Arsenal Art Contemporain inaugure un agrandissement majeur de son espace en présentant une sélection d’artistes chinois encore peu connus des Montréalais.

L’exposition est le fruit d’une collaboration entre deux consultantes indépendantes, Pia Camilla Copper, originaire de Montréal, qui réside actuel­lement à Paris d’où elle voyage régulièrement en Chine depuis quinze ans, et Margot Ross, qui travaille à Montréal. Elle regroupe deux géné­rations : la première, qui avait fortement marqué la scène artistique au début des années 1990, est représentée par des noms aujourd’hui célèbres, les frères Gao, Zhang Huan, Cang Xin, Dai Guangyu, Gu Wenda, Qui Jie, dont la réputation est maintenant bien établie. La seconde, selon Pia Copper, représente plutôt les étoiles montantes tels le jeune vidéaste Wu Junyong et Lu Feifei, seule femme artiste dans l’exposition. Au total, les œuvres de treize artistes font découvrir le dynamisme de l’art chinois contemporain, qui envahit de plus en plus le marché de l’art international et qui pourrait bénéficier d’une plus importante manifestation à Montréal.

Les œuvres sélectionnées ont toutes été exécutées entre 2000 et 2012. Difficile donc de retracer l’évolution, pourtant fulgurante, qui a permis à l’art chinois de se dégager de la domination d’un réalisme socialiste conforme aux valeurs de la Révolution culturelle de Mao Zedong, mort en 1976, pour aboutir à une production très éclatée, tributaire de la globalisation de la culture. La mondialisation de l’économie, dont la Chine est d’ailleurs l’un des acteurs principaux, fait tomber les barrières. C’est toute une communauté artistique qui sort de l’isolement, de la monotonie et de la rigidité. Les œuvres produites durant les deux dernières décennies du XXe siècle témoignent d’une assimilation rapide de nouveaux moyens d’expression issus des différentes avant-gardes occidentales. Les artistes, visiblement fascinés par la fonction critique que peut avoir une œuvre, ont vite compris qu’ils étaient investis d’une nouvelle liberté pour dénoncer les abus du pouvoir politique (Dada) ou les travers d’une société de consommation (pop art). En somme, un esprit d’irrévérence est désormais le meilleur atout pour s’attaquer à l’ordre social et dénoncer les conditions médiocres de la vie quotidienne. Cet esprit contestataire transforme souvent les événements artistiques en événements politiques. Car la liberté d’expression nouvellement acquise demeure une liberté surveillée. Tôt ou tard, un dispositif de contrôle contraignant engendre un malaise politico-social, voire existentiel, qui s’accentuera au début des années 1990 après les tristes événements de la Place Tiananmen en 1989. Pour l’artiste, le besoin d’exprimer sa colère devient primordial.

L’art de la performance, hérité du body art des années 1960, constitue l’exutoire le mieux adapté pour s’exprimer au nom de la collecti­vité. Il est d’autant plus efficace qu’il n’est pas toléré par les institutions artistiques. De nombreux artistes utilisent leur corps dénudé pour mettre en scène la violence dont ils sont victimes, en exécutant des actions individuelles extrêmes, qu’ils documentent par des photographies. Leur capacité d’endurance est soumise à des sévices corporels auto-infligés ou subis. Éprouver la résistance de leur corps à la souffrance devient une question de survie et d’identité nationale. Le point fort de l’exposition est sans aucun doute la présence de Zang Yuan et He Yunchang, deux artistes renommés pour cette pratique radicale et controversée.

Le nom de Zang Yuan, qui dut s’expatrier à New York en 1998, ne laisse personne indifférent. Une photo qui a fait le tour du monde le montre nu, assis dans les latrines publiques, le corps enduit de miel et recouvert de mouches. Intitulée Douze mètres carrés, cette performance de 1994 dura une heure. Le regard intense, fixe et impassible de Zang subissant cette épreuve, se retrouve à l’Arsenal, dans une œuvre de 2001 intitulée Shanghai Family Tree. Exécutée l’année même où le East Village de Beijing qu’il avait contribué à fonder en 1993 a été rasé et remplacé par un jardin public, elle regroupe une séquence de neufs photos prises en compagnie de son frère et de sa sœur. Ces photos documentent les étapes d’une performance au cours de laquelle trois calligraphes ont été invités à recouvrir les visages de leurs hôtes de caractères chinois tracés à l’encre. Cette action, commencée à l’aube, se termine au crépuscule, au moment même où les visages se retrouvent entièrement recouverts d’encre noire. Endurance et détermination permettent de vaincre. Ce qui rejoint l’enseignement d’un ancien conte chinois : celui d’un vieux fou qui réussit à déplacer une montagne à force de persévérance et dont le texte fut calligraphié sur le front de Zang au début de la performance.

Dans le cas de He Yunchang, la performance documentée de 2010 intitulée Un mètre de démocratie consiste à montrer le corps nu de l’artiste allongé qui vient de subir, sans anes­thésie, une incision d’un mètre, réalisée par un chirurgien en présence de 25 personnes. Bien connu pour ses actions risquées, qui mettent à l’épreuve sa capacité de survie, He cherche à prouver qu’un individu peut résister seul à la puissance des forces gouvernementales.

Non seulement choisit-il de s’infliger des épreuves extrêmes (en 2005, il se trempe pendant une heure dans du ciment liquide qui durcit lentement !), mais encore réussit-il à surmonter les forces adverses auxquelles renvoient symboliquement ses dures mises en scène.

La sélection d’œuvres présentées à l’Arsenal donne un bref aperçu de quelques tendances de l’art actuel en Chine. Ces artistes semblent partager un désir de s’exprimer sur des questions de société. Si l’art de la performance a utilisé la violence pour se démarquer sur le plan international, une approche différente des problèmes semble attirer la nouvelle génération. C’est du moins ce qui se dégage d’une vidéo d’animation plus humoristique, réalisée en 2010 avec l’assistance d’un ordinateur par le jeune artiste multimédia Wu Junyong. Cloud’s Nightmare s’apparente en effet au petit théâtre d’ombres dont les origines millénaires sont asiatiques. Ce qui retient l’attention, c’est la forme inusitée du cadrage, celui d’une vue à travers des jumelles, qui offre au spectateur la possibilité de scruter des nuages poussés par un vent violent. Car une action s’y déroule. Les silhouettes noires de deux personnages / pantins (des dirigeants chinois), coiffés de bonnets d’âne, sont reliées l’une à l’autre par un fil. Les hauts bonnets font référence à une expression idiomatique chinoise : « lui mettre un haut chapeau » signifie aduler de manière excessive. Un des pantins flotte ici sur une chaise, au gré du vent, comme un cerf-volant. Soudain, un essaim d’oiseaux et d’animaux, synonyme de chaos et de défaite en Chine, s’abat sur lui. Il disparaît à la vitesse d’un éclair. La chaise prend feu, flotte un instant et retombe au sol. Commentaire discret, mais cynique, de la part de l’artiste sur la futilité des manipulations, toujours très répandues dans les milieux politiques.

Pour conclure, soulignons simplement la pertinence de cette initiative qui permet de découvrir des artistes parmi les plus cotés sur le marché international de l’art actuel. Dans un article en anglais publié dans le numéro 230, printemps 2013, de Vie des Arts, John K. Grande porte un nouveau regard sur les autres artistes de l’exposition.

COUP DE FOUDRE CHINOIS/ LIKE THUNDER OUT OF CHINA
L’Arsenal, Montréal
Du 31 janvier au 15 juin 2013

Arsenal Toronto
Du 27 juin au 5 octobre 2013