercialisation des œuvres d’art.

Comprendre ce qui agite les mondes de l’art – que ce soit le monde de l’art contemporain de pointe, du Street Art, des métiers d’art, ou autre – permet de suivre leur évolution et de mieux cerner leur fonctionnement. Plus encore, cela permet de mettre en perspective les valeurs, références et conventions artistiques en vigueur dans un monde de l’art donné ainsi que leurs conditions d’accès à la reconnaissance artistique. Admettant que « tout ne se vaut pas », il faut néanmoins comprendre comment se construisent les valeurs et les hiérarchies artistiques afin de pouvoir y porter un regard critique. Une meilleure prise en compte de la position située des gatekeepers (qu’ils soient critiques, commissaires, galeristes, ou autres), de leur appartenance à un monde de l’art plutôt qu’à un autre, permet de mieux comprendre leurs critères d’évaluation. Ainsi, appréhender comment se forment et opèrent les catégories et les étiquettes me semble constituer une voie plus fertile que celle qui consiste à tenter vainement de les abolir. « Admettre que les valeurs soient contextuelles et relatives est en soi une valeur, qui plus est « démocratique » 7. » 

Afin de tendre vers cette réorientation – qui nous permettra d’occuper une place inédite dans le paysage des revues culturelles au Québec – notre approche s’efforcera de démocratiser la connaissance du système de l’art en décortiquant l’actualité telle qu’elle se présente. Notre dossier « Du mouvement dans les collections » en témoigne.

Pour donner plus encore matière à penser et à juger, Vie des Arts misera sur des dossiers thématiques étoffés, pour lesquels nous ferons aussi parfois appel à des spécialistes soucieux d’élargir leur auditoire au-delà du monde universitaire. Pour jeter de véritables ponts entre les spécialistes et les amateurs, il sera de notre devoir de poursuivre cette mission de démocratisation tout en privilégiant une sélection artistique fondée sur des préoccupations bel et bien actuelles, qu’elles soient d’ordre esthétique, théorique, politique ou sociale, et ce, au détriment de certaines pratiques n’offrant que peu de possibilités de renouveler le discours sur l’art.

À venir 

En vue d’implanter ces nouvelles orientations, de redynamiser notre approche et de conquérir de nouveaux lecteurs, nous procéderons au cours de la prochaine année à une refonte de nos rubriques. Plusieurs s’ajouteront et pourront porter, à titre d’exemple, sur le marché de l’art, les politiques culturelles, et plus encore. De manière à ce que notre contenu corresponde aux besoins des amateurs d’art, nous mènerons très prochainement une consultation auprès de nos lecteurs ainsi qu’auprès des acteurs du milieu de l’art. C’est avec impatience que nous attendons de savoir ce que vous pensez de nous, et ce que vous souhaitez voir intégré dans une revue qui vous ressemblerait.

Dans l’espoir d’avoir de vos nouvelles, je termine simplement en vous souhaitant  bonne lecture !

Andréanne Roy