Le cycle de vie d’une œuvre peut être vaste. Il se décline en étapes mouvantes, et sa portée va au-delà de ce qui nous est donné à voir, car les paramètres au cœur de la création sont capables de faire naître en nous des choses susceptibles de nous habiter durablement. L’art a le potentiel pédagogique de marquer les gens.

Pour ce numéro d’été, nous revenons avec la troisième édition de notre rubrique spéciale « Création ». Cette fois, nous avons mandaté l’artiste Audrey Beaulé pour la réalisation de quatre pages, dispersées au sein de la rubrique « Visites ». Infiltrant directement le procédé d’impression industriel offset par lequel est produite la revue, l’artiste s’interroge sur cet acte de transfert : le cycle de création passe ainsi par la gravure et le dessin, alors que les œuvres originales font l’objet de plusieurs transpositions à travers des techniques analogiques et numériques. En résulte une exploration du débordement de l’encre en taille-douce – manière de laisser libre cours à l’accident –, annexée à des dessins occupant plutôt les marges de chaque page. Le vide, assumé comme point focal de la disposition, procède d’un certain décentrement.

Si les marges sont chez Beaulé le motif de la création, dans la rubrique « Perspectives », Mylène Lachance-Paquin les aborde plutôt selon la définition des catégories de l’art même. Convaincue de la nécessité de soutenir une diversité de pratiques, elle revient sur l’exposition OUT 2023 présentée à la Galerie C.O.A., à Montréal, afin de souligner le potentiel qu’ont « l’art brut » et « l’art outsider » de faire naître des regards pluriels. Dans leur « Essai », Marie-Pierre Labrie et Léah Snider mènent une réflexion sur ce qui, dans notre corps, agit lorsque nous rencontrons l’œuvre d’art. Soucieuses de s’éloigner d’un modèle de médiation axé exclusivement sur le discours ou le sens de la vue, elles invitent plutôt à considérer l’aspect polysensoriel de l’appréciation esthétique. Cette vision favoriserait, selon elles, une « façon d’apprendre à la première personne » qui, dans un contexte pédagogique, redonnerait de la crédibilité à la subjectivité. Vous trouverez aussi entre ces pages une contribution de l’AQÉSAP, au sujet du Festival canadien de cinéma jeunesse, des « Lectures » ciblant des nouvelles publications sur l’art, et d’autres « Visites » d’expositions et d’événements récents : Albert Dumouchel en trois lieux à Montréal, Kent Monkman au Musée royal de l’Ontario, Marie-Andrée Gill, Sophie Kurtness et Soleil Launière à la Galerie de l’UQAM, Jannick Deslauriers au 1700 La Poste, Pierre&Marie à l’Espace 400e et Conditions d’utilisation à la Fondation PHI. Mais aussi Precy Numbi, artiste de la République démocratique du Congo, qui était de passage à Québec pour le Mois Multi, Joyce Joumaa au Centre canadien d’architecture, avec son film proposant une allégorie des bouleversements qu’a connus le Liban, et enfin Ali Eyal à la Galerie SAW à Ottawa, offrant des récits fragmentaires et mémoriels, voire oniriques, destinés à redoter d’un pouvoir de narration un Bagdad d’après-guerre. Chacun et chacune soulève des questions à interprétation libre : comment les artistes affectés par des catastrophes, les grands drames collectifs comme les bouleversements intimes, peuvent-ils continuer à créer ? Si l’art a le potentiel de marquer les gens, c’est aussi en raison de la force des récits qui palpitent en son sein, et surtout des réflexions et des émotions que peut susciter en nous la rencontre avec l’œuvre.

Pour les « Portraits » de ce numéro d’été : deux incursions en atelier à Montréal. Barbara Steinman, récente lauréate du prix Paul-Émile Borduas 2022, nous ouvre les portes des récits cachés de ses œuvres, pour lesquelles le hasard, la fascination pour la lumière, ainsi que la vulnérabilité sociale, jouent un rôle important. Quant à Mathieu Grenier, on rencontre dans son atelier des cyanotypes et des déchets technologiques, matériaux féconds pour sa pratique, qui vise à sonder l’inconscient de nos relations avec la technologie pour en faire une archéologie. Enfin, retrouvez cette année encore le cahier spécial « Les détours de l’été », tiré à part et inséré dans la revue, mettant en avant les événements estivaux de nos partenaires.

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